Bernard
Vitrac
Centre Louis Gernet (CNRS - Ecole Pratique des Hautes Etudes)
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Annexes |
Bien des approches de la géométrie grecque ancienne sont possibles. Les grands textes des auteurs hellénistiques, certains fameux problèmes ont joué un rôle indéniable dans l’histoire des mathématiques jusqu’à une date récente et ont intéressé — et intéressent toujours — les historiens des sciences, les enseignants, le public cultivé … Plusieurs questions restent cependant sans réponse : les premières recherches mathématiques des Grecs nous échappent en grande partie ; nous ignorons à peu près tout de la biographie (en particulier intellectuelle) des principaux géomètres ; les modalités de l’enseignement des mathématiques dans l’Antiquité nous sont fort mal connues.
Il est donc difficile d’écrire une histoire de la géométrie grecque entendue comme une narration continue qui irait des origines au déclin de la civilisation antique (du Ve siècle avant au Ve siècle après notre ère). Difficile aussi d’insérer cette histoire dans un contexte plus large, socio-politique, éducatif, intellectuel. Les sources sont insuffisantes pour envisager une telle entreprise. Leur nature — en particulier celles des traités optant pour une présentation déductive, rédigés dans un style impersonnel — n’y concourt pas non plus. Il faut donc faire des choix, adopter des partis-pris en braquant le projecteur sur des situations, des auteurs ou des textes pour lesquels nous sommes moins démunis.
J’ai choisi de mettre l’accent sur les contenus mathématiques, au sens technique du terme, que nous connaissons grâce aux ouvrages conservés de quelques géomètres : Euclide (ch. 5-6), Archimède (ch. 7), Apollonius (ch. 8), Ptolémée (ch. 9). J’ai essayé de le faire en maintenant partiellement les modalités anciennes d’expression (théorie des proportions ; langage des aires) plutôt que d’opter pour des formulations symboliques entièrement modernisées. Le résultat est sans doute moins familier au lecteur contemporain (donc un peu moins facile à lire), mais il maintient, au prix d’un petit effort, quelque chose de la saveur des textes mathématiques anciens.
Pour ce qui relève du contexte, j’ai privilégié quelques moments forts de l’histoire grecque en en marquant les grandes articulations : Grèce des cités (ch. 1), royaumes hellénistiques issus de la conquête d’Alexandre (ch. 3), hellénisme sous domination romaine (ch. 9). La présentation est donc essentiellement chronologique. Parce qu’une partie de la documentation conservée se rattache, de près ou de loin, à Alexandrie, il m’a paru utile de consacrer quelques lignes aux institutions savantes des Ptolémées, à la politique culturelle de cette dynastie, même si le rapport entre mécénat royal et sciences mathématiques n’est pas évident (ch. 3 et 9). Reste une atmosphère intellectuelle générale qui détermine partiellement l’orientation des travaux et des publications mathématiques qui participent aux formes générales du travail intellectuel de cette époque.
Les Grecs n’ont pas seulement pratiqué les mathématiques, ils ont également développé une double réflexion, philosophique et historique, à leur sujet. De philosophie, il est assez peu question dans ce dossier. Cela réclamait trop d’espace. Quant à l’ « histoire » telle que l’ont pratiquée les Anciens, elle est intéressante davantage en tant qu’(auto-)représentation plutôt que pour la véracité des « informations » qu’elle est censée véhiculer. Transmise sous forme d’anecdotes bien connues et inlassablement répétées, elle requiert une lecture critique, tout particulièrement en ce qui concerne les premiers travaux et les premiers savants (voir ch. 1-2 et les débuts des ch. 5-6). Déjà les historiens grecs du IVe siècle avant notre ère percevaient les limites de leur information à ce sujet.
J’espère que le lecteur éprouvera autant d’intérêt et de plaisir à lire ce dossier que j’en ai eu à le composer.
Aucun texte géométrique antérieur aux Éléments d’Euclide (IIIe s. avant notre ère) ne nous est parvenu. Pour les mathématiques des époques archaïque et classique (VIe-IVe s.), nous devons nous contenter de témoignages et de quelques fragments. Le dossier le moins mal documenté concerne Hippocrate de Chio (deuxième moitié du Ve s.). Son activité, contemporaine de celle de son célébrissime homonyme, le médecin Hippocrate (de Cos), correspond à l’âge d’or de la Grèce des cités, à la mise en place des institutions démocratiques, au développement de nouveaux moyens de communication et de « publication » (au sens premier de « rendre public »), notamment l’apparition d’une littérature technique en prose qui coïncide avec des formes rudimentaires de « spécialisation » : histoire, philosophie, mathématiques … Dans la cité d’Athènes — la moins mal connue —, dès le début du IVe s. avant notre ère, un débat divise les spécialistes de l’éducation sur la place qu’il faut accorder à la géométrie.
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Ce chapitre revient sur le cas « Hippocrate », cette fois du point de vue des techniques géométriques. La tradition ancienne attribue, à tort ou à raison, trois contributions majeures au géomètre de Chio, lesquelles esquissent les principales articulations à venir de la géométrie grecque :
- Il aurait été le premier à rédiger des Éléments de géométrie.
- Il aurait introduit la procédure de réduction d’un problème — en l’occurrence celui de la duplication du cube — à un autre, celui de l’insertion de deux moyennes proportionnelles entre deux segments de droite (problème paradigmatique de la géométrie dite ultérieurement « solide »).
- Enfin son nom est attaché à la quadrature de certaines portions de cercle (appelées « lunules »), possiblement mobilisées pour une tentative de résolution du célébrissime problème de la quadrature du cercle.
Cette contribution nous est connue grâce à un précieux témoignage d’Eudème de Rhodes (IVe s. avant notre ère) — historien de la géométrie et disciple d’Aristote — transmis par le commentateur Simplicius (VIe s.). On y rencontre un style géométrique localement déductif, utilisant des diagrammes, déjà assez proche de celui que l’on trouvera chez Euclide.
La conservation de ce témoignage ne relève par du pur hasard : le Maître (i.e. Aristote) avait parlé d’Hippocrate et sa tentative de quadrature fut tôt interprétée comme un paralogisme. Le premier géomètre grec tant soit peu connu de nous était-il un filou ?Lire l'article
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Les IIIe-IIe siècles avant notre ère voient la fondation puis le développement des institutions savantes d’Alexandrie, ville fondée par le conquérant macédonien «aux portes de l’Égypte». La nouvelle capitale économique et intellectuelle du Monde Est méditerranéen apparaît aussi comme le centre d’une communauté de mathématiciens qu’un nouveau type de texte nous permet d’entrevoir : les préfaces que les géomètres rédigent quand ils décident de faire circuler leurs écrits.
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Le chapitre IV présente le premier texte grec complet conservé consacré à la géométrie, les Éléments d’Euclide. Comme les érudits de l’Antiquité eux-mêmes , nous ne savons à peu près rien de la vie de l’auteur : contraste saisissant avec le succès, l’influence, mais aussi les critiques, que l’ouvrage connaîtra durant près de deux millénaires. Le projet et le style impressionnent ; le plan du traité fut perçu comme singulier dès le Moyen-Âge.
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La mesure des figures ou la détermination de points inaccessibles à la mesure directe étaient souvent considérées par les Anciens eux-mêmes comme l’origine de la géométrie. Tout naturellement les noms des (hypothétiques) pères fondateurs, Thalès et Pythagore, leur étaient associés. Les Éléments d’Euclide représentent déjà une élaboration sophistiquée des théorèmes susceptibles de justifier de telles procédures. Dans cette optique, le chapitre V propose une lecture du premier Livre du traité euclidien: établir les fondements de la mesure des figures rectilignes. L’analyse régressive du théorème de l’hypoténuse (dit de Pythagore, I. 47-48 chez Euclide) fournit une justification de l’insertion des principaux constituants de l’axiomatique euclidienne.
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La grandeur (ou taille) n’est qu’une des caractéristiques de la figure, que la mesure s’efforce de déterminer. L’autre est la forme avec ses problèmes de similitude et de construction de figures considérées comme “régulières”. Celles des cinq solides inscriptibles dans une sphère qui clôturent les Éléments en est l’exemple le plus célèbre.
Le chapitre VI leur est consacré. Toute proportion gardée, les sources anciennes sur ce thème ne sont pas rares, même si nous ne connaissons pas vraiment les circonstances détaillées qui sont à l’origine de cette étude associée à beaucoup des noms célèbres de la géométrie et de la philosophie grecques : Platon, Théétète, Euclide, Pythagore, Archimède, Zénodore, Apollonius, Hypsiclès, Ptolémée Pappus … C’est en vue de la construction et de la comparaison de ces polyèdres qu’Euclide introduit sa monumentale classification des irrationnels et la non moins célèbre « section en extrême et moyenne raison » (dit “nombre d’or”).
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Archimède de Syracuse est incontestablement le mathématicien grec le plus célèbre et le plus admiré. Il est le seul des géomètres non philosophes à qui l’on ait consacré, dès l’Antiquité, une biographie. Mais ce sont ses prouesses techniques qui furent célébrées, plutôt que ses écrits géométriques. Plusieurs d’entre eux résolvent des problèmes non triviaux de quadrature (segment de parabole, cercle et spirale) et de cubature (sphère et cylindre, sphéroïdes et conoïdes). Ils complètent les travaux d’Eudoxe de Cnide qu’Archimède s’était choisi comme précurseur. Le Syracusain va plus loin lorsqu’il combine mécanique (théorie des centres de gravité) et géométrie mais sa célèbre Méthode, peu diffusée dans l’Antiquité, faillit disparaître.
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Les Coniques d’Apollonius de Perge constituent l’un des sommets de la géométrie grecque ancienne. Rédigé, après un premier essai, en huit Livres, leur destinée fut cependant moins heureuse que celle des Éléments d’Euclide. Seuls les quatre premiers Livres — selon l’auteur ils exposent les “éléments” de la théorie — ont été conservés en grec, dans la réédition qu’en procura, à la charnière des Ve et VIe siècles de notre ère, Eutocius d’Ascalon. Les Livres V-VII furent préservés grâce à la traduction arabe qu’en fit Thâbit ibn Qurra mais ils restèrent inaccessibles et excitèrent l’imagination des mathématiciens d’Occident pendant plusieurs siècles.
Dès l’Antiquité, la rigueur et la généralité du traitement apollinien avait été reconnues et avait fait disparaître les écrits antérieurs. Seules quelques bribes d’information, quelques conjectures hasardeuses concernant la découverte des coniques nous ont été transmises par Pappus et Eutocius.
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Après la floraison des IIIe-IIe siècles, les institutions savantes alexandrines, confrontées aux incertitudes politiques et aux querelles dynastiques, connaissent une éclipse. Les recherches mathématiques se poursuivent sans doute ailleurs, notamment à Rhodes, mais, semble-t-il grâce à l’intervention puis la protection des Romains, l’ancienne capitale des Ptolémées va connaître un nouvel âge d’or mathématique. Trois grandes figures dominent les deux premiers siècles de notre ère : Ménéalos, Ptolémée et Héron. Leurs travaux reprennent, corrigent et développent ceux de leurs prédécesseurs de la première période alexandrine, notamment dans les domaines où la géométrie trouve ses applications les plus efficientes : astronomie, optique, mécanique.
L’avènement du premier empereur chrétien, Constantin — fondateur de Constantinople dans la première moitié du IVe siècle — marque une rupture dans l’histoire, consommée dans les années 390 avec la partition de l’Empire en deux : Orient et Occident. Si les intellectuels chrétiens s’absorbent dans la définition du dogme et la chasse aux hérésies, quelques rares mathématicien(ne)s — païen(ne)s pour la plupart — continuent de cultiver leurs spécialités. Les contributions mathématiques originales se font rares, mais le mérite de ses érudits est d’avoir assuré la sauvegarde (d’une partie) du patrimoine antique et permis sa transmission ultérieure aux mondes médiévaux byzantins, arabes puis latins …. Rééditant et annotant les écrits classiques, infatigables commentateurs, ils ont cherché à les rendre accessible à un public d’étudiants parfois mal préparés. Ils ont posé les premières pierres de la démarche scholastique. Dans ce monde troublé, quelques contributions — celle de Proclus (410-485), en ce qui concerne la philosophie de la géométrie, ou celle des mathématiciens-architectes de l’époque de Justinien (2e quart du VIe s.) — méritent notre respect.
Les élémens de géométrie d'Euclide, traduits littéralement et suivis d'un Traité du cercle, du cylindre, du cône et de la sphère, de la mesure des surfaces et des solides, avec des notes, par F. Peyrard, 1804 (numérisation BnF)
Les quinze livres des éléments géométriques d'Euclide, traduction en français par D. Henrion, 1632 (numérisation BnF)
Les trois livres de porismes d'Euclide, M. Chasles, 1810 (numérisation BnF)
Oeuvres d'Archimede, traduites et commentées par F. Peyrard, 1807 (numérisation BnF)
L'Almageste (ou composition mathématique) de Claude Ptolémée, traduit par M. Halma, 1816 (numérisation BnF)
Exposition des connaissances mathématiques utiles pour la lecture de Platon de Théon de Smyrne, traduit par J. Dupuis, 1892 (numérisation BnF)
Voir aussi le site L'antiquité grecque et latine, où les textes ci-dessus (et bien d'autres) sont numérisés de façon à permettre une recherche en plein texte.
Les systèmes grecs de notation des nombres, Samuel Verdan
Tout sur les polyèdres: des solides de Platon aux étoiles de Poinsot-Kepler Géométrie, Jean-Jacques Dupas
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