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Dico de mathématiques (collège et CM2)

Présentation de l'ouvrage par son auteur, Stella Baruk, professeur de mathématiques et chercheuse en pédagogie


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Pourquoi, après le premier, proposer un second dictionnaire


Second, parce que non deuxième, et non deuxième parce qu’il n’y aura pas de troisième. Ainsi en va-t-il des subtilités que propose la langue: “premier, second”, renvoie au fini du couple, alors que la potentialité ordinale d’une succession en ième est présumée infinie.

C’est donc de ce second dictionnaire qu’il s’agit ici ; intitulé Dico de mathématiques, et venant après le Dictionnaire de mathématiques élémentaires, il s’en distingue tant par le titre que par l’adresse : collégiens et jeunes lycéens pour le premier, collégiens et grands écoliers pour le second. Et voici qu’après-coup m’apparaît dans l’ensemble de ce travail cette évidence: entre école et lycée, c’est bien le collège qui constitue la pièce centrale et maîtresse de l’édifice qui pourvoira le pays en praticiens de mathématiques.

On le sait, l’adolescence est un âge inconfortable; mais on sait aussi que les boutons dont elle se pare souvent ne sont pas seulement ceux que lui prodigue la nature. Tranchant sur certaines indulgences consenties à l’enfance dans son rapport à la chose scolaire, les exigences qui se font jour au collège dans un nouveau rapport au savoir y contribuent, et singulièrement “en maths”.

C’est ainsi que depuis quelques années, sous le terme générique de « liaison école-collège » sont parus de nombreux travaux ; c’est dans la même tendance que, avec ses moyens propres, s’inscrit ce Dico.

Tout professeur de mathématiques sait à quel point le moindre mot, le moindre signe à la signification opaque ou approximative trouent un texte, et suffisent à en disloquer le sens. De ce point de vue, l’ambition du Dico, comme celle du Dictionnaire est de proposer un outil qui permette de n’être arrêté par aucun mot, aucun signe qui pour une raison quelconque sont incompris, ou flous, ou oubliés.

Des mots donc, avec leur caractères de mots : leurs étymologies, dont l’ensemble des pièces peuvent bien souvent se combiner comme en un jeu de construction, leur graphie; leur pittoresque aussi, parfois. Je me souviens combien, étudiante, les mots me surprenaient déjà ou m’amusaient: osculateur par exemple, adjectif qui ne ressemble à rien, se mit à ressembler à quelque chose quand je réussis à trouver qu’il provenait du latin osculari, “baiser”. En somme, un cercle osculateur d’un arc en un point M n’était autre que celui qui le tenait le plus étroitement embrassé !

Mais, hors vocabulaire ‘spécialisé’, à peine veut-on, pour la plupart des termes utilisés tenter de proposer “leur sens”, que l’on s’écarte d’un dictionnaire ordinaire, monolingue.

J’ai souvent eu l’occasion de dire qu’un mot, dans une langue quelconque, était une « nébuleuse de sens ». Par exemple, dites “égalité” à un interlocuteur ordinaire et voyez le matériau que ces quatre syllabes ramènent - alors qu’en mathématiques il s’est déjà, à travers le temps et les textes, constitué en idée ou concept.

Ce que les mathématiques utiliseront du capital sémantique d’un mot est plus que variable: et ce qui s’en entendra quand il sera utilisé l’est tout autant. Se greffant sur une langue naturelle, dont les significations se sont mises en place depuis l’enfance, la langue des mathématiques qui l’utilise à son profit a un statut de “langue seconde”, c’est-à-dire celui de tous les dangers. Détournement: pourquoi tel nombre, qui se trouve être le dernier d’une liste, sera-t-il dit premier ? “Faux amis” : le « centre d’un segment » ? non, mais pourquoi non? Risque de sidération quand il s’agit, carrément, du contraire de ce que l’on a toujours cru comprendre : alors vraiment, « 2 + 3 = 7 » est une égalité ? Même en la qualifiant de fausse, il apparaît qu’il est difficile d’accepter – sauf à prendre des précautions – une signification si éloignée du sens habituel; or on a bien besoin quand on apprend à résoudre des équations que vérité et fausseté soient les attributs d’une égalité.

Sans compter une logique de langue qui s’effondre quand le in de inégalité et inéquation ne se comporte plus comme celui de inadmissible ou inévitable : une inégalité n’est pas “le contraire” d’une égalité, et je me souviens de cet élève, qui avait d’abord pensé que résoudre une inéquation c’était parcourir une équation en sens inverse, c’est-à-dire remonter de la solution au texte de l’équation.

Seuls les praticiens ayant affaire à la matière vivante de l’entendement des élèves savent que le nombre de situations de ce genre peut tendre vers l’infini ; et face à la finitude de leur condition, se débrouiller comme il le peuvent. Dans ce Dico, situer, donc, une ou des significations mathématiques, et donc secondes, par rapport à cette langue première, a été une démarche, elle aussi première, destinée à ce que dans tous les cas on soit clairement au fait de la façon dont celle-ci sert ou dessert celles-là.

Comme le dit d’Alembert dans l’article dictionnaire de l’Encyclopédie, « aucun auteur de dictionnaire n’a prétendu qu’on pût dans un livre de cette espèce s’instruire à fond de la science qui en fait l’objet; indépendamment de tout autre obstacle, l’ordre alphabétique seul en empêche. » Mais ajoutant « qu’un simple dictionnaire peut et même souvent doit être autre chose qu’un simple vocabulaire sans qu’il en résulte aucun inconvénient », il demande, évoquant l’Encyclopédie « quel mal peuvent faire aux Sciences des dictionnaires où on ne se borne pas à expliquer les mots mais où l’on traite les matières jusqu’à un certain point ». Toutes proportions gardées, évidemment, et sans avoir découvert, à l’époque, ce qu’en disait d’Alembert, non seulement le projet de « traiter la matière jusqu’à un certain point » me paraissait ne pas devoir « faire de mal » à un élève qui consulterait un dictionnaire de mathématiques, mais je souhaitais qu’il contribuât à son plus grand bien. Il y a donc eu aussi, allant au delà du simple recueil de définitions, intrinsèquement, la tentative de faire, de chaque entrée une “entrée en matière”.

Á partir du moment où il ne s’agit plus d’une voie unique, mais d’une construction en étoile, tenter de ‘couvrir’ cette matière n’est pas simple pour autant. Les 273 articles sont comme autant de “sujets” que l’on peut rencontrer pour eux-mêmes, mais dont on découvre par liens et renvois qu’ils sont insérés dans une “société” dont ils ne sauraient se passer, société qui, comme toutes les sociétés, à affaire au temps, et ici, deux fois plutôt qu’une. Certains concepts unificateurs y contribuent, comme par exemple la notion d’unité, précisément, qui “coiffe” les questions de calcul, numérique, littéral, ou d’équidistance en géométrie.

Prendre en compte le temps, c’est aussi prendre en compte l’histoire du petit sujet qui devient collégien. C’est par exemple savoir qu’il a, cinq années durant, entendu “opération” au lieu de calcul”, “addition” au lieu de “somme”, “multiplication” au lieu de “produit” ; qu’il a “vu” des carrés et des rectangles, et décidé à l’œil ou à l’équerre qu’un angle était droit ; etc. Pour avoir beaucoup fait de formation d’enseignants, je sais à quel point même ayant compris l’importance de désignations rigoureuses, séparatrices de démarches de pensée différentes, les habitudes de langage sont longtemps plus fortes que tout. Et il est alors bien difficile d’obtenir au collège la reconnaissance de formes, forme-somme, forme-produit, la démonstration d’une propriété plutôt que sa “constatation”, etc.

Il me paraît donc important de proposer tant à ces grands élèves qu’à leurs enseignants une distinction des désignations consciente de ses enjeux épistémologiques: nombre, et quantité (nombre-de), discret et continu, opération et calcul, figure et dessin, figure et grandeur, définition et propriété, etc. Cette approche fondée sur la langue et le sens me paraît pouvoir être mise en place très tôt ; au moins donc, ici, pour de grands écoliers, et a fortiori pour collégiens puis lycéens.

Par ailleurs, sachant combien, parfois, nombre de calculs supposés pourtant “acquis” peuvent manquer de “retenue” pour sommes ou différences, ou sont en reste pour des quotients, j’ai souhaité expliciter la plupart des algorithmes de calcul, avec leurs “raisons”.

Le présent d’une langue devient vite son passé, puis son histoire ; indépendamment de l’“actualisation” d’une notion si elle est rendue nécessaire, il est passionnant de se laisser emmener vers ce qu’elle a supposé dans le passé, ou suscité comme considérations ou recherches. L’Histoire, donc, une Histoire multiforme et culturelle, s’introduit pour ainsi dire “naturellement”, par le truchement des mots introduisant des notions, par l’occasion qu’ils fournissent, en situation, de s’y intéresser. Ainsi que nombre de travaux les proposent, à propos de “perspective”, sont évoqués dans le Dico le quattrocento de la peinture italienne, et la fresque de Raphaël intitulée L’École d’Athènes, amenant en prime à rencontrer Platon, Aristote, Zoroastre, etc ; “polyèdre” renvoie aussi à Platon, bien sûr, mais à Timée et à son fabuleux exposé de « la naissance du monde pour aboutir à la nature de l’homme » ; “géométrie” amène à rencontrer un “secrétaire du roy” qui, en 1702 résolut un problème de répartition de terrain à la manière de la proposition 13 du premier livre des Eléments d’Euclide ; et si Euclide, justement, et Pythagore, et Thalès sont explicitement présents avec un article qui leur est consacré, plus d’une centaine de personnages apparaissent au hasard d’une citation, d’un détour, ou au contraire d’une nécessité. Je ne pouvais, dans ce Dico manquer de présenter à de jeunes collégiens Nicole Oresme, incarnation prestigieuse de la nécessité, pour un savoir, de disposer d’une langue.

Et à ce propos, et pour finir, je voudrais offrir à CultureMATH  le récit d’une petite aventure récente.

Ayant la chance de disposer d’un précieux et gros cahier sur lequel d’une belle écriture est recopié tout au long de l’année 1861 un cours d’algèbre, j’y ai trouvé à propos de la résolution de l’équation du second degré, et à partir d’une démonstration correcte de l’expression des racines, la “règle” suivante :

« Lorsque l’équation est sous la forme ax2 + bx + c = 0

x est égal à la moitié du coefficient de x pris en signe contraire plus ou moins la racine carrée de cette moitié du coefficient de x augmenté de quatre fois le produit du coefficient de x2 par le terme tout connu pris en signe contraire le tout divisé par le double du coefficient de x. »

Par chance, les applications qui suivent montrent que la formule est correctement utilisée. Et évidemment, on se dit que si ce texte “en français” était pris sous la dictée, on conçoit que dans ce foisonnement de carrés, moitiés et racines carrées, l’élève se soit quelque peu emmêlé. Mais alors, qu’en est-il de ces “pris en signe contraire” que “opposé” réduirait notablement, et surtout, ce qui probablement en étonnera certains autant que moi, qu’en est-il de l’absence du “sacro-saint” discriminant, qui économiserait avantageusement quelques lignes ? Il n’aurait donc pas, “de toute éternité”, accompagné ax2 + bx + c = 0 ? Eh bien non, puisqu’en 1861 il n’en était pas question. Quand alors ?

Alors, toujours passionnante, la trace d’une naissance nous est donnée par Charles-Ange Laisant (1841-1920) qui nous apprend1 –– que « à propos de l’équation ax2 + bx + c = 0  plusieurs auteurs ou professeurs, depuis un certain nombre d’années, ont adopté l’usage de désigner la quantité b2 – 4ac sous le nom de réalisant. Il serait tout aussi raisonnable de l’appeler imaginarisant, puisque les racines sont réelles quand b2 – 4ac > 0 et imaginaires lorsque b2 – 4ac < 0. Si l’on tenait pour la brièveté du langage, à employer un mot spécial, pourquoi ne pas prendre alors celui de discriminant qu’on retrouvera plus tard dans les équations de degrés supérieurs et qui semble avoir conquis droit de cité ? C’est ce que font, du reste, beaucoup d’excellents professeurs. »

Émouvant, non, de pouvoir imaginariser les avatars de b2 – 4ac, et réaliser que son pouvoir discriminant n’a été salué par les dictionnaires de langue qu’il y a moins d’un siècle et demi !

Stella Baruk






1 Les questions de terminologie dans L’enseignement mathématique, volume 1, 1899.