Ce dossier est
composé de trois articles. Editeur: Eric Vandendriessche.
Toute
reproduction
pour publication ou à des fins commerciales, de la
totalité ou d'une partie du dossier, devra
impérativement faire l'objet d'un accord
préalable avec l'éditeur (ENS Ulm). Toute
reproduction à des fins privées, ou
strictement pédagogiques dans le cadre limité
d'une
formation, de la totalité ou d'une partie de ce dossier, est
autorisée sous
réserve de la mention explicite des
références éditoriales
de l'article.
L'auteur remercie Marie-José Durand-Richard pour ses
conseils précieux qui l'ont aidé à
constituer ce dossier.
Introduction
du dossier -
Introduction
- Problématique
Version [pdf]
(187 ko, 3p.)
1. Avant Boole : un lent cheminement - Résumé - Article 2. La percée due à Boole - Résumé - Article 3. La conquête du monde - Résumé- Article |
Au milieu du XIX° siècle, la percée de George Boole (1815-1864) pour 'algébriser' la logique est la concrétisation d'une lente évolution concernant, outre la logique elle-même, les mathématiques et leur rôle dans l'évolution des sciences. Si, dans sa forme brute, le calcul de Boole a pu déconcerter, ce n'est pas seulement par ses insuffisances avérées mais aussi par son existence même. De nombreux faits, certains connus, d'autres moins, ont créé les conditions de cette 'révolution' qui a vu la vieille logique rhétorique se transformer peu à peu pour devenir un outil mathématique moderne.
Depuis les conditions de possibilité des travaux de Boole jusqu'à la mise en forme logique de la théorie des ensembles, de nombreux auteurs, célèbres ou non, utilisant des concepts plus ou moins aboutis, ont produit des travaux plus ou moins clairs où les avancées et les reculs sont souvent intriqués.
La fin de l'histoire est double. L’héritage de Boole bifurque dans deux directions. D’une part, suivant la voie des structures du côté de l’algèbre, au début du XX° siècle, Edward Huntington (1874-1952) et Emil Post (1897-1954) en particulier réalisent la mise au point des algèbres de Boole. Nous ne traiterons pas cet aspect pour nous limiter au domaine de la logique, qui est l’autre versant.
En effet, nous avons la chance de disposer avec la logique d'un exemple de théorie dont nous pouvons étudier la naissance puis la croissance jusqu'à sa maturité, i. e. son incorporation dans le corpus mathématique usuel. Nous nous pencherons plus précisément sur la manière dont différents acteurs ont, avant et après Boole, apporté chacun leur pierre à un édifice en chantier durant plus de deux mille ans.
Au milieu du XIX° siècle, la vieille logique des philosophes, introduite par l’Organon d’Aristote (-384 - -322) complétée par les Stoïciens puis travaillée sous toutes les coutures de la rhétorique à travers toute la scolastique du Moyen Âge, quitte brusquement le lieu qu’elle occupait depuis deux millénaires dans l’ensemble des connaissances. Elle tend à s’éloigner de la philosophie puisqu’elle se métamorphose en une sorte de calcul algébrique qui lui donne une allure fortement mathématique, et ce mouvement sera quasiment achevé à la fin du siècle. A l’évidence, un tel remaniement d’une branche entière du savoir n’est pas commun; aussi il n’est pas sans poser de très nombreuses questions parfois complexes. C’est à quelques-unes d’entre elles que nous allons tenter d’apporter certains éléments de réponse.
Comment est-il possible qu’un aussi vénérable ensemble de connaissances, considéré par Emmanuel Kant (1724-1804) comme un tout achevé, abandonne ce qui passait pour son 'lieu naturel', lié depuis toujours à la théorie du langage, pour surgir du côté du calcul algébrique alors en plein renouveau ?
Pourquoi, alors que leur science est confrontée à des problèmes important liés à son développement même et à sa nature, des mathématiciens anglais se sont-ils intéressés à ce qui était alors considéré comme une partie de la philosophie pour la transformer, semble-t-il, en une branche de l’algèbre ?
Comment ce bouleversement a-t-il été vécu non seulement par les acteurs, mais aussi par ceux qui se sont trouvés concernés, que leurs intérêts soient littéraires ou scientifiques ?
Quelles sont les étapes qui ont été nécessaires pour qu’au début du XX° siècle, c’est à dire en l’espace de cinquante ans, on puisse considérer que la logique est non seulement devenue une partie des mathématiques, mais qu’elle en est le socle ?
Nous procéderons en trois étapes, qui chacune nous apportera des éléments dans notre questionnement
La responsabilité principale de la transformation étant attribuée à Boole, c’est son travail qui nous guidera dans notre enquête. Dans un premier temps, il nous faudra constater en regardant les efforts des prédécesseurs de Boole depuis la scolastique moyenâgeuse que ceux-ci ont été de peu de poids et que c’est sur des avancées tardives qu’il s’est appuyé. Nous examinerons dans quelles conditions la percée booléenne a été possible en montrant qu’il se trouve pris dans un enchainement historico-philosophique spécifique de la Grande Bretagne au début du XIX° siècle où l’enjeu était à la fois pédagogique et politique. Nous décrirons sommairement dans un deuxième temps ce qui frappe dans l’exposé de Boole, en insistant sur ce qui en fait la nouveauté et son caractère résolument ‘moderne’.
Enfin dans un troisième temps nous verrons comment ce qu’a proposé Boole sera retravaillé par de nombreuses contributions pour finalement déboucher, à travers une synthèse refondant les mathématiques dans la seconde moitié du XIX° siècle, sur ce qui est la logique moderne, en gros celle qui est enseignée à nos étudiants.
Résumé - La vieille logique d'Aristote, après des siècles de quasi-stagnation, s'est trouvée obligée de se plier à l'évolution des connaissances après la renaissance. Une importante « remise à niveau », prenant en compte la percée algébrique et philosophique de Descartes, fut le fait du courant janséniste à travers la « Logique de Port-Royal » à la fin du XVII° siècle. Au siècle suivant, parallèlement au développement de l'analyse mathématique, Leibniz, Lambert et d'autres vont tenter d'intégrer au corpus logique les nouveaux outils de connaissance qu'ils sont en train de fabriquer, avec cependant des résultats décevants. Au début du XIX° siècle, Gergonne utilise ce qu'il sait de combinatoire pour retrouver, par des raisonnements de « géomètre », la syllogistique du moyen âge. Mais dans les faits, la logique reste toujours une branche de la philosophie bien éloignée des calculs mathématiques.
|