La
fonction $\zeta(s)$ de Riemann est définie, pour
les
valeurs
complexes $s \in \mathbb{ C}$ telles que $Re (s) > 1$, par la
série :
$\displaystyle{\zeta(s)
=\sum_{n \geqslant 1}\,
\frac{1}{n^s}}
$
qui converge absolument, d'après le principe de comparaison
d'une
somme avec une intégrale. Classiquement, on
démontre (voir
Section 2) que cette fonction $s \mapsto
\zeta(s)$ se prolonge en une fonction méromorphe sur
$\mathbb{C}$
avec un unique pôle au point $s = 1$ qui est simple.
Cette fonction $\zeta(s)$ est en fait très
étroitement liée aux
propriétés des nombres premiers. Tout d'abord,
Euler en a établi
une représentation fondamentale sous la forme d'un
produit infini :
$\displaystyle{
\zeta(s)
=
\prod_{p premier}\,
\frac{1}{1-p^{-s}},
}$
qui converge absolument lorsque $\displaystyle{{Re} (s) \gt 1}$.
Ensuite,
après des décennies d'explorations
numériques et
de résultats intermédiaires dûs
à Legendre, Gauss, Tchebychev et d'autres,
Hadamard et de la Vallée
Poussin sont parvenus à démontrer le
célèbre :
Théorème des nombres premiers.
Soit $\pi( x)$ le cardinal de
l'ensemble des nombres premiers inférieurs ou
égaux à un nombre réel
$x\geqslant1$. Alors quand $x$ tend vers l'infini, la fonction
$x\mapsto\pi( x)$ se comporte asymptotiquement comme :
$\displaystyle{ \pi(x) \sim \int_{2}^{x} \frac{{d}t}{\log t} \sim
\frac{x}{\log x}. $
La démonstration repose essentiellement sur le fait
que $\zeta(s)$
ne
s'annule pas sur la droite ${Re} (s) = 1$. Dans [Zagier 1997],
l'auteur
élabore une
preuve complète et très concise (en trois pages!)
de ce théorème en
utilisant une simplification essentielle due auparavant à
Newmann.
Un des grands problèmes mathématiques
encore ouverts actuellement
sur
la fonction zêta est l'Hypothèse de
Riemann : les zéros de
la fonction
zêta dans la bande critique $\displaystyle{0 \lt {Re} (s) \lt
1}$
seraient tous
situés sur la droite critique $\displaystyle{{Re} (s) =
\frac{1}{2}}$.
Tests
numériques et arguments théoriques confirment
cette attente. On peut
montrer que l'hypothèse de Riemann est
équivalente à une estimation
fine des oscillations entre $\pi(x)$ et son asymptotique :
$\displaystyle{ \pi(x) -
\int_{2}^{x}\,\frac{{d}t}{\log{t}} =
{O} \big(
\sqrt{x}\log{x} \big).} $
Un autre aspect de la recherche sur la fonction zêta
porte sur
l'étude de l'irrationalité de ses valeurs aux
entiers naturels. Or
aux entiers pairs $2n$ (avec $n \geq 1$), les valeurs $\zeta(2n)$
sont connues depuis les travaux d'Euler dans les années
1730, ce sont
des multiples rationnels de puissances paires de $\pi$ :
$\displaystyle{
\zeta(2n)
\in
\pi^{2n}\mathbb{Q} (n\geqslant1),}
$
comme on le redémontrera dans la Section 2
ci-dessous.
Lindemann a montré en 1882 que $\pi$ est transcendant,
c'est-à-dire
qu'il n'existe aucune équation algébrique $x^k +
a_{ k-1} x^{ k-1} +
\cdots + a_1 x + a_0 = 0$ à coefficients rationnels $a_j \in
\mathbb{Q}$ dont
$\pi$ soit racine. Il en découle que les $\zeta(2n)$ sont
linéairement indépendants sur $\mathbb{Q}$, donc
a
fortiori
irrationnels.
L'inaccessibilité des zêtas impairs
$\zeta ( 2n+1)$, durant plus de deux cents ans, avec les techniques
eulériennes de développements en
séries
ou produits infinis, fait partie des phénomènes
les plus intrigants de
l'arithmétique. Pour les valeurs de zêta aux
entiers impairs, le
premier résultat n'a en effet été
obtenu qu'en 1978 (voir [Apéry 1979] pour la publication par
l’auteur, qui est postérieure aux articles de
Beukers, de
Van der Poorten et de Cohen).
Théorème [APÉRY]. Le
nombre $\zeta(3)$ est
irrationnel.
Toutefois, jusqu'à aujourd'hui, on ne sait
démontrer d'aucun autre
$\zeta(2n+1)$ (pour $n\geqslant2$) qu'il soit irrationnel!
Heureusement,
des résultats moins forts, mais d'apparence similaire, ont
été établis :
- En 1979, Gutnik a montré dans [Gutnik 1983]
que pour tout
$q\in\mathbb{Q}$,
au moins un des deux nombres suivants est irrationnel :
$\displaystyle{3\zeta(3)+q\zeta(2)}$, $\displaystyle{\zeta(2)+2q\log(2).}$
- En 1981, Beukers a montré [Beukers 1984]
que les deux
ensembles
suivants contiennent chacun au moins un nombre irrationnel:
$\displaystyle{\frac{\pi^4}{\zeta(3)}}$, $\displaystyle{\frac{7\pi^4\log(2)}{\zeta(3)}-15\pi^2}$, $\displaystyle{
\frac{7\pi^6}{3240\zeta(3)}-\zeta(3)}$
$\displaystyle{\frac{\zeta(3)}{\pi^2},
\frac{\zeta(3)^2}{\pi^2}-\frac{\pi^4}{360},\zeta(3)\pi^2-30\zeta(5),
\frac{\zeta(3)\zeta(5)}{\pi^2}-\frac{\pi^6}{2268}}$.
- Plus récemment, en 2001, Zudilin a
montré dans qu'au moins
un nombre parmi $\zeta(5),\zeta(7),\zeta(9),\zeta(11)$ est
irrationnel [Zudilin 2004].
Au lieu de considérer chaque $\zeta(2n+1)$
séparéement, il est
possible d'en considérer simultanément une
collection finie. Voici un
théorème datant de 2001 :
Théorème [Rivoal]. Il
existe une infinité de nombres irrationnels parmi
{${\zeta(3),\zeta(5),\zeta(7),\zeta(9),\zeta(11),...}$}
Eu égard à ces
résultats
qui sont considérés comme partiels par les
experts, on a la conjecture
suivante, bien qu'elle soit complètement hors de
portée avec les
techniques actuelles :
Conjecture.
Les nombres $\pi,\zeta(3),\zeta(5),\zeta(7),...$ sont
algébriquement indépendants sur $\mathbb{Q}$
dit, pour tout
entier
n ≥ 0, il n'existe
pas de polynôme $P = P ( X_0, X_1,
X_2, ..., X_n)$ non identiquement nul à coefficients
rationnels tel
que $P ( \pi, \zeta(3), \zeta(5), ..., \zeta( 2n+1)) = 0$.
2.
Généralité
sur la fonction $\zeta$ de Riemann
Prolongement analytique de la fonction $\zeta$.
Avant de commencer, signalons au lecteur qu'il
trouvera dans [Bost, Biane, Colmez 2002] des informations
plus
complètes sur les propriétés
élémentaires -rappelées ici
brièvement- des fonctions $\zeta(s)$ et $\Gamma(s)$.
Rappelons
que pour ${Re} (s) > 1$, la série $\zeta(s)=\sum_{n
\geqslant
1}\frac{1}{n^s}$ est bien définie car elle converge
absolument, et
sa somme définit une fonction holomorphe dans $\{Re(s)
> 1}$}.
Notre premier objectif est de montrer que cette fonction se prolonge
holomorphiquement à $\mathbb{C} \backslash \{1\}$.
On définit la fonction $\Gamma$ d'Euler
par :
$\displaystyle{
\Gamma(s)
:=
\int_0^{+\infty}\,e^{-t}\,t^{s-1}\,{ d}t, }$
où l'intégrale converge normalement sur tout
compact contenu dans le
demi-plan ${Re} (s) > 0$. Par intégration par
parties, on
vérifie qu'elle satisfait l'équation
fonctionnelle
$\Gamma(s+1)=s\,\Gamma(s)$, laquelle permet de prolonger la fonction
$\Gamma$ en une fonction méromorphe sur $\mathbb{C}$, qui a
pour
seuls pôles des entiers négatifs ou nuls.
Lemme 2.1.
Lorsque ${Re} (s) > 1$, le produit $\zeta(s)\Gamma(s)$ est
donné par la formule :
$\displaystyle{
\zeta(s)\Gamma(s)
=
\int_0^{+\infty}\frac{t^{s-1}}{e^t-1}\,{d}t.
}$
Preuve. Pour $t>0$, on a le
développement en série
géométrique :
$\displaystyle{
\frac{1}{e^t-1}
=
\frac{e^{-t}}{1-e^{-t}}
=
\sum_{n=1}^{+\infty}\, e^{-nt}.
}$
En multipliant le tout par $t^{s-1}$, en intégrant terme
à terme,
en utilisant :
$\displaystyle{
\int_0^{+\infty}e^{-nt}\,t^{s-1}\,{ d}t
=
n^{-s}\, \Gamma(s),
}$
(changement de variable $t\mapsto nt$),
on voit que l'identité du lemme découle du
théorème de convergence
dominée.
Lemme 2.2. Si f est une fonction
$\displaystyle{C^{\infty}}$
sur $\mathbb{R}_+$
à décroissance rapide à l'infini,
alors la fonction:
$\displaystyle{
s \mapsto
L(f,s)
:=
\frac{1}{\Gamma(s)}\int_0^{+\infty}\,
f(t)\,t^{s-1}\,{d}t,
}$
définie pour $Re(s)>0$ admet un prolongement
analytique holomorphe
à $\mathbb{C}$. De plus, $L(f,-n)=(-1)^nf^{(n)}(0)$.
Preuve.
Soit $\phi$ une fonction $\displaystyle{C^{\infty}}$
sur $\mathbb{R}_+$,
qui vaut 1 sur $[0,1]$ et 0 sur $[2,+\infty[$.
On a $f=\phi f+(1-\phi)f$ et donc :
$\displaystyle{
L(f,s)
=
L(\phi f,s)
+
L\big((1-\phi)f,s\big).
}$
Comme $(1-\phi)f$ est nulle dans un voisinage de 0 et à
décroissance
rapide à l'infini, le théorème de
Morera et le théorème de
Fubini permettent de se convaincre que la fonction :
$\displaystyle{
s
\mapsto
L\big((1-\phi)f,s\big)
=
\int_0^{+\infty}\, (1-\phi(t))\,f(t)\,t^{s-1}\,{d}t
}$
définit une fonction holomorphe sur $\mathbb{C}$.
De plus, puisque
$\frac{1}{\Gamma(s)}$ s'annule aux entiers négatifs, on a
$L\big( (1-\phi)f,-n \big) = 0$ pour tout entier $n\geqslant0$.
Il suffit donc de montrer le résultat pour
la fonction $g := \phi f$, laquelle est à
support compact.
Par intégration par parties, on obtient, pour ${Re} (s)
> 1$:
$\displaystyle{
L(g,s)
=
-L(g',s+1).
}$
Cette formule permet alors de prolonger $L(g,s)$ en une fonction
holomorphe sur $\mathbb{C}$ tout entier.
De plus, en partant de $L(g,-n)$ et en effectuant $n+1$ telles
intégrations par parties, on obtient :
$\displaystyle{
L(g,-n)
=
(-1)^{n+1}
L\big(g^{(n+1)},1\big)
=
(-1)^{n+1}\int_0^{+\infty}\,
g^{(n+1)}(t)\,{d}t
=
(-1)^n g^{(n)}(0),
}$
d'où le résultat, puisque
$f^{(n)}(0)=g^{(n)}(0)$, évidemment.
Soit maintenant $\displaystyle{f_0(z) := \frac{z}{e^z-1}}$.
Pour ${Re}(s)>1$, comme $\Gamma(s)=(s-1)\Gamma(s-1)$,
le Lemme 2.1 donne :
$\displaystyle{\zeta(s)=\frac{L(f_0,s-1)}{s-1}}$.
En appliquant le Lemme 2.2 à $f_0$, on obtient
alors :
Théorème 2.1.
La fonction $\zeta$ se prolonge en une fonction méromorphe
sur
$\mathbb{C}$, avec un unique pôle au point $1$,
pôle qui est simple.
Nombres de Bernoulli et valeurs de la fonction $\zeta$ aux
entiers pairs. Puisque l'on a $e^z-1=z(1+{O}(z))$ au
voisinage de $0$, on peut définir
les
nombres de Bernoulli $(B_n)_{n\geqslant0}$
à travers le développement en série
entière (formelle) à
l'origine de la fonction $f_0$ introduite plus haut :
$\displaystyle{
f_0(z)
=
\frac{z}{e^z-1}
=
\sum_{n\geqslant0}^{+\infty}\,
\frac{B_n}{n!} z^n.
}$
La fonction $\displaystyle{\frac{z}{e^z-1}+\frac{1}{2}\, z}$
éetant impaire,
on en déduit que $\displaystyle{B_1=-\frac{1}{2}}$ et que
$B_{2n+1}=0$ pour tout
$n\geqslant1$.
On a $B_n=f_0^{(n)}(0)$, et comme il est clair que chaque
dérivéee de
$f_0$ est une fonction rationnelle en $z$ et en $e^z$, la valeur de
$f_0^{(n)}$ en $0$ est rationnelle.
On peut aussi voir d'une autre manière
que les nombres $B_n$ sont rationnels en développant
complètement la fraction en série
entière :
$\displaystyle{
f_0(z)
=
\frac{1}{\frac{1}{z}(e^z-1)}
=
\frac{1}{1+\frac{z}{2!}+\frac{z^2}{3!}+...}
=
\sum_{k\geqslant0}\, (-1)^k
(\frac{z}{2!}+\frac{z^2}{3!}+...)^k,
}$
et en collectant les termes en $z^n$.
Maintenant, une application du Lemme 2.2 à la fonction $f_0$
donne le :
Corollaire 2.1.
Pour tout entier $n\geqslant0$, on a
$\displaystyle{\zeta(-n)=(-1)^n\frac{B_{n+1}}{n+1}}$.
Voici une belle équation fonctionnelle,
découverte par Riemann, à
laquelle satisfait la fonction $\zeta$ :
Proposition 2.1. Pour tout nombre complexe $s$ qui
n'est égal ni à
un entier négatif
pair ni à 1, on peut définir la
fonction :
$\displaystyle{
\xi(s)
:=
\pi^{-\frac{s}{2}}\, \Gamma\big({\textstyle{ \frac{s}{2}}}\big)\,
\zeta(s),
}$
qui est holomorphe sur son domaine de définition.
Alors $\xi(s)$ satisfait l'équation fonctionnelle :
$\displaystyle{
\xi(s)
=
\xi(1-s),
}$
lorsque $s$ et $1-s$ sont dans le domaine de définition de
$\xi$. En
particulier, $\xi$ se prolonge en une fonction holomorphe sur
$\mathbb{C} \backslash \{0,1\}$.
Démonstration.
Supposons que ${Re} (s) > 1$. Par le changement de variable
$t\mapsto
\pi n^2t$, on a :
$\displaystyle{
\int_0^{+\infty}\,
e^{-\pi tn^2}\,t^{\frac{s}{2}}\,{d}t
=
n^{-s}\,\pi^{-\frac{s}{2}}\, \Gamma({\textstyle{\frac{s}{2}}}).
}$
Si on se souvient maintenant que pour ${Re} (s) > 1$,
la série $\sum_{n=1}^{+\infty}\, n^{-s}$ est absolument
convergente et
vaut $\zeta(s)$, alors par sommation sur $n$ on en
déduit :
$\begin{eqnarray}
\xi(s)
&=&
\pi^{-\frac{s}{2}} \Gamma (\frac{s}{2})
\zeta(s)
=&
\sum_{n=1}^{+\infty} \int_0^{+\infty}e^{-\pi
tn^2}t^{\frac{s}{2}}
{d}t
\\
&
=&
\int_0^{+\infty}\sum_{n=1}^{+\infty}e^{-\pi
tn^2}t^{\frac{s}{2}}{d}t, \end{eqnarray}$
et cette dernière expression peut être
réécrite sous la forme :
$\displaystyle{
(1)~~
\xi(s)
=
\frac{1}{2}\int_0^{+\infty}\,
\big(\theta(t)-1\big)\,
t^{\frac{s}{2}-1}\,\mathrm{d}t,
}$
si on introduit, pour tout réeel $t>0$, la fonction
$\theta(t)$ de Poisson
définie par :
$\displaystyle{
\theta(t)
:=
\sum_{n\in\mathbb{Z}}\, e^{-\pi tn^2}
=
1
+
2\sum_{n=1}^{+\infty}\, e^{-\pi tn^2},
}$
série qui est absolument convergente.
Admettons à présent l'équation
fonctionnelle suivante
(démontrée
dans l'
Encart 1) :
$\displaystyle{
\theta(t)
=
{\textstyle{\frac{1}{\sqrt{t}}}}\, \theta({\textstyle{\frac{1}{t}}}).
}$
En poursuivant le calcul interrompu dans
l'équation (1), et en découpant
l'intégrale
$\int_0^{+\infty}=\int_0^1+\int_1^{+\infty}$, on a alors :
$\begin{eqnarray}
\xi(s)
&=&
\frac{1}{2}\int_0^{+\infty}(\theta(t)-1)
t^{\frac{s}{2}-1}{d}t
\\
&=&
\frac{1}{2}\int_0^{1}
\big(\frac{1}{\sqrt{t}}
\theta(\frac{1}{t})-1)
t^{\frac{s}{2}-1}{d}t
+
\frac{1}{2}\int_1^{+\infty}(\theta(t)-1)t^{\frac{s}{2}-1}{d}t.
\end{eqnarray}$
On fait ensuite le changement de variable $u=\frac{1}{t}$ dans la
première intégrale pour obtenir :
$\begin{eqnarray}
\frac{1}{2}\int_0^{1}(\frac{1}{\sqrt{t}}
\theta(\frac{1}{t})-1)
t^{\frac{s}{2}-1} {d}t
&=&
-\frac{1}{2}\int_0^{1}t^{\frac{s}{2}-1}{d}t
+
\frac{1}{2}\int_0^{1}
\theta(\frac{1}{t})t^{\frac{s-3}{2}}{d}t
\\
&=&
-\frac{1}{s}
+
\frac{1}{2}\int_1^{+\infty}\theta(u)u^{-\frac{s+1}{2}}{d}u
\\
&=&
-\frac{1}{s}
+
\frac{1}{2}\int_1^{+\infty}u^{-\frac{s+1}{2}}{d}u
+
\frac{1}{2}\int_1^{+\infty}(\theta(u)-1)u^{-\frac{s+1}{2}}{d}u
\\
&=&
-\frac{1}{s}
+
\frac{1}{s-1}
+
\frac{1}{2}\int_1^{+\infty}(\theta(u)-1)u^{-\frac{s+1}{2}}{d}u.
\end{eqnarray}$
Si on additionne à cette derniére expression la
deuxième
intégrale, on obtient pour tout nombre complexe $s$ tel que
${
Re}(s)>1$, l'expression suivante, qui est visiblement invariante
par
$s\mapsto1-s$ :
$\displaystyle{
\xi(s)
=
-\frac{1}{s(1-s)}
+
\frac{1}{2}\int_1^{+\infty}\frac{(\theta(t)-1)}{t}\,
\big(t^{\frac{s}{2}}+t^{\frac{1-s}{2}}\big)\,\mathrm{d}t.
}$
La fonction $\theta(t)-1$ étant une fonction à
décroissance
rapide à l'infini, en appliquant le
théorème de Morera et le
théorème de Fubini, on obtient que la fonction
$s\mapsto
\int_1^{+\infty} \frac{(\theta(t)-1)}{t} \big(t^{\frac{s}{2}} +
t^{\frac{1-s}{2}}\big)\,\mathrm{d}t$ est holomorphe sur $\mathbb{C}$.
Par le théorème du prolongement analytique, la
formule
précédente vaut sur tout le domaine de
défininition de $\xi$, ce
qui permet de la prolonger en une fonction holomorphe sur $\mathbb{C}
\backslash \{0,1\}$. De plus, le membre de droite de cette formule
est invariant par $s\mapsto1-s$, donc $\xi$ l'est aussi, ce qui
implique que pour tout nombre complexe $s$ différent de $0$
et de
$1$, on a bien $\xi(s) = \xi(1-s)$.
De ces deux propositions qui préecèdent, on
déduit la :
Proposition 2.2.
Pour tout entier $n\geqslant1$, la valeur de $\zeta(2n)$ s'exprime en
fonction de $\pi^{2n}$ et du nombre de Bernouilli $B_{2n}$ :
$\displaystyle{
\zeta(2n)
=
(-1)^{n-1}\,
{\textstyle{\frac{(2\pi)^{2n}}{2(2n)!}}}\,B_{2n}.
}$
Démonstration.
On applique la Proposition 2.1 avec $s=2n$ :
$\displaystyle{
(2)~~\pi^{-n}\Gamma(n)\zeta(2n)
=
\xi(2n)
=
\xi(1-2n)
=
\pi^{n-\frac{1}{2}}\Gamma({\frac{1}{2}}-n)\zeta(1-2n).
}$
Afin de trouver la valeur de $\zeta(2n)$, calculons les trois inconnues
restantes de cette équation: $\Gamma(n)$, $\zeta(1-2n)$ et
$\Gamma(\frac{1}{2}-n)$. Tout d'abord, on sait que
$\Gamma(n)=(n-1)!$. Ensuite, d'après le Corollaire 2.1,
$\displaystyle{
\zeta(1-2n)
=
(-1)^{2n-1}
\frac{B_{2n}}{2n}
=
-\frac{B_{2n}}{2n}.
}$
Enfin, en appliquant récursivement la relation
$\Gamma(s)=(s-1)\,\Gamma(s-1)$, on obtient
$\begin{eqnarray}
\Gamma(\frac{1}{2})
=
(-\frac{1}{2})\Gamma({-\frac{1}{2}})
=
(-\frac{1}{2})(-\frac{3}{2})
\Gamma(-\frac{3}{2})
=
\cdots
=
(-1)^n\frac{1\cdot3\cdots(2n-1)}{2^n}\Gamma({\frac{1}{2}}-n)
=
(-1)^n\frac{(2n)!}{4^nn!}\Gamma(\frac{1}{2}-n).
\end{eqnarray}$
Le fait que $\Gamma(\frac{1}{2})=\sqrt{\pi}$ fournit alors
$\Gamma({\frac{1}{2}}-n)=(-1)^n\sqrt{\pi}\frac{4^nn!}{(2n)!}$.
En insérant ces valeurs dans l'équation (2),
on trouve $\zeta(2n)=(-1)^{n-1}\frac{(2\pi)^{2n}}{2(2n)!}B_{2n}$.
Puisque les nombres de Bernoulli $B_n$ sont rationnels, on a
$\zeta(2n) \in \pi^{2n}\mathbb{Q}$:
les valeurs de la
fonction zêta
aux entiers pairs s'expriment en multiples rationnels des puissances
de $\pi$}. Par conséquent, la transcendance de
$\pi$
(Lindemann 1882) entraîne
l'indépendance linéaire sur $\mathbb{Q}$ des
$\zeta(2n)$.
Inversement, on peut montrer
la transcendance de $\pi$ grâce à
l'étude des $\zeta(2n)$.
3.
Irrationalité de $\zeta(2)$ et de $\zeta(3)$
Apéry a donné en 1978 la
première preuve de l'irrationalité de
$\zeta(3)$, mais elle était relativement délicate
et les
contemporains de son annonce, notamment Van der Poorten, Beukers,
Cohen et Reyssat, ont mis quelques mois chacun de leur
côté et par
des voies différentes en pour compléter tous les
détails à leur
manière. On expose ici une preuve simplifiée due
à Beukers, qui
démontre l'irrationalité de $\zeta(3)$ avec des
techniques
d'intégrales, et aussi celle de $\zeta(2)$ de
manière similaire.
Commençcons par quelques préliminaires qui seront
utilisées pour
la démonstration.
- Soit $d_n = { ppcm}\{1,2, \cdots, n\}$ le plus petit multiple commun
des
$n$ premiers entier positifs.
Une estimation sur les exposants de ses facteurs premiers
donne :
$\begin{eqnarray}
d_n
=
\prod_{
p\leqslant n
, p~premier}
p^{[\frac{\log n}{\log p}]}
\leqslant
\prod_{
p\leqslant n,
p~premier}
p^{\frac{\log n}{\log p}}
\\
=&
\prod_{
p\leqslant n,
p~premier}
n
=
n^{\pi(n)}
=
n^{\frac{n}{\log n}+o(1)}
=
e^{n+o(n)},
\end{eqnarray}$
où on utilise le théorème des nombres
premiers :
$\pi(n) \sim \frac{n}{\log n}$.
Par conséquent, on a $d_n<3^n$ à partir
d'un certain rang.
- Les polynômes de Legendre, définis par
$P_n(X)=\frac{1}{n!}\frac{{d}^n}{{d}X^n}
\big( X^n(1-X)^n \big)$, ont
l'expression explicite :
$\displaystyle{
P_n(X)
=
\frac{1}{n!}\frac{{d}^n}{{d}X^n}\sum_{i=0}^n
(-1)^i
\left(\begin{array}{ c }n \\i \end{array} \right) X^{n+i}
=
\sum_{i=0}^n (-1)^i
\Big[
\left(\begin{array}{ c }n \\i \end{array} \right) -
\left(\begin{array}{ c }n+i \\i \end{array} \right)
\Big]\,X^i.
}$
Par conséquent les $P_n(X)$ sont à coefficients
entiers et $\deg(P_n)=n$.
Pour $r$,$s$ des entiers positifs, on introduit les deux
intégrales
impropres suivantes :
$\begin{eqnarray}
I_{r,s}
:=
\int_0^1\int_0^1\frac{x^ry^s}{1-xy}{d}x {d}y,
~~~~
J_{r,s}
:=
\int_0^1\int_0^1-\frac{\log xy}{1-xy}
x^ry^s {d}x {d}y.
\end{eqnarray}$
Comme les fonctions dans l'intégrale sont positives, ces
deux
intégrales ont une valeur bien définie dans
$\mathbb{R}\cup\{+\infty\}$.
Proposition 3.1
(i) Si $r>s\geqslant0$, alors $I_{r,s}$ et
$J_{r,s}$ sont des
nombres rationnels dont les dénominateurs divisent
respectivement
$d_r^2$ et $d_r^3$, c'est-à-dire :
$\displaystyle{
I_{r,s}
\in
\frac{1}{d_r^2}~\mathbb{Z} ~~~~~~
et~~~~~
J_{r,s}
\in
\frac{1}{d_r^3}\,\mathbb{Z}.
}$
(ii) Lorsque $r=s$, on a les expressions suivantes
de $I_{r,r}$ et de
$J_{r,r}$ :
- pour $r=0~$ : $~~I_{0,0}=\zeta(2)$ et $J_{0,0}=2\zeta(3)$
- pour $r\geqslant1~$:
$\displaystyle{~~
I_{r,r}
=
\zeta(2)-\frac{1}{1^2}-\frac{1}{2^2}-...-\frac{1}{r^2}~~ et
~~~~~~
J_{r,r}
=
2\Big(\zeta(3)-\frac{1}{1^3}-\frac{1}{2^3}-...-\frac{1}{r^3}\Big).
}$
Il découle immédiatement de cette proposition
que, pour tout $r\geqslant1$:
$\displaystyle{
I_{r,r}\in
\zeta(2)~\mathbb{Z}
+
\frac{1}{d_r^2}\mathbb{Z}
~~~~ et
~~~~
J_{r,r}\in\zeta(3)~\mathbb{Z}
+
\frac{1}{d_r^3}\mathbb{Z}.
}$
Démonstration.
On remarque que les fonctions dans l'intéegrale $I_{r,s}$ et
$J_{r,s}$
sont toutes positives, ce qui permet de permuter les signes
intégrale et
somme.
En développant donc $\frac{1}{1-xy}=\sum_{i=0}^{+\infty}~
(xy)^i $,
le calcul de $I_{r,s}$ et $J_{r,s}$ se ramène à
une série
d'intégrales qui se calculent aisément. En effet,
il est évident
que :
$\displaystyle{
\int_0^1\int_0^1x^py^q~{d}x ~{d}y
=
\frac{1}{(p+1)(q+1)},
}$
et aussi grâce à
$\log(xy)=\log(x)+\log(y)$ et par intégrations par parties
on a :
$\displaystyle{
\int_0^1\int_0^1-x^py^q\log(xy)~{d}x ~{d}y
=
\frac{1}{(p+1)^2(q+1)}+\frac{1}{(p+1)(q+1)^2}.
}$
On en déduit donc :
$\displaystyle{
I_{r,s}
=
\sum_{i=0}^{+\infty}\int_0^1\int_0^1x^{r+i}y^{s+i}~{d}x ~{d}y
=
\sum_{i=0}^{+\infty}\frac{1}{(r+i+1)(s+i+1)},
}$
$\begin{eqnarray}
J_{r,s}
=
\sum_{i=0}^{+\infty}\int_0^1\int_0^1-\log(xy)x^{r+i}y^{s+i}~{d}x
~{d}y
=
\sum_{i=0}^{+\infty}
\Big(\frac{1}{(r+i+1)^2(s+i+1)}+\frac{1}{(r+i+1)(s+i+1)^2}\Big).
\end{eqnarray}$
(i) Premier cas : $r>s$. En
écrivant les termes
dans la sommation
sous forme de différence, on arrive à simplifier
la sommation en une
somme finie de termes :
$\begin{eqnarray}
I_{r,s}
=
\sum_{i=0}^{+\infty}\frac{1}{(r+i+1)(s+i+1)}
&=&
\sum_{i=0}^{+\infty}
\frac{1}{r-s}\Big(\frac{1}{s+i+1}\frac{1}{r+i+1}\Big)
\\
&=&
\frac{1}{r-s}\Big(\frac{1}{s+1}+\cdots+\frac{1}{r}\Big).
\end{eqnarray}$
$\begin{eqnarray}
J_{r,s}
&
=&
\sum_{i=0}^{+\infty}
\Big(\frac{1}{(r+i+1)^2(s+i+1)}+\frac{1}{(r+i+1)(s+i+1)^2}\Big)
\\
&
=&
\sum_{i=0}^{+\infty}
\frac{1}{r-s}\Big(\frac{1}{(r+i+1)(s+i+1)}-\frac{1}{(r+i+1)^2}
+
\frac{1}{(s+i+1)^2}-\frac{1}{(r+i+1)(s+i+1)}\Big)
\\
&
=&
\frac{1}{r-s}\Big(\frac{1}{(s+1)^2}+\cdots+\frac{1}{r^2}\Big).
\end{eqnarray}$
Comme $r>s$ et puisque
$(r-s)|d_r$ et $(s+i)|d_r$ pour $i=1,2,\cdots,r-s$ on en
déduit que $I_{r,s}\in \frac{1}{d_r^2}\mathbb{Z}$ et
$J_{r,s}\in
\frac{1}{d_r^3}\mathbb{Z}$.
(ii) Deuxième cas : $r=s$. Le
calcul est
simple :
$\displaystyle{
I_{r,r}
=
\sum_{i=0}^{+\infty} \frac{1}{(r+i+1)^2}
=
\sum_{i=r+1}^{+\infty} \frac{1}{i^2}
=
\left\{\begin{array}{ccc} \zeta(2)&si & r=0 \\
\zeta(2)-\frac{1}{1^2}-\frac{1}{2^2}-\cdots-\frac{1}{r^2}
&{si}&
r\geqslant1.
\end{array}\right.}$
$\displaystyle{
J_{r,r}
=
2\sum_{i=0}^{+\infty} \frac{1}{(r+i+1)^3}
=
2\sum_{i=r+1}^{+\infty} \frac{1}{i^3}
=
\left\{\begin{array}{ccc}
2\zeta(3) & si & r=0 \\
2\Big(\zeta(3)-\frac{1}{1^3}-\cdots-\frac{1}{r^3}\Big)
&si& r\geqslant1.
\end{array}\right.}$
Ceci achève la preuve de la proposition.
Maintenant, on se servira du critère
d'irrationalité suivant, qui
est étudié plus en détail dans l'
Encart
2 :
Critère d'irrationalité d'un nombre
réel.
Un
nombre réel $x \in \mathbb{R}$ est irrationnel si et
seulement s'il
existe
deux suites d'entiers $(a_n)_{n\geqslant 0}$ et $(b_n)_{n\geqslant 0}$
telles que $a_nx+b_n\neq0$ et que $a_nx+b_n \rightarrow 0$.
Dans la suite on utilisera aussi le principe suivant dans
l'étude du
comportement asymptotique de certaines fonctions :
Principe (ou méthode) du col.
Soient $g$ et $w$ deux fonctions
holomorphes sur un ouvert simplement connexe $D$ du plan complexe.
Supposons qu'il existe $z_0\in D$ tel que $w'(z_0)=0$ et
$w''(z_0)\neq0$.
Si L est un chemin inclus dans $D$ le long duquel ${Re}(w(z))$ admet
un maximum global en $z_0$, alors on a :
$\displaystyle{
\Big(\Big|\int_L g(z)e^{nw(z)}\mathrm{d}z\Big|\bigg)^{\frac{1}{n}}
{\longrightarrow}
e^{{Re}(w(z_0))}~~lorsque~~{n\rightarrow\infty}}.
}$
Grâce à ces préliminaires, on peut
maintenant
établir l'irrationalité de $\zeta(2)$ et de
$\zeta(3)$.
Théorème 3.1.
Le nombre $\zeta(2)$ est irrationnel.
Démonstration.
Soit $M_n$ l'intégrale suivante :
$\displaystyle{
M_n
=
\int_0^1\int_0^1\frac{(1-y)^nP_n(x)}{1-xy}\mathrm{d}x ~\mathrm{d}y.
}$
Comme $P_n\in \mathbb{Z}[X]$ et puisque $\deg (P_n)=n$, en
développant le numérateur de
l'intégrande de $M_n$ en monômes
de $x$ et $y$, on voit que $M_n$ est une combinaison à
coefficients
entiers des $I_{r,s}$ avec $n\geqslant r \geqslant s \geqslant0$.
D'aprés la Proposition 3.1, il existe donc des entiers
$A_n$,
$B_n$ tels que :
$\displaystyle{
M_n
=
\frac{1}{d_n^2}(A_n+B_n\zeta(2)).
}$
Puisque $M_n$ est visiblement $> 0$, on en
déduit :
$\displaystyle{
0<|A_n+B_n\zeta(2)|
=
d_n^2|M_n|.
}$
Afin de pouvoir appliquer le critère
d'irrationalité énoncé à
l'instant,
il serait avantageux de montrer que $M_n$ tend suffisamment vite vers
$0$ pour que $d_n^2 \, \vert M_n \vert$ tende aussi vers
zéro, et tel
est le cas, tandis que pour $\zeta (5)$, nulle démonstration
analogue n'existe!
En appliquant $n$ intégrations par parties par rapport
à $x$, on
voit aisément que :
$\displaystyle{
M_n
=
(-1)^n\int_0^1\int_0^1\frac{y^n(1-y)^n x^n(1-x)^n}{(1-xy)^{n+1}}
\neq
0.
}$
Dans l'intégrande le terme
$\displaystyle{\frac{y(1-y)x(1-x)}{1-xy}}$
apparaît à
la puissance $n$. D'après le principe du col, il faut
rechercher le
maximum de la fonction $\displaystyle{(x,y)\mapsto
\frac{y(1-y)x(1-x)}{1-xy}}$
définie sur $[0,1]^2 \backslash \{(1,1)\}$. Etudions donc
cette
fonction de deux variables : on montre d'abord, pour une
simple raison
de symétrie, que lorsque le produit $xy$ est
fixé, le maximum est
atteint le long de la médiane $\{ x=y \}$. Pour $0\leqslant
x,y
\leqslant1$, si on pose $\displaystyle{t=\sqrt{xy}}$, d'où
$0\leqslant
t\leqslant1$
et $x+y\geqslant2t$, on peut majorer :
$\displaystyle{
\frac{y(1-y)x(1-x)}{1-xy}
=
\frac{t^2(1-y-x+t^2)}{1-t^2}
\leqslant
\frac{t^2(1-2t+t^2)}{1-t^2}
=
\frac{t^2(1-t)}{1+t}.
}$
On se ramène donc à une fonction à une
variable réelle. Par
une étude simple de la dérivée, on
sait que cette dernière
fonction de $t$ prend son maximum
$\displaystyle{\Big(\frac{\sqrt{5}-1}{2}\Big)^5}$ en
$\displaystyle{t=\frac{\sqrt{5}-1}{2}}$. En majorant ainsi la fonction
originale de
deux variables par son maximum :
$\displaystyle{
\frac{y(1-y)x(1-x)}{1-xy}
\leqslant
\Big(\frac{\sqrt{5}-1}{2}\Big)^5,
}$
on déduit aisément l'estimation :
$\displaystyle{
0<|M_n|
\leqslant
\Big(\frac{\sqrt{5}-1}{2}\Big)^{5n}\int_0^1\int_0^1\frac{1}{1-xy}
~\mathrm{d}x ~\mathrm{d}y
=
\Big(\frac{\sqrt{5}-1}{2}\Big)^{5n}\zeta(2).
}$
Grâce à l'inégalité
précédente, pour $n$ suffisamment
grand tel que $d_n<3^n$ (rappelons que $d_n \sim e^n$), on
obtient la
majoration souhaitée :
$\displaystyle{
0<|A_n+B_n\zeta(2)|
=
d_n^2|M_n|
\leqslant
d_n^2\Big(\frac{\sqrt{5}-1}{2}\Big)^{5n}\zeta(2)
<
9^n\Big(\frac{\sqrt{5}-1}{2}\Big)^{5n}\zeta(2).
}$
Ce dernier majorant tend vers $0$ lorsque
$n\rightarrow\infty$. D'après le critère
d'irrationalité, le
nombre $\zeta(2)$ est donc irrationnel, comme annoncé.
Pour l'irrationalité de $\zeta(3)$, on suit le
même schéma de
démonstration, en s'intéressant à une
autre intégrale :
Theoreme 3.2.
Le nombre $\zeta(3)$ est irrationnel.
Démonstration. On regarde maintenant
l'intégrale suivante :
$\displaystyle{
N_n
=
\int_0^1\int_0^1 -P_n(x) P_n(y)\frac{\log(xy)}{1-xy}~\mathrm{d}x
\mathrm
{d}y.
}$
Le développement de $P_n(x)P_n(y)$ en somme des termes en
$x^ry^s$ est
à coefficients entiers, avec $0\leqslant r,s\leqslant n$.
Donc $N_n$ est la somme des $J_{r,s}$ à coefficients
entiers,
$0\leqslant r,s\leqslant n$.
D'après la Proposition 3.1, il existe des entiers
$(C_n)_{n\geqslant0}$, $(D_n)_{n\geqslant0}$
tels que $N_n=\frac{1}{d_n^3}(C_n+D_n\zeta(3))$.
On a donc :
$\displaystyle{
0<|C_n+D_n\zeta(3)|
=
d_n^3|N_n|.
}$
Comme pour $\zeta(2)$, cherchons à démontrer que
$N_n$ tend assez
rapidement vers $0$ pour
pouvoir utiliser le critère d'irrationalité.
On remarque que $\displaystyle{-\frac{\log(xy)}{1-xy}
=\int_0^1\frac{1}{1-(1-xy)z}~\mathrm{d}z}$, ce que l'on applique
à l'expression
précédente :
$\displaystyle{
N_n
=
\int_0^1\int_0^1\int_0^1\frac{P_n(x)P_n(y)}{1-(1-xy)z}~\mathrm{d}x~\mathrm
{d}y~\mathrm{d}z.
}$
Maintenant on effectue $n$ intégrations par parties par
rapport à $x$, ce
qui donne :
$\displaystyle{
N_n
=
\int_0^1\int_0^1\int_0^1\frac{x^n(1-x)^n y^n z^n
P_n(y)}{(1-(1-xy)z)^{n+1}}~\mathrm{d}x~\mathrm{d}y~\mathrm{d}z.
}$
Par le changement de variable $\displaystyle{z=\frac{1-w}{1-(1-xy)w}}$,
on
obtient :
$\displaystyle{
N_n
=
\int_0^1\int_0^1\int_0^1\frac{x^n (1-w)^n P_n(y)}{1-(1-xy)w}\mathrm
{d}x~\mathrm{d}y~\mathrm{d}w.
}$
On applique ensuite $n$ intégrations par parties par rapport
à y,
ce qui donne :
$\displaystyle{
N_n
=
\int_0^1\int_0^1\int_0^1\frac{x^n(1-x)^n y^n(1-y)^n
w^n(1-w)^n}{(1-(1-xy)w)^{n+1}}~\mathrm{d}x~\mathrm{d}y~\mathrm{d}w\neq0.
}$
Le terme $\displaystyle{\frac{x(1-x)y(1-y)w(1-w)}{1-(1-xy)w}}$
apparaît à la puissance
$n$ dans l'intégrande. Pour pouvoir
appliquer le principe du col, il faut trouver la
maximum de cette fonction. Comme
pour $\zeta (2)$, on remarque la symétrie par rapport
à $x$ et à $y$, et
on essaie de se
ramener au cas $x=y$. Pour $0\leqslant x,y,w\leqslant1$, si on pose
$\displaystyle{t=\sqrt{xy}}$, alors
$x+y\geqslant2t$ et l'on peut majorer :
$\displaystyle{
x(1-x)y(1-y)
=
t^2(1-x-y+t^2)
\leqslant
t^2(1-2t+t^2)
=
t^2(1-t)^2.
}$
De plus, on peut réécrire :
$\displaystyle{
\frac{w(1-w)}{1-(1-xy)w}
=
\frac{w(1-w)}{1-(1-t^2)w}.
}$
On fixe provisoirement $t$ et on
fait varier $w$. Pour un $t$ donné, cette
fonction en $w$ prend son maximum $\displaystyle{ \frac{1}{(1+t)^2}}$
en
$\displaystyle{ w=\frac{1}{1+t}}$. En multipliant les
inégalités
précédentes on
obtient :
$\displaystyle{
\frac{x(1-x)y(1-y)w(1-w)}{1-(1-xy)w}
\leqslant
\frac{t^2(1-t)^2}{(1+t)^2}.
}$
Cette dernière fonction ne
dépend que d'une variable réelle. Grâce
à une simple
étude de sa dérivée, on
vérifie qu'elle prend son
maximum
$\displaystyle{(\sqrt{2}-1)^4$ en $t=\sqrt{2}-1}$.
En majorant donc la fonction originale par son maximum :
$\displaystyle{
\frac{x(1-x)y(1-y)w(1-w)}{1-(1-xy)w}
\leqslant
(\sqrt{2}-1)^4,
}$
on obtient aisément l'estimation :
$\begin{eqnarray}
0
<
|M_n|
\leqslant
(\sqrt{2}-1)^{4n}\int_0^1\int_0^1\int_0^1\frac{1}{1-(1-xy)w}\mathrm
{d}x\mathrm{d}y\mathrm{d}w
\\=
(\sqrt{2}-1)^{4n}\int_0^1\int_0^1-\frac{\log(xy)}{1-xy}\mathrm{d}x\mathrm{d}y
=
2\zeta(3)(\sqrt{2}-1)^{4n}.
\end{eqnarray}$
Grâce à cette
dernière inégalité, pour $n$
suffisamment grand tel
que $d_n<3^n$, on a la majoration
souhaitée :
$\displaystyle{
0<|C_n+D_n\zeta(3)|
=
d_n^3|N_n|\leqslant 2\zeta(3)d_n^3(\sqrt{2}-1)^{4n}
<
2\zeta(3)27^n(\sqrt{2}-1)^{4n}.
}$
Ce dernier terme tend vers $0$ lorsque $n\rightarrow\infty$.
D'après
le
critère d'irrationalité, le nombre $\zeta(3)$ est
irrationnel.
Malheureusement, on n'arrive pas à
généraliser
directement cette
méthode pour démontrer l'irrationalité
de $\zeta(5)$, qui reste
toujours un mystère, tout comme l'irrationalité
des autres
$\zeta(2n+1)$. Pourtant, une généralisation est
envisageable, car
dans l'étude des polylogarithmes, il y a des
intégrales qui
ressemblent à celles utilisées dans cette section
pour la preuve
de l'irrationalité de $\zeta(2)$ et de $\zeta(3)$.
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