Un florilège de problèmes anciens

D. Daumas, M. Guillemot, O. Keller, R. Mizrahi, M. Spiesser (IREM de Toulouse)
 


Article déposé le 22/02/2012. Editeur: Eric Vandendriessche. Toute reproduction pour publication ou à des fins commerciales, de la totalité ou d'une partie de l'article, devra impérativement faire l'objet d'un accord préalable avec l'éditeur (ENS Ulm). Toute reproduction à des fins privées, ou strictement pédagogiques dans le cadre limité d'une formation, de la totalité ou d'une partie de l'article, est autorisée sous réserve de la mention explicite des références éditoriales de l'article. 

 

SOMMAIRE

 

Introduction

1. Un air concret pour des problèmes de restes

1.1 Un problème de voleurs par Ch’in Chiu-shao dans le Shu-shu chiu-chang, 1247

1.2 Moyen Âge et Renaissance en Europe : la marchande et les œufs cassés

1.3 Un cas impossible pour faire muser quelque musart

1.4 Un problème de calendrier : Louis-Benjamin Francoeur, Cours complet de mathématiques pures, 1809

1.5 À titre d’anecdote : un casse-tête pour des professeurs proposé par G.H. Hardy et E.M. Wright, dans An Introduction to the Theory of Numbers (1938)

2. Une volonté de généralisation

2.1 L’arithmétique de Ratisbonne : algorithme général dans le cas de trois modules premiers entre eux deux à deux

2.2 L’infinité du nombre de solutions montrée par Ibn al-Haytham

Bibliographie


 

Dans ce chapitre nous avons sélectionné deux types de sources. D’une part, des énoncés choisis pour leur présentation imagée du problème : sous un habillage « concret  », ces textes nous montrent entre autres l’imagination au service des mathématiques. C’est ce qui a motivé leur regroupement et non les mathématiques mises en œuvre pour la résolution. Certaines solutions sont « brutes », d’autres sont accompagnées de commentaires, d’explications, ou de véritable justification mathématique. Le second type de source regroupe deux documents anciens, l’un du Xe siècle, l’autre du XVe siècle. Ce qu’ils ont en commun, et qui est remarquable pour leurs époques d’écriture, c’est que l’algorithme permettant de parvenir aux solutions, mis en place sur des exemples numériques, est accompagné d’une description qui se veut générale.

1- Un air concret pour des problèmes de restes

Quelle que soit son origine, astronomique par exemple (voir le Chapitre 1), le thème des congruences simultanées a suscité l’imagination, et l’histoire nous fournit de nombreuses présentations sous la forme d’énoncés « concrets ». Pourquoi ces guillemets ? Parce que, comme la plupart des énoncés qui suivent le montrent de manière évidente, une histoire est contée, une question est posée, qui n’ont aucun écho dans le monde réel. Pourquoi habiller alors ainsi un énoncé mathématique ? Entre autres raisons, parce qu’une apparence de réalité quotidienne le rend plus attirant, moins abstrait qu’un problème du style : trouver un ou des nombres tel(s) que ... Ainsi, il n’est pas étonnant de voir apparaître de tels énoncés dans un contexte d’enseignement. Nous donnerons peu d’explications sur les solutions proposées; nous renvoyons pour cela au premier chapitre.

1.1 Un problème de voleurs par Ch’in Chiu-shao dans le Shu-shu chiu-chang, 1247 [1]

Le Shu-shu chiu chang, ou « Neuf chapitres d’écrits sur le calcul », également transcrit sous la forme Shushu jiuzhang, a été écrit en 1247, au cours d’une période florissante pour les mathématiques chinoises. Son auteur, Ch’in Chiu-shao (alias Qin Jiushao) est reconnu en Chine comme l’un des plus grands mathématiciens. Originaire du Sichuan actuel, il a occupé différents postes dans l’administration. C’est dans le premier chapitre de son livre que l’on trouve la fameuse règle ta-yen («  la grande extension », transcrite aussi sous la forme dayan), qui lui a valu cette reconnaissance scientifique. C’est un algorithme général régissant les problèmes de congruences simultanées, comme nous l’avons dit dans le Chapitre 1 [2]. Ch’in Chiu-shao écrit dans sa préface : « Les fabriquants de calendriers, dans la conception de leurs méthodes, ont fait grand usage de celle-ci [3]  ». Lui-même dit avoir fait ses études au « service astronomique [4]  ». L’éventualité d’une origine astronomique des problèmes est discutée dans l’introduction historique (Chapitre 1).

Il propose dix problèmes indéterminés sur les restes, tous accompagnés d’une longue procédure de résolution en application de la règle ta-yen. Nous avons choisi le neuvième problème, dont nous ne citons que l’énoncé et la plus petite solution. Il met en scène des voleurs de riz [5].

Dans un magasin de riz, des voleurs ont dérobé 3 tonneaux d’une certaine sorte de riz. Ces tonneaux étaient pleins jusqu’en haut, mais leur capacité exacte n’est pas connue. Les trois tonneaux ont été localisés. Dans celui de gauche, on a trouvé qu’il restait 1 ko. Dans celui du milieu, il reste 1 shêng 4 ko ; dans celui de droite, il reste 1 ko. Les trois voleurs ayant été pris, le premier confessa avoir puisé dans le tonneau de gauche avec une pelle à écurie et avoir rempli celle-ci plusieurs fois, en mettant le contenu dans son sac. Le second confesse avoir enlevé son sabot de bois, et l’avoir utilisé pour vider le tonneau du milieu ; le troisième qu’il avait pris une écuelle et l’avait utilisée pour mettre dans son sac le riz du tonneau de droite. Ils prirent le riz chez eux pour le manger et, un bon moment s’étant écoulé, ils ne se rappellent plus les quantités. On a trouvé que la pelle contenait 1 schêng et 9 ko ; le sabot 1 schêng et 7 ko ; l’écuelle 1 schêng et 2 ko. Quel est le volume de riz volé et combien chacun a-t-il pris ?

Remarque : On sait que 10 ko valent 1 schêng.

Chaque tonneau a la même capacité, c’est ce que l’on cherche. Le problème consiste à rechercher un nombre $N$ tel que :



$\displaystyle{\left\{\begin{array}{l l} N \equiv 1(mod19) \\ N \equiv 14(mod17) \\ N \equiv 1(mod12)\end{array}\right.}$

Plus petite solution : le volume de riz est 3193 ko, le premier voleur a rempli 168 fois sa pelle, le second a rempli 187 fois le sabot et le troisième 266 fois son bol.

1.2 Moyen Âge et Renaissance en Europe : la marchande et les œufs cassés

Il est une manière de poser le problème des restes qui eut beaucoup de succès en Europe à partir du XVe siècle. C’est une histoire d’œufs cassés, déclinée de manière plus ou moins inventive, comme une devinette.

La trame commune est celle-ci : en se rendant au marché, une marchande se fait bousculer et tous ses œufs sont cassés. Elle souhaite se les faire rembourser, mais malheureusement n’en connaît pas le nombre. En revanche, elle les a comptés par paquets égaux de différentes tailles (souvent 2 par 2, …., 7 par 7) et se rappelle combien il lui en reste à chaque comptage. Un Livre de chiffres et de Getz imprimé à Lyon en 1502 imagine l’énoncé suivant : « Une jeune fille portait des œufs à vendre au marché et rencontra un jeune homme qui voulait jouer avec elle, rompit et cassa tous les œufs et ne voulut pas les payer. Elle le fit comparaître devant le juge. Le juge le condamna à payer les œufs mais le juge ne savait combien il y en avait et le demanda à la fille. Elle dit qu’elle n’en savait rien car elle était jeune et ne savait point compter, etc [6]. »

Nous ne connaissons pas le texte créateur de ce thème mais certaines des données numériques qui suivent laissent penser que le problème des œufs cassés n’est qu’un habillage nouveau d’un ‘problème baladeur’ beaucoup plus ancien, déjà évoqué dans notre introduction historique (Chapitre 1). Dans ses Problèmes plaisants et délectables, Claude Gaspar Bachet de Méziriac (1581-1638) [7] situe cet exemple dans le chapitre intitulé : « S’ensuivent quelques autres petites subtilités des nombres qu’on propose ordinairement », chapitre qui reprend donc un corpus déjà constitué et répandu de problèmes récréatifs. Celui de la marchande est d’abord énoncé de manière abstraite, puis Bachet reprend l’énigme des œufs cassés car, écrit-il, « cette question se pose d’ordinaire ainsi ».

L’histoire des œufs cassés est utilisée dans des traités byzantins du XVe siècle, et elle est aussi particulièrement prisée dans les traités d’arithmétique commerciale [8]. Ces ouvrages ont essaimé dans toute l’Europe au XVIe siècle mais c’est dans les grandes cités italiennes qu’ils ont pris naissance dès la fin du XIIIe siècle. Ils sont le fruit d’influences diverses, dont l’une des plus importantes est le Liber abbaci de Fibonacci, écrit au début du XIIIe siècle (1202 et 1228). Pour cette raison, on les nomme « traités d’abbaque » [9]. Tous ces traités contiennent une foule d’exemples et de problèmes, certains calqués sur le monde quotidien des marchands et directement utiles au commerce, d’autres plus éloignés, voire disjoints de ces préoccupations. C’est dans cette dernière classe que l’on peut situer le problème des œufs, qui est souvent inscrit dans un ensemble de problèmes « récréatifs », sans unité mathématique.

Fibonacci, nous l’avons dit, a été une source d’inspiration importante pour le corpus de l’abbaque. Pourtant, ce n’est pas du Liber abbaci que vient l’énigme des œufs cassés. Fibonacci y expose plusieurs exercices de congruences simultanées, tous dans un contexte abstrait de recherche d’entiers [10].

Nous donnons ci-dessous quelques exemples tirés d’ouvrages appartenant au réseau franco-occitan des arithmétiques commerciales. Tous datent de la seconde moitié du XVe siècle. Le texte est proposé d’une part dans une traduction moderne, d’autre part dans sa langue originale.

Le premier énoncé est extrait d’un traité anonyme, dont la copie est terminée à Lyon en 1476. La version qui suit est traduite en français actuel. Le texte original est au-dessous.

Traicté de la praticque d’algorisme, Cesena, Bibl. Malatestiana, ms S-26-6, f. 111v- 112r.

Traduction moderne
« Une bonne femme porte à vendre au marché un panier plein d’œufs. Et comme elle y allait, vint un homme qui lui fit tomber son panier et casser ses œufs. La-dessus, il fut condamné en jugement à les lui payer. Mais la bonne femme ne savait dire le nombre d’œufs sinon que, si elle les comptait par 4 par 4, il en demeurait 1 ; et aussi, quand elle les comptait 5 par 5, 6 par 6 et 7 par 7, toujours il lui en demeurait 1. À savoir combien d’œufs portait cette bonne femme.
Réponse : multiplie 4 par 5 et cela fait 20, et 20 par 6 et cela fait 120 et puis 120 par 7 et cela fait 840. Ajoute 1 qui demeure à chaque fois qu’on les compte et il y en aura 841. Et c’est le nombre d’œufs que portait la bonne femme.
Et note que de tels problèmes n’ont pas une réponse unique. Car si l’on voulait, on pourrait dire qu’elle en portait plus, comme 1681 et plusieurs autres nombres que l’on pourrait trouver, mais si l’on voulait, on pourrait contraindre et obliger de telles questions à avoir une seule réponse de cette manière en disant : on demande combien d’œufs au moins la bonne femme portait au marché. »

Texte original
« Il est une bonne femme qui porte vendre au marché ung plain panier d’eufz. Et ainsi comme elle y alloit vint ung homme qui luy fist tomber son panier et rompre ses eufz. Par quoy il fust condamné en jugement a les poyer. Mais la bonne femme ne savoit dire le nombre des eufz si non que quant elle les comptoit 4 à 4 il en demouroit 1 et aussi quant elle les comptoit 5 a 5 et 6 a 6 et 7 a 7 tousjours luy en demouroit 1. Assavoir […] quantz eufz portoit celle bonne femme.
Response : multiplie 4 par 5 et monte 20, et 20 par 6 et monte 120 et puis 120 par 7 et monte 840. Adjouste y 1 qui demoure a chascune foiz que l’on les compte et seront 841. Et tant d’eufz portoit la bonne femme.
Et note que de telles raisons ne requierent pas response necessaire. Car qui vouldroit l’on pourroit dire qu’elle en portoit plus comme 1681 et plusieurs autres nombres que l’on pourroit trouver, mais qui vouldroit l’on pourroit contraindre et necessiter telles questions a une seule response par celle maniere en disant l’on demande quantz eufz du meins portoit la bonne femme au marché. »

Comme c’est très souvent le cas dans ce type d’ouvrage didactique, le problème est bâti en deux temps : l’énoncé d’abord, qui se termine par la question (« à savoir… ») puis la réponse qui est en général une simple procédure de calcul, non justifiée. Ici, toutefois, l’auteur fait la remarque que la solution n’est pas unique si aucune contrainte supplémentaire n’est fournie.

Le cas présenté est simple puisque tous les restes sont égaux. L’auteur aurait pu trouver une plus petite solution en considérant le PPCM de 4, 5, 6, 7, soit 420 et non leur produit. Tous les entiers de la forme $420k + 1$ sont solutions.

Le deuxième exemple est tiré du Triparty en la science des nombres de Nicolas Chuquet et rapporte le cas des nombres multiples de 7 et dont le reste est 1 dans la division par 2, 3, 4, 5 et 6. Le Triparty contient, outre les trois parties du traité lui-même, trois appendices : l’un enseigne l’art de la marchandise, un autre la géométrie pratique, le premier enfin est un ensemble de problèmes variés et c’est dans celui-ci que se trouve l’énoncé qui nous intéresse.

Nicolas Chuquet a vécu au XVe siècle, il a fait des études de médecine à Paris, puis s’est installé à Lyon. Dans ce haut-lieu du commerce et de la banque, il a côtoyé marchands et financiers, italiens pour beaucoup, et il a enseigné les mathématiques, en particulier l’arithmétique pratique. Il est le seul mathématicien français de ce siècle dont le nom reste aujourd’hui connu. Le Triparty en la science des nombres, terminé en 1484, n’a pas eu l’impact qu’il aurait mérité. Le manuscrit n’a pas circulé, il a été longtemps égaré puisqu’il n’a été redécouvert qu’au XIXe siècle. Son influence a donc été très faible et on peut le regretter, notamment pour le développement de l’algèbre, exposée dans ce livre d’une façon que l’on juge actuellement très novatrice.

Nicolas Chuquet, appendice au Triparty, f. 202v-203r.

Traduction moderne
« Une femme portait des œufs à vendre au marché. En y allant survint un homme qui fit tomber ses œufs et fut contraint de les payer. Mais cette femme ne savait le compte de ses œufs, sauf qu’elle savait que, quand elle les comptait 2 par 2, 3 par 3, 4 par 4, 5 par 5, 6 par 6, il lui en demeurait toujours 1. Et quand elle les comptait par septaines, à savoir 7 par 7, il ne lui restait rien. À savoir combien d’œufs pouvait avoir cette femme.
Pour faire de telles résolutions, il convient de trouver un nombre impair qui ne puisse pas être divisé < exactement > par 2, 3, 4, 5, 6 mais < qui puisse l’être > par 7. Un tel nombre peut être recherché en prenant premièrement 21 qui peut être entièrement divisé par 7, et aussi par 3. Et pour cela on peut prendre 35. Mais il a une familiarité avec 5. Et pour le trouver, < il faut > chercher au delà et prendre 49. Mais quand il est divisé par 5, il reste 4. Et pour cela on peut voir avec 63 ou avec 77 et ainsi avec les autres nombres qui peuvent être entièrement divisés par 7. Et de cette manière on pourra trouver 301. Et c’est le nombre d’œufs que pouvait avoir cette femme.
Toutefois, celui qui veut chercher de telles solutions grâce à une règle peut multiplier 2 par 3 et ce qui en vient par 4 et encore par 5 et puis par 6 et à cette dernière multiplication ajouter 1 et ainsi on trouvera 721. De plus, si on multiplie 721 par lui-même, la multiplication donne 519 841 qui est […] une autre réponse vraie. Et il apparaît ainsi que de telles questions peuvent avoir plusieurs et diverses réponses. Et encore, si on multipliait 301 par lui-même on aurait 90 601 qui vérifie la propriété ci-dessus. »

Texte original
« Une femme portoit d’eufz vendre au marché. En alant survint ung homme qui luy fist tomber ses eufz dont il fust contraint a les payer. Mais celle femme ne scavoit le compte de ses eufz fors que quant elle les comptoit 2 a 2, 3 a 3, 4 a 4, 5 a 5 et 6 a 6 tousjours luy en demouroit 1. Et quant elle les comptoit par septaines, c’est assavoir 7 a 7, il ne luy demouroit riens. Assavoir moult quantz eufz povoit avoir celle femme.
Pour faire telles raisons, il convient trouver ung nombre impar qui ne se puisse entierement partir par 2, 3, 4, 5, 6 fors que par 7. Et tel nombre se peult ainsi enquerir en prenant premierement 21 qui se peult entierement partir par 7 et si fait il par 3 et pour ce l’on peult prendre 35. Mais il a familiarité avec 5 et pour tant convient encercher oultre et prandre 49. Mais quant il est party par 5 il reste 4. Et pour ce l’on peult veoir de 63 ou de 77 et ainsi des aultres nombres qui se pevent entierement partir par 7. Et en ceste maniere l’on pourra trouver 301. Et tant de oeufz povoit avoir celle femme.
Touteffoiz qui telles raisons veult enquerir par rigle il peult multiplier 2 par 3 et ce qui en vient par 4 et encores par 5 et puis par 6 et a celle derreniere multiplicacion adjouster 1 et par ainsi l’on trouvera 721. Et tant de oeufz povoit avoir celle femme. Plus, qui multiplie 721 en soy monte la multiplicacion 519841 qui est […] une aultre response vraye. Ainsi appert que telles questions pevent avoir plusieurs et diverses responses. Encores qui multipliroit 301 en soy il auroit 90601 qui est de la proprieté dessus. »

Contrairement à l’exemple précédent, Chuquet n’impose pas d’emblée une règle. Il procède par essais successifs en passant en revue les multiples de 7 jusqu’à ce qu’il trouve un nombre qui convient. C’est 301. Il donne ensuite une règle, sans la justifier, qui lui fournit une solution différente puis fait enfin remarquer la multiplicité des solutions. Il en fournit deux autres en élevant les deux solutions initiales au carré, lesquels nombres restent bien sûr multiples de 7 et toujours congrus à 1 modulo les autres nombres.

Dans les différentes versions des problèmes d’œufs, nous retrouvons les cas particuliers fréquents que signalera Euler au XVIIIe siècle dans son mémoire, Solution du problème arithmétique : trouver un nombre qui, divisé par des nombres donnés, donne des restes donnés (voir le chapitre 4). Le mathématicien bâlois traite des restes égaux dans le paragraphe 21, de la situation décrite par Chuquet au paragraphe 22, et au paragraphe 23, des nombres divisibles par 7 dont les restes respectifs dans les divisions par 2, 3, 4, 5, 6 sont 1, 2, 3, 4, 5, soit inférieurs d’une unité au module correspondant. Nous retrouvons ce dernier cas dans des traités de maîtres d’abbaque italiens du XVe siècle, dans la Logistica du mathématicien français de la Renaissance Jean Borrel [11], etc.

Voici, traduit du latin, l’énoncé que nous propose Borrel [12] :



« Une jeune fille de ferme portait ses œufs au marché, dans un panier sur sa tête. Dans une ruelle étroite, un cavalier en passant la bouscula et brisa entièrement sa charge. Voulant la dédommager de cette perte, il lui demanda combien d’œufs elle avait. Cette dernière ignorant le nombre exact, répond innocemment : en les assemblant par deux il m’en restait finalement un. Les assemblant par trois il en restait deux, par quatre, trois, puis cinq, quatre, six, cinq, et enfin les comptant par sept je n’avais aucun reste. On demande combien d’œufs il y avait dans le panier. »

Le problème est bien celui de trouver un nombre congru à 1 modulo 2, à 2 modulo 3, à 3 modulo 4, à 4 modulo 5, à 5 modulo 6 et à 0 modulo 7.

Borrel cherche d’abord un entier impair non multiple de 3 ni de 5. Les premiers qui conviennent sont 7, 11, 13, 17, … De plus le nombre cherché doit être un multiple de 7; on regarde alors 49, 77, 91, 119. Aucun des trois premiers ne répond à toutes les demandes. Il faut arriver à 119 pour satisfaire toutes les conditions. Le nombre cherché est donc 119. C’est une méthode logique et fréquente, que nous avons déjà vue à l’œuvre chez Chuquet. Encore faut-il savoir qu’il existe des solutions !

1.3 Un cas impossible pour faire muser quelque musart

Sur le même ton du divertissement, l’auteur anonyme du Traicté de la praticque d’algorisme propose un problème sans solution, à la suite de celui qui est reproduit plus haut (fol. 112r) :

Traduction moderne
« Autre problème pour amuser quelque personne. Trouvez un nombre tel que, quand on le divisera par 3, par 4 et par 5, il reste toujours 1; et quand on le divisera par 6, il ne demeure rien. Cette question est impossible et la cause en est que 3, qui est un des diviseurs, est contenu en 6 qui est le dernier diviseur. Et quand un nombre est divisé par 6, s’il ne reste rien, […] il en sera ainsi s’il est divisé par 3. C’est pourquoi cette question n’est pas fondée en raison. Et par conséquent elle est impossible. Mais de telles questions sont bonnes pour faire ‘muser quelque musard’. »

Texte original
« Autre raison pour faire muser quelque personne. Trouvez un nombre que quant on le partira par 3, par 4 et par 5, que reste tousjours 1; et quant on le partira par 6, que ne demoure riens. Ceste question est impossible et la cause si est pour ce que 3 qui est ung des partiteurs est contenu en 6 qui est le derrenier partiteur. Et quant ung nombre est divisé par 6, s’il ne reste rien, […] sera il s’il est party par 3. Par quoy ceste question ne est pas fondée en raison. Et par consequent elle est impossible. Mais telles questions sont pour faire muser quelque musart. »

1.4 Un problème de calendrier : Louis-Benjamin Francoeur, Cours complet de mathématiques pures, 1809

Francoeur (1773-1849) étudia les mathématiques sous la direction de Gaspard Monge, et entra à l'École polytechnique où il obtint en 1798 la place de répétiteur d'analyse. Il fut successivement professeur de mathématiques à l'école centrale de la rue Saint-Antoine (plus tard le lycée Charlemagne), examinateur à l'École polytechnique, professeur à la faculté des sciences de Paris, et publia divers ouvrages de mathématiques et d'astronomie. Les événements de 1815 lui firent perdre ses places au lycée Charlemagne et à l'École polytechnique. Membre fondateur de la Société pour l'enseignement élémentaire, il s'appliqua particulièrement à faire pénétrer dans les écoles primaires l'enseignement du dessin [13].

Cet exemple nous ramène aux sources astronomiques possibles du problème des restes. Le lecteur pourra se reporter au paragraphe 28 (cf. chapitre 4) du texte d’Euler pour un problème de chronologie, qui est commenté par nos soins. 


 
Louis-Benjamin Francoeur, Cours complet de mathématiques pures, Paris, Ve, Bernard et F. Didot, 1809, p. 150

 

On ne verra pas la prochaine année qui sera 2304 !

1.5 À titre d’anecdote : un casse-tête pour des professeurs proposé par G.H. Hardy et E.M. Wright, dans An Introduction to the Theory of Numbers (1938)

Très grand classique des mathématiques, œuvre de deux mathématiciens britanniques qui ont enseigné dans de prestigieuses universités, An Introduction to the Theory of Numbers a été publié pour la première fois en 1938. Depuis, ce livre est sans cesse réédité. Il est traduit en français pour la première fois en 2007. Le problème qui suit est extrait de cette traduction [14].

Les auteurs traitent des congruences linéaires modulo des nombres deux à deux premiers entre eux puis écrivent : « Le problème est plus compliqué si les congruences ne sont pas prises modulo des nombres deux à deux premiers entre eux ». Nous nous contentons ici de donner une illustration.

« Six professeurs commencent une série de cours respectivement un lundi, un mardi, un mercredi, un jeudi, un vendredi et un samedi, et annoncent leur intention de donner leurs cours tous les deux, trois, quatre, un, six et cinq jours respectivement. Le règlement de l’université interdit les cours le dimanche (de sorte que les cours du dimanche sont supprimés). Quand, pour la première fois, les six professeurs seront forcés simultanément de supprimer leur cours ? »

La réponse est : au bout de 371 jours. Le traducteur ajoute en note : « Remarquons néanmoins que le règlement de l’université interdit aussi probablement que les cours durent plus d’une année ! »

2- Une volonté de généralisation

2.1 L’arithmétique de Ratisbonne : algorithme général dans le cas de trois modules premiers entre eux deux à deux

L’Algorismus Ratisbonensis, dont la troisième partie, la Practica, a été publiée par Kurt Vogel [15] en 1954, provient de plusieurs manuscrits rédigés au milieu du 15e siècle au monastère bénédictin de St Emmeram à Ratisbonne. Ils sont de la main de Frater Fridericus, alias Frederic Gerharts, mort de la peste en 1464 ou 1465. Avec cette Practica, d’après Vogel, « on dispose pour la première fois en Allemagne d’un vaste recueil, non seulement de nombreux problèmes liés aux activités commerciales, mais aussi de problèmes de théorie des nombres, de divertissements mathématiques, ainsi que d’énigmes fort prisées dans les cercles monastiques depuis le temps d’Alcuin. » (Avant propos, p. IX). Le thème des restes y est illustré à trois reprises, de manière dispersée. Il s’agit des problèmes numérotés par Vogel 268, 311 et 349, le dernier reprenant l’histoire de la marchande d’œufs. Mais c’est le premier qui nous intéresse, car pour la première fois en Europe, à notre connaissance, on donne la méthode de résolution sous sa forme la plus générale dans le cas de modules premiers entre eux deux à deux.

Voici une traduction libre [16] du texte original, écrit dans un mélange de latin et d’allemand médiéval.

« Je veux savoir combien de pfennigs tu as dans ta bourse ou en tête. Procède ainsi : dis-lui de compter les pf. qu’il a par 3, puis par 5, ensuite par 7. Et dès qu’il reste 1 en sus avec 3 [c’est-à-dire dans le comptage par 3], marque 70 [17] ; dès qu’il reste 1 en sus avec 5, marque 21; et avec 7, marque 15. Ensuite, ajoute ces nombres et de cette somme soustrais la racine; c’est-à-dire : multiplie 3 par 5 et par 7, ce sera 105, autant de fois que possible et ce qui reste [18], c’est ce qu’il aura en tête ou en bourse. L’exemple ne va pas au-delà d’où va la racine, c’est-à-dire 105, et on ne doit pas prendre au-dessus. Tu demandes pourquoi on prend 70 sur 3, et 21 sur 5, etc. Tu peux < l’expliquer > ainsi : si tu veux avoir le nombre sur 3, multiplie 5 par 7 et ce qui en vient, divise-le par 3 ; et s’il reste 1 en sus, alors ce nombre est correct sur 3 ; mais s’il reste davantage en sus de 1, alors double le même nombre [ici 35] et puis divise-le par 3. Et s’il reste davantage en sus de 1, alors ajoute le même nombre. Fais cela aussi longtemps < qu’il le faut >, jusqu’à ce que 1 reste en sus. De la même manière, si tu veux savoir le nombre sur 5, alors multiplie 3 par 5, cela fait 21, divise-le par 5, il reste alors 1 en sus ; c’est pourquoi 21 est correct sur 5. Et si tu veux avoir le nombre sur 7, multiplie 3 par 5, ce sera 15. Divise-le par 7, il reste 1 comme reste ; c’est pourquoi 15 est le nombre exact sur 5, de la même façon que les autres. »


Les lignes précédentes décrivent la formule qui donne la solution générale du problème et qui, dans le cas présent, est :



$x = 70 a + 21 b + 15 c – 105 k~~(où ~~k \in ?)$,


où $a$, $b$, $c$ sont les restes des divisions du nombre cherché respectivement par 3, 5 et 7.

Pour une justification détaillée de ce résultat, le lecteur se reportera à l’activité pédagogique bâtie à partir de cet énoncé et proposée dans l’encart 1.
Le texte précédent est suivi d’un tableau qui est divisé en cases; la ligne du milieu de chaque case contient les modules successifs $m_i$ (ici 3, 5, 7). La ligne du bas contient le produit $M$ de ces diviseurs et la ligne du haut contient le plus petit entier $k \frac{M}{m_i}$ congru à 1 modulo $m_i$. Seule la première case en haut à gauche concerne le problème que nous avons cité.

Il y a deux coquilles dans ce tableau : le 26 de la 4e case devrait être 36, et le 128 de la 7e case devrait être 126. Enfin l’auteur s’est trompé à la 9e case en prenant 1782 comme plus petit multiple de 9 × 11 congru à 1 modulo 13 : 495 convient aussi.

70        21        15
 3          5          7
           105
15        10        6
  2         3         5
            30
40        45        36
 3          4          5
            60
28        21        26
 3          4          7
            84
21        28        36
 2          3          7
            42
63        36        28
 2          7          9
           126
128        175        120
  5            6            7
              210
216        225        280
  5            8            9
              360
1144        936        1782
   9            11           13
               1287
 

2.2 L’infinité du nombre de solutions montrée par Ibn al-Haytham

Né en 965 à Bassora, aujourd’hui deuxième ville d’Irak, et décédé au Caire en 1040, Ibn al-Haytham est l’un des plus grands savants de la civilisation arabo-musulmane. Il est aussi connu sous le nom latinisé de Alhazen. Il a écrit une centaine d’ouvrages traitant principalement de philosophie, de physique, d’astronomie et de mathématiques. Nous examinons ici son traité sur la résolution d’un problème numérique, d’après la traduction effectuée par Roshdi Rashed [19]. Le texte complet est reproduit dans l’encart 3.

Bien que situant son propos dans un contexte général, Ibn al-Haytham énonce le problème qu’il étudie dans un cadre particulier : « Trouver un nombre tel que si on le divise par deux, trois, quatre, cinq ou six, il reste un, et si on le divise par sept, il n’en reste rien ». En fait, comme il l’indique ultérieurement, au lieu du nombre 7, l’auteur généralise le problème à un entier premier $p$ quelconque, c’est-à-dire qu’il pose le système de congruences :


$x \equiv 1~(mod m_i )~~avec~~m_i = 2,3,..., p-1, ~~x \equiv 0~(mod p).$

Ibn al-Haytham affirme tout de suite que « le problème est indéterminé, c’est-à-dire qu’il admet beaucoup de solutions. Pour les trouver il y a deux méthodes ».

Nous avons découpé le texte de manière à mettre en évidence les parties qui sont relatives à chacune des méthodes décrites par Ibn al-Haytham. Pour chacune d’elles, l’auteur explicite le procédé dans le cadre particulier de son problème, puis il en déduit une ou plusieurs solutions du problème particulier. Ultérieurement, il se place dans une perspective générale.

2.2.1 La méthode canonique

Aujourd’hui, nous pouvons dire que la première méthode dite canonique par Ibn al- Haytham s’appuie sur ce que nous nommons le théorème de Wilson : si $p$ est un nombre premier alors



$( p -1)! \equiv -1~(mod p)~~ou~~(p -1)!+ 1 \equiv 0~(mod p)$.

Nous en déduisons immédiatement que le nombre $(p – 1)! + 1$ est solution du problème proposé. Nous ne savons pas si Ibn al-Haytham avait connaissance d’une démonstration de la propriété qu’il affirme. Il se contente de dire qu’elle est « nécessaire pour tout nombre premier » laissant entendre que, lorsque le nombre ne l’est pas, la méthode canonique ne permet pas d’obtenir une solution du problème. Notons que, au début de sa « démonstration d’un théorème nouveau concernant les nombres premiers » publiée en 1771 dans les Nouveaux Mémoires de l’Académie Royale des Sciences et Belles Lettres de Berlin, Joseph Louis Lagrange affirme [20] :

« Je viens de trouver dans un excellent Ouvrage de M. Waring que j’ai reçu depuis peu, un très beau Théorème d’Arithmétique, que voici :

Si $n$ est un nombre premier quelconque, le nombre $1.2.3.4.5….(n – 1) + 1$ sera toujours divisible par $n$ »
[…] M. Waring fait l’honneur de ce Théorème à M. Jean Wilson, mais il n’en donne point la démonstration, et il paraît même insinuer que personne ne l’a encore trouvée; du moins il semble qu’il la regarde comme extrêmement difficile […]. Cette raison, jointe à l’élégance et à l’utilité du Théorème dont il s’agit, m’a engagé à en chercher une démonstration. »
« On multiplie les nombres mentionnés, qui divisent le nombre cherché, les uns par les autres; on ajoute 1 au produit; c’est le nombre cherché. Je veux dire qu’on multiplie deux par trois, le produit par quatre, ensuite le produit par cinq, et enfin le produit par six; on ajoute ensuite un au produit; c’est le nombre cherché. »
« Le produit de ces nombres les uns par les autres selon l’ordre que nous avons mentionné est 720; on ajoute un à 720, on a 721 qui sera le nombre, et ceci parce que 720 se divise par deux, car il a une moitié, par trois car il a un tiers, par quatre car il a un quart, par cinq car il a un cinquième, par six car il a un sixième. Si donc 720 se divise par chacun de ces nombres, si on divise 721 par chacun ce ces nombres, il en reste toujours un, et 721 se divise par sept, car il a un septième. Le nombre cherché répondant à la propriété précédemment mentionnée est 721. »
« Ceci étant montré, nous disons que cette propriété est nécessaire pour tout nombre premier, c’est-à-dire que pour tout nombre premier – qui est le nombre qui n’est multiple que de l’unité – si on multiplie les nombres qui le précèdent les uns par les autres selon la manière que nous avons introduite, et si on ajoute un au produit, alors si on divise la somme par chacun des nombres qui précèdent le nombre premier, il en reste un, et si on le divise par le nombre premier, il n’en reste rien ».



2.2.2 La deuxième méthode

« On peut trouver le nombre cherché par une autre méthode, qui est la méthode par laquelle on montre que ce problème a plusieurs solutions, et même une infinité ». Cette fois l’auteur s’appuie sur le P. P. C. M des nombres qui donnent un reste égal à un et sur un procédé inductif que nous retrouvons aujourd’hui dans l’application du théorème de Bézout.

Il donne d’abord la méthode :



« Il s’agit de trouver le plus petit nombre qui a une moitié, un tiers, un quart, un cinquième et un sixième, c’est-à-dire le plus petit nombre multiple des nombres qui précèdent le sept, et qui est soixante. On divise soixante par sept, il reste quatre. On cherche alors un nombre qui a un septième et tel que si on en retranche un, le reste ait un quart. Il peut se trouver beaucoup de nombres répondant à cette propriété : la méthode pour trouver ce nombre est de prendre sept, d’en retrancher un, il reste six ; on ajoute sept, sept, à six jusqu’à ce qu’on aboutisse à un nombre qui ait un quart. Si l’addition <réitérée> aboutit alors à un nombre ayant un quart, on ajoute un à ce nombre. La somme aura un septième. »


En termes actuels : on cherche le PPCM des nombres 1 à 6, qui est 60. Comme le nombre cherché doit être divisible par 7 et de la forme $60k + 1$, on écrit :



$60k + 1 = (8\times7 + 4)k + 1 = 4k + 1+ 8\times7\times k$.


Donc $k$ fournira une solution si et seulement si $4k + 1$ est un multiple de 7, c’est-à-dire :



$4k + 1 = 7k’~~ou~~4k = 7k’ – 1$.

Ce que l’auteur exprime par : « On cherche alors un nombre qui a un septième et tel que si on en retranche un, le reste ait un quart ». Enfin, $k’$ étant un entier quelconque, $7k’ – 1$ peut se mettre sous la forme $7k’’ + 6$ ; par conséquent « on ajoute sept, sept à six jusqu’à ce qu’on aboutisse à un nombre ayant un quart. »

Ibn al-Haytham donne plusieurs solutions fondées sur ce procédé :



« Exemple. On ajoute sept à six, on a 13 qui n’a pas de quart; on ajoute alors sept à 13, on a 20 qui a un quart, on ajoute alors un à 20, on a 21 qui a un septième. On prend le quart de 20 qui est 5, on le multiplie par 60, on a donc trois cents, auquel on ajoute un; on a donc 301, qui est le nombre cherché […].
De même, si on prend six auquel on ajoute sept, sept, jusqu’à ce que l’on obtienne la somme 20, à laquelle on ajoute ensuite sept, sept, quatre fois, la somme aura alors un quart, et si on lui ajoute un, la somme aura un septième. Si on ajoute sept, sept, quatre fois à 20, cela donne 48, on a 49, qui a un septième. On prend alors le quart de 48, qui est 12, qu’on multiplie par 60 ; on a alors 720, auquel on ajoute un; on a enfin 721, qui est le nombre cherché et qui est le nombre obtenu suivant la première manière. »

Il essaie donc $k’’ = 1$, donc $7k’’ + 6 = 13$, qui ne convient pas, puis $k’’ = 2$ qui convient puisque 20 « a un quart », donc $k = 5$ et finalement $60k + 1 = 301$. Il prend ensuite $k’’ = 6$, d’où de la même manière $k = 12$ et $60k + 1 = 721$, qui est la solution trouvée par la première méthode.

Après avoir indiqué que l’on obtient de cette façon une infinité de solutions, Ibn al- Haytham montre enfin que sa deuxième méthode se généralise à n’importe quel nombre premier $p$, c’est-à-dire qu’elle fournit toutes les solutions du système de congruences :

$x \equiv 1(mod 2),~~x \equiv 1(mod 3),...,~~x \equiv 1(mod p -1),~~x \equiv 0 (mod p)$


Comme nous l’avons dit, le lecteur trouvera le texte complet et notre commentaire dans l’encart 3.





[1] D’après U. Libbrecht, Chinese Mathematics in the Thirteenth Century, ch. 22 : « Indeterminate problems in the Shu-shu chiu chang ». Nous avons choisi, pour les titres chinois, d’utiliser la transcription de Libbrecht, puisque c’est sa traduction anglaise que nous suivons. Nous avons toutefois signalé l’autre transcription possible.

[2] Pour une étude complète de la règle Ta-yen, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de U. Libbrecht, Chinese Mathematics in the Thirteenth Century, partie V. J.-C. Martzloff décrit également cette méthode de manière résumée dans Histoire des mathématiques chinoises¸ p. 296-305.

[3] U. Libbrecht, Chinese Mathematics in the Thirteenth Century, p. 20.

[4] U. Libbrecht, Chinese Mathematics in the Thirteenth Century, p. 26.

[5]U. Libbrecht, Chinese Mathematics in the Thirteenth Century, problème I-9, p. 408.

[6] « Une jeune fille portoit des oeufz au marché vendre et rencontra ung jeune filz qui se vouloit jouer avec elle et rompit et cassa tous ses oeufz et ne les voult payer. Elle le fit adjourner devant le juge. Le juge le condempna à payer les oeufz. Mais le juge ne scavoit combien il y en avoit et le demanda à la fille. Elle dit qu’elle ne scavoit rien car elle estoit jeune et ne scavoit point conter. Mais elle les avoit ordonnez par 2 et 2 et demeuroit 1 oeuf et puis par 3 et 3 et demeuroit 1 et puis par 4 et 4 et demeuroit 1 et puis par 5 et 5 et demeuroit 1 et puis par 6 et 6 et demeuroit 1 et par 7 et 7 et ne demeuroit rien. »

[7] Claude Gaspar Bachet de Méziriac, Problèmes plaisants et délectables qui se font par les nombres, 5e éd., Paris, Blanchard, 1959, p. 135. s.

[8]Voir Johannes Tropfke, Geschichte der Elementar Mathematik, « Die Eierfrau » (la marchande d’œufs), § 4.5.3.

[9] Cette appellation est trompeuse puisque dans les traités d’abbaque, on pratique le calcul indo-arabe écrit et non la manipulation de jetons sur la table à calculer, plus répandue dans le nord européen.

[10] Baldassarre Boncompagni, Scritti di Leonardo Pisano, matematico del secolo decimoterzo, vol. 1 : Il Liber Abbaci di Leonardo Pisano, pubblicato secondo la lezione del codice Magliabechiano C. I, 2616, Badia Fiorentina, n° 73, Rome, Tipografia delle scienze matematiche e fisiche, 1857. Premier exemple, p. 281 : les modules sont 2, 3, 4, 5, 6, et 7 ; les restes correspondants valent 1 sauf le dernier qui est nul. Le second exemple est aux pages 303-304 de la même édition ; les modules sont 3, 5, 7 et les restes respectifs 2, 3 et 4.

[11] Jean Borrel, alias Jean ou Johannes Buteo, est né en 1492 dans le Dauphiné. En dehors de ses travaux mathématiques, il fabrique des instruments (cadrans solaires par exemple). La Logistica, ouvrage d’arithmétique et d’algèbre, est sa principale contribution aux mathématiques de son temps.

[12] « Villatica puella canistrum ouorum ad mercatum capite ferens, ab equite praetereunte, in angiportu concuffa, perfregit onus, qui damnum rependere volens, quot oua portabat interrogauit. At tilla puellariter numerum ignorns respondit. Cùm oua mea domi bina numeraem, vnum mihi superfuit in fine. Et numerando terna superfuerunt duo, quaterna verò, tria, quina deinde, quatuor, sena quinque, septena tandem computans, nihil residuum habui. Quaeritur, quo toua fuerunt in canistro ? ». J. Buteo, Logistica, quae & arithmetica vulgo dicitur, Lyon, 1559, question 70, p. 278-279.

[13] Biographie tirée du Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire publié sous la direction de Ferdinand Buisson (éd. 1911), édition électronique de l’INRP : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/.

[14] Godfrey H. Hardy, Edward M. Wright, Introduction à la théorie des nombres, trad. François Sauvageot, p. 119-121.

[15] Kurt Vogel, Die Practica des Algorismus Ratisbonensis, Munich, 1954.

[16] Nous remercions Pierre Pinel pour cette traduction.

[17] Cela signifie que, si le reste dans la division par 3 est a, on prendra a fois 70. Et de même pour les deux autres modules. On ajoute alors les nombres obtenus.

[18] De la somme calculée auparavant, on retranche autant de fois que possible la « racine » qui est ici 105.

[19] Roshdi Rashed, « Ibn al-Haytham et le théorème de Wilson », Archive for History of exact Sciences 22 (1980), p. 305-321. Cet article est reproduit dans, R. Rashed, Entre arithmétique et algèbre, p. 227-243.

[20] La première démonstration a été publiée par Lagrange en 1771 dans les Nouveaux Mémoires de l’Académie Royale des Sciences et Belles Lettres de Berlin : Démonstration d’un théorème nouveau concernant les nombres premiers. Voir Œuvres de Lagrange, t. 3, p. 425-434 (citation p. 425-426).