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Ressources vives
Le travail documentaire des professeurs en mathématiques

Ouvrage coordonné par G. Gueudet et L. Trouche
Edité (juin 2010) par les Presses Universitaires de Rennes et l’INRP

Présenté par


Claire Cazes

Maître de conférences de l'Université Pierre et Marie Curie -  e-mail


Présentation de l'éditeur

Article déposé le 26 novembre  2010. Toute reproduction pour publication ou à des fins commerciales, de la totalité ou d'une partie de l'article, devra impérativement faire l'objet d'un accord préalable avec l'éditeur (ENS Ulm). Toute reproduction à des fins privées, ou strictement pédagogiques dans le cadre limité d'une formation, de la totalité ou d'une partie de l'article, est autorisée sous réserve de la mention explicite des références éditoriales de l'article. 



   Les romans n’ont pas le monopole de la rentrée littéraire, voici un ouvrage, écrit à plusieurs mains, qui vise à comprendre et à expliquer, le métier d’enseignant de mathématiques à travers le filtre de son « travail documentaire ». Le projet ne manque pas d’audace puisqu’il s’agit de faire s’exprimer plusieurs chercheurs, pas moins de 23 auteurs de 6 nationalités différentes et se réclamant d’approches théoriques distinctes, sur un thème multidimensionnel et polymorphe : « les ressources de l’enseignant ». Loin de la cacophonie qu’on pourrait tout d’abord craindre, il en ressort une impression positive : peu à peu, au fil des 18 chapitres, l’objet « ressources » prend corps et se montre un outil fécond pour revisiter des résultats de recherche, amorcer un dialogue entre certains auteurs et envisager de futurs développements.

Si, dans l’introduction, Ghislaine Gueudet et Luc Trouche définissent, le travail documentaire comme un processus sans fin, proche du mouvement perpétuel, « rassembler des ressources, les sélectionner, les transformer, les recomposer, les partager, les mettre en œuvre, les revisiter… », ils assument et même revendiquent ce qu’ils nomment joliment une « diversité sémantique » relative aux notions de « documentation », « ressource » et « document ». C’est donc à chaque auteur de préciser son acception de ces termes et aussi de se positionner par rapport aux autres. Cette dernière contrainte, à laquelle chacun s’est plié, contribue grandement à la force de cet ouvrage et à sa cohérence.

L’ouvrage est structuré en quatre parties visant à cerner la ressource sous ses aspects généraux, collectifs, institutionnels et enfin son impact sur le travail du professeur pendant qu’il fait la classe. Si bien que la lecture se termine là où les recherches sur l’enseignant, d’habitude, commencent et sont le plus fréquentes c'est-à-dire, dans la classe. En s’obligeant à définir et à étudier les ressources du professeur, les auteurs se forcent donc à observer et analyser « une dimension de l’activité professorale souvent considérée comme « privée » ou « invisible » puisque d’une part ce travail de préparation se situe hors de la temporalité des interactions en classe et d’autre part,…, les professeurs ne sont pas tenus de procéder à leurs travaux de préparation dans des heures de présence établies ni sous forme de travail collectif. » comme l’explique Florence Ligozat (Chapitre 16).

La lecture nous emmène sur des chemins originaux tels que l’étude historique proposée par Christine Proust, « Ecrits d’élèves, écrits de maîtres, la documentation scolaire en Mésopotamie », (chapitre 9). On notera une prise de position forte de Yves Chevallard et Gisèle Cirade, (chapitre 2) énonçant, ou plutôt dénonçant, «Les ressources manquantes comme problème professionnel ». Ils posent, entre autres, le problème de la production de ressources : accepte-t-on qu’elle reste au niveau artisanal, le professeur étant regardé et, par force se regardant souvent, « comme un petit producteur indépendant qui doit se procurer ses ressources, inventer ses solutions et vivre seul ce qu’il croit être « ses » échecs et « ses » réussites » » ou bien envisage-t-on une production de ressources « impulsée par des recherches sur l’ensemble des questions auxquelles la profession est confrontée » ?

Sans surprise, les technologies et leurs usages tiennent un rôle important dans chacune des quatre parties de l’ouvrage. En effet, elles enrichissent les systèmes de ressources, modifient les dimensions collectives et éclairent certains phénomènes déjà existants (Ghislaine Gueudet et Luc Trouche, chapitre 7). C’est ainsi que Bruno Brachimont (chapitre 4) interroge les effets du développement du numérique sur la variété et les évolutions des ressources, Maria Mariotti et Mirko Maracci (chapitre 5) montrent comment un artefact peut se constituer en instrument de médiation sémiotique, exemple de ressource pour le professeur, Kenneth Ruthven (chapitre 10) étudie l’intégration des ressources numériques dans les ressources curriculaires et Fabrice Vandebrouck (chapitre 14) analyse l’action didactique du professeur initiant ses élèves à la démarche expérimentale.

Cet ouvrage place le professeur et, particulièrement son travail hors la classe, au cœur de l’objet d’étude des chercheurs. La réflexion sur les ressources les amène, par des chemins très différents, à mieux décrire ce travail invisible et « les décisions didactiques » qu’il nécessite (Jana Trgalova, chapitre 15). On peut peut-être regretter que la spécificité des mathématiques soit peu interrogée ; certains auteurs comme Gérard Sensevy (chapitre 8) illustrent leur propos par des exemples issus de diverses disciplines tandis que la plupart des autres s’appuient sur le travail du professeur de mathématiques. Le pari des auteurs est que cette approche documentaire, telle qu’elle est décrite par Ghislaine Gueudet et Luc Trouche dans un parallèle intéressant avec l’approche instrumentale (chapitre 3) et telle qu’elle se décline dans tout l’ouvrage, va susciter un souffle nouveau visant à développer une activité collective et conjointe des chercheurs et des enseignants et permettant de construire et partager des ressources pour le professeur, le futur professeur et la profession.