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Valérie Louchard
professeur de français au collège Mme De Staël à Lille
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Après le célèbre « c’est pas des maths, ça » entendu dans une salle des profs au vu d’une narration de recherche voici le second volet d’une expérimentation en classe qui pourrait s’intituler « c’est pas du français, ça !»
SOMMAIRE
Soit un extrait de narration de recherche bien connu: les diagonales d’un polygone.
Extrait 1
Voici le texte retapé, avec une orthographe nettoyée :
Je me suis mis à chercher tout de suite. J’ai trouvé la réponse des 9, première questions mais je bloque sur la deuxième réponse qui est « combien de diagonales a un polygone à 104 côtés » Nous avons trouvé assez facilement. Les premières questions on a tracé simplement les figures une par une, c’est assez simple
- dessiner un polygone à 5 côtés, trouver les diagonales
- dessiner un polygone à 6 côtés, trouver les diagonales
- dessiner un polygone à 7 côtés, trouver les diagonales
- dessiner un polygone à 8 côtés, trouver les diagonales
- dessiner un polygone à 9 côtés, trouver les diagonales
- dessiner un polygone à 10 côtés, trouver les diagonalesA ce moment là, ça commence à bloquer.
La panoplie des activités à mettre en place en français est énorme, n’est-ce pas ? C’est là qu’interviennent les choix du prof : avec quel niveau de classe? A quel moment de l’année est intervenue cette narration, où en est-on des compétences travaillées ? Alors on sélectionne ce qui va être efficient et à la portée des élèves de la classe.
Le second choix qui s’effectue est celui là : doit-on donner la copie de l’élève telle quelle ou fournit-on à la classe une version à l’orthographe nettoyée ?
Tout dépend de l’objectif que l’on s’est fixé ! Dans ma pratique quotidienne, je préfère retaper les textes moi-même, à part lorsqu’on travaille sur l’orthographe, afin de ne pas parasiter les élèves avec des problèmes annexes.
A partir de cet extrait qui est le début d’une narration, on peut s’appuyer sur plusieurs axes pour mettre en place des activités :
- Sur l’orthographe, la conjugaison, les accords, la ponctuation bref, mettre l’accent sur la langue et nettoyer le texte de toutes ses erreurs.
- Sur la situation de communication car c’est l’un des réflexe que nous essayons de donner aux enfants lorsqu’ils sont face à un écrit : qui est l’émetteur, le destinataire, où, quand ça se passe, qu’est ce que ça raconte ?
On peut ensuite analyser plus finement le texte : dans quel but est-il écrit ? Est-ce que le propos est adapté au destinataire et à l’effet recherché ? (qui est l’une des compétences du socle commun des compétences dans la maîtrise de la langue).
Enfin, partant de l’information que cet extrait est le début d’une narration : reconnaît-on un début de narration ? Comment pourrait-on commencer, de quelles informations a-t-on besoin ?
C’est la construction d’un début de narration qui retient mon attention le plus souvent car c’est l’objectif le plus important à traiter à mon sens, les problèmes de langue pouvant se travailler à partir de n’importe quel extrait.
En effet, c’est en analysant le schéma de communication que l’élève se rend compte de la manière dont il doit commencer son texte : c’est à ce moment là qu’il présente non seulement l’activité, mais également le contexte et les modalités de travail. Il lui faut donc aborder la composition du groupe avec lequel il travaille, le sujet de la narration en lui-même et tenir compte de son destinataire : un professeur de français, c'est-à-dire qu’on va écrire des mathématiques à un non spécialiste ! Cela implique un sacré effort d’adaptation à son destinataire !
On est déjà dans la tâche complexe : reformuler pour comprendre et se faire comprendre, c’est bien là un fondamental de mon enseignement. Et je l’introduis avec un texte mathématique : n’en déplaise aux défenseurs des nobles lettres !
Ce qui entre en jeu dans cette activité est qu’elle n’est pas une simple réponse à une question rhétorique : il faut raconter une recherche et pour rendre cette recherche compréhensible par tous, il faut s’exprimer dans une langue commune à tous les lecteurs.
Plus tard, dans le corps du texte, cela posera d’autres problèmes car il va falloir articuler une narration – le comment s’est passé la recherche- avec l’explication : ce qu’on trouve. L’argumentation est une phase que l’on retrouve peu dans la copie des élèves car elle intervient essentiellement à l’oral dans les joutes pendant lesquelles on doit prendre en compte la parole d’autrui mais également faire valoir son point de vue. En revanche, écrire des mathématiques et les raconter n’est pas toujours aussi facile !
Thomas (voir extrait 2 ci-dessous) en est un exemple flagrant, lui qui « parle » les chiffres et n’a pas besoin de mots lorsqu’il est dans sa phase de recherche seul face à son brouillon (dans la narration « les poules et les lapins »)
Extrait 2
Il se retrouve confronté à la fois à cette nécessité d’expliquer à une profane dans une langue qui nous est commune la manière dont il a travaillé et également de passer d’une écriture privée à une écriture publique où il va devoir adapter ses mots au destinataire que je suis : son professeur (de français qui plus est).
Donner un exemple, faire un croquis sont des techniques qui auraient aidé Thomas à m’expliquer la manière dont il avait procédé, mais il ne s’est pas senti autorisé à mélanger les genres.
Mêler du texte narratif et du texte explicatif n’est visiblement pas un exercice si aisé pour nos élèves que nous entraînons quelquefois à des « exercices de style » littéraires : faire un portrait ou une description de lieu, écrire un dialogue ou un argumentaire sans tenir assez compte qu’hors de l’école, rares sont les moments où nous sommes confrontés à des textes « purs ». Dés que nous communiquons à l’oral ou à l’écrit, les genres se mêlent. D’où la difficulté de Thomas de sortir du cadre scolaire pour m’expliquer ainsi que sa volonté de tout « traduire » en mots parce qu’il se représente que c’est ce que j’attends de lui.
Extrait 3
Avec Sofiane (voir extrait 1), nous allons voir comment on peut présenter un texte et introduire une narration, avec Thomas, c’est l’efficacité du message que l’on veut faire passer que nous travaillerons en amont.
Avec d’autres, c’est la construction du texte que nous allons revoir afin de le rendre compréhensible : éviter les répétitions pour Samir (voir extrait 4), ne pas construire un texte monolithique et laisser le lecteur respirer :
Extrait 4
Expliquer ce que l’on fait et s’attacher à affiner son vocabulaire pour aider le lecteur à comprendre pour Shéhérazade (voir extrait 5).
Extrait 5
A partir de cet extrait, nous allons pouvoir effectuer un travail collectif de création de définition : est-ce qu’on comprend ce que sont une diagonale et un polygone à partir des définitions données par ce texte ? Comment améliorer ces définitions afin qu’elles soient claires ? Comment réagir lorsqu’on est face à un problème de définition en pleine narration de recherche ?
Il y a un double objectif à traiter avec ce genre de question : c’est d’abord analyser le fonctionnement d’une définition et dans certains cas, trouver les invariants d’un concept que l’on aborde en différenciant à partir de toutes les définitions d’un seul objet qui sont données par les élèves (celle d’une diagonale par exemple) ce qui correspond à une définition et pourquoi. (rédaction maladroite, proposition : la confrontation des propositions, l’argumentation ainsi mise en place portent les élèves vers l’abstraction et la délibération dans l’abstraction. On crée ainsi une situation propice à des actes langagiers particuliers : recherche de définition (morphosyntaxe du général), argumentation dans le domaine de cette définition générale (articulation logique, réfutation…), sur le plan cognitif, on maintient les élèves dans l’abstraction dont relève le principe même de la définition.
C’est l’apprentissage de l’autonomie que je vise également avec ce type d’activité : aller chercher les ressources qui vont me faire gagner du temps (à la fin de l’expérience lorsque nous construisons ensemble, immédiatement pendant la NDR) est également un axe du socle commun des compétences et mes élèves ont malheureusement trop tendance à demander de l’aide au prof sans chercher d’autre source d’information ou, plus grave, à se satisfaire d’un état de fait qui est simple : il ne sait pas. Et il ne cherche pas à changer cet état de fait.
Il est également intéressant de revoir le fonctionnement de notre langue au travers d’une correction de narration de recherche : quels temps des verbes choisir alors qu’on raconte et qu’on explique ? Est-ce que le choix que l’on fait est sans conséquences sur notre texte ?
Avec la copie de Lolita, nous effectuons une remise au point sur la fonction de la conjugaison et sa mise en pratique :
Extrait 6
Par exemple, à partir d’un relevé de tous les mots qui ont une terminaison de verbe, d’un autre de tous les mots qui indiquent des actions et du croisement de ces deux listes, nous entamons un réflexion sur les terminaisons verbales : à quoi ça sert et comment on peut savoir lesquelles sont les bonnes ?
A quatre ont as cherché a trouvais les solutions. Louis, Yohan et Thomas on tracé les polygones, au début on avait dû males à compter les diagonales donc on les à misent en couleurs. Moi j’aidais louis à compter pendant que Johan et Thomas calculais seul. Ensuite une fois que tous le monde avait calculer les droites on échangés nos résultats. Il n’y avait pratiquement pas de bavardage. Quelque agitation de Yohan, mais apar ça le reste sa aller. Il faut trier les formes verbales (« j’aidais », « il n’y avait » par exemple) et celles qui n’en sont pas («ont » as cherché, on avait « dû ») puis la classe décide qu’à l’oral, les temps que l’on trouve majoritairement sont le passé composé et l’imparfait, occasion de glisser un topo sur les valeurs habituelles de ces temps.
Il s’en est suivi une récriture de cet extrait en corrigeant les formes verbales, ce qui a considérablement réduit le nombre d’erreurs à corriger dans le texte final et a permis de revoir quelques règles d’accord qui ne demandaient qu’à être réactivées.
A quatre on a cherché a trouver les solutions. Louis, Yohan et Thomas ont tracé les polygones, au début on avait du males à compter les diagonales donc on les a mises en couleurs. Moi j’aidais louis à compter pendant que Johan et Thomas calculaient seul. Ensuite une fois que tous le monde avait calculé les droites on a échangé nos résultats. Il n’y avait pratiquement pas de bavardage. Quelque agitation de Yohan, mais apar ça le reste sa allait.
Extrait 7
Cette dernière copie (extrait 7) va me permettre d’illustrer ce qui pour moi se joue au travers de la narration de recherche. Certes, cette activité me permet d’aborder des compétences singulières comme de « travailler sur un vocabulaire juste et précis », d’utiliser « des connecteurs logiques usuels » et la « conjugaison des verbes » ainsi que les compétences de « rendre compte d’un travail individuel et collectif », de « reformuler un texte ou des propos lus ou prononcés par un tiers » ainsi « qu’adapter sa prise de parole (attitude et niveau de langue) à la situation de communication (lieu, destinataire, effet recherché )» que l’on trouve dans le socle commun des compétences .
Mais se joue également le fait que nos élèves se retrouvent confrontés également à un véritable problème : dans une narration, ce n’est pas une fausse question la narration ne propose pas une fausse question dont les meilleurs ont déjà la réponse ; elle n’attend pas non plus ni une la partie du cours qu’il fallait apprendre : tous les élèves sont à égalité au départ, il n’y a pas une seule démarche mais plusieurs possibles. De plus surtout, chacun doit tester chaque hypothèse émise par un membre du groupe et l’écrire au brouillon afin de pouvoir raconter individuellement sa propre recherche lors de sa mise en forme.
Les débats au sein des groupes sont donc animés : ce n’est pas toujours le meilleur qui a les meilleures idées à proposer et chacun défend ses pistes d’arrache pied ( Il est assez révélateur de voir que les élèves scolaires, les « meilleurs en interro » de nos classes ne sont pas du tout les éléments moteurs en début de recherche …. Mais qu’ils se rattrapent quelquefois quand il faut tester des hypothèses un peu plus complexes.) Nous sommes loin du travail de groupe « partage des tâches à chacun selon ses possibilités » car il faut convaincre le groupe de tester une hypothèse, arrêter celui qui divague, remettre tout le monde au travail lorsque le bavardage menace et que la réflexion n’avance pas …. Le professeur devient une personne ressource quand on a besoin d’un élément précis, de l’avis de « l’expert » mais la régulation se fait au sein du groupe, et ce n’est plus l’exclusivité de l’enseignant (qui doit veiller quand même parce que ça ne fonctionne ni toujours ni dans tous les groupes !)
C’est dans cette pensée qui s’exprime à voix haute (car parler, c’est penser à voix haute, non ?) quand un élève arrive à mettre des mots sur une intuition, même s’il n’a pas le vocabulaire et qu’il est aidé par les autres membres du groupe (« sois plus claire, ré explique, je n’ai pas compris ») que la réflexion s’élabore et que la recherche avance.
Expliciter, proposer, argumenter, expliquer sont des compétences vivement sollicitées par les autres chez nos élèves pendant cette activité. Et je ne pense pas que les occasions soient si fréquentes au collège pour les eux de se retrouver dans cette « véritable » situation d’apprentissage et de communication.
Les élèves sont déformés par l’école : pour eux nos matières ne sont pas différents regards sur une même réalité, sur la compréhension du monde, mais un saucissonnage de leur journée en heures de cours qui n’ont rien en commun les unes avec les autres.
Lorsque nous commençons une narration de recherche avec un prof de maths et un prof de français dans la salle, les élèves qui n’ont pas l’habitude de nous voir fonctionner ensemble sont surpris. D’ailleurs au début, lorsqu’ils veulent poser une question, il m’est souvent arrivé d’entendre un « heu …. non, pas vous » gêné parce que forcément, je ne connais pas la réponse …
Pourtant, je persiste, surtout lorsque les élèves sont plongés dans leur recherche et que ce n’est pas pour une question « technique » à laquelle, effectivement, j’ai peu de chance de savoir répondre qu’ils demandent de l’aide.
Je demande de m’expliquer pourquoi ils posent la question, comment ils sont arrivés là et plusieurs fois, le simple fait d’avoir fait expliciter a suffit, la phrase se termine par un « ah oui .. c’est bon ! » qui me signifie qu’ils n’ont plus besoin de moi et qu’ils ont retrouvé le fil de leur pensée.
Ce sont les élèves qui me l’on fait expérimenter : on peut aider sans savoir ! En faisant reformuler, expliciter, j’ose prétendre que je suis quelquefois aussi efficace que mon collègue tout en n’étant pas spécialiste ! (mais il ne m’en voudra pas, l’inverse est vrai aussi !)
Quoi qu’on en dise, n’importe quelle lecture est déjà « une » lecture et n’importe quelle activité peut être un support d’écriture. Dans les premières années du collège, les textes à écrire en français sont essentiellement narratifs. Il est beaucoup plus difficile de faire écrire des textes « mêlés » à la fois descriptifs et narratifs, argumentatifs et explicatifs alors que dans la réalité les textes purs n’existent pas.
Alors pourquoi ne pas écrire des textes mathématiques ? Pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour voir le vocabulaire spécifique, comparer le sens des mots en maths et en français (milieu, centre, hypothèse, facteur …) , pour apprendre à articuler texte narratif pour raconter sa recherche, texte explicatif et descriptif pour expliquer les démarches ? Si en plus la motivation pour écrire est véritable car il faut raconter sa recherche mathématique à un prof de français qui ne comprend rien ….
Ce serait vraiment dommage pour moi de rater une si belle occasion : la nécessité d’écrire ….
D’autant que j’en profite pour mettre en place des apprentissages à partir de textes d’élèves : comment articuler son texte ? Quels temps des verbes utiliser ? Comment rendre le texte vivant tout en restant clair ? Comment passer du brouillon et de l’écriture privée à la copie publique ?
Nous revoyons donc les liens logiques, la construction d’une introduction, d’une conclusion, les reprises pour éviter les répétitions, l’orthographe et le vocabulaire spécifique à la recherche et aux mathématiques, les verbes introducteurs bref, toute la batterie des recommandations qu’il faut suivre pour qu’un texte soit compréhensible, clair et agréable à lire.
J’ai moins de prise sur ce qui se passe à l’oral car celui-ci entre en jeu dans la phase de débat, de recherche et une pensée qui se construit ne s’exprime pas toujours en bon français. Peu importe. Ce qui est important c’est là encore qu’ils échangent s’expliquent, s’opposent, se convainquent dans une véritable situation d’oral, celui qui sert à comprendre, à construire et pas seulement à lire ce qu’il y a sur la feuille ou à réciter ce qu’on a appris par cœur.
La narration de recherche est donc une véritable situation d’apprentissage en français et représente un support à de multiples activités : débattre à l’oral, construire un texte long (beaucoup plus que ce qu’ils écrivent en rédaction) mêler différents styles et différents genres, être clair, élaborer un plan bref, de quoi ravir n’importe quel prof de France ou de Navarre !