La divination sikidy à Madagascar


Marc Chemillier             



Encart 2 : Les transformations géométriques de la matrice mère

Extrait de l'article
Chemillier M., « Mathématiques de tradition orale », Mathématiques et sciences humaines, 178, 2007 (2), p. 11-40
 (Texte au format pdf ici).


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Le groupe diédral d’ordre 4 - Symétrie par rapport à la deuxième diagonaleSous-groupe des rotations


Le groupe diédral d’ordre 4

     Les transformations géométriques qui laissent invariant un carré forment le groupe diédral d’ordre 4

Δ 4 = {Id, R1, R2, R3, S1, S2, S3, S4}

composé :

- de l’identité,
- de deux rotations de 90° (en sens direct et en sens inverse) R1, R3,
- d’une rotation de 180° R2,
- de deux symétries par rapport aux axes verticaux et horizontaux S1, S2,
- et de deux symétries par rapport aux diagonales S3, S4.

Ce groupe correspond à des transformations géométriques simples, facile à se représenter. Il est donc naturel [comme on va le voir] que les devins en aient expérimenté l’effet sur la matrice mère d’un tableau de sikidy. Toutes ces transformations sont des morphismes pour l'addition du groupe des matrices (ℤ/2ℤ)16.

Symétrie par rapport à la deuxième diagonale (transposition)

    La première transformation du groupe Δ 4 utilisée par les devins est la symétrie par rapport à la deuxième diagonale S4. Elle n'est autre que la transposition de matrice introduite précédemment S4 (M) = tM. Elle a la propriété de conserver quinze figures parmi les seize du tableau initial.
En effet, la transposition échange les colonnes secondaires P13, P14, P15 avec P9, P10, P11, en laissant P12 inchangée. Seule la colonne P16 est susceptible de faire apparaître une nouvelle figure, non présente dans le tableau initial. Il existe d’ailleurs certaines conditions suffisantes, faciles à vérifier, pour que la transposition de la matrice mère ne fasse pas apparaître en P16 de nouvelle figure :

(i) si la première ligne est égale à la colonne de droite,
(ii) ou si l'élément neutre apparaît en P12.

De plus, si la matrice mère est symétrique par rapport à la deuxième diagonale, c'est-à-dire MtM, alors ces deux conditions sont simultanément remplies. Ainsi, la transposition de la matrice mère modifie au plus une figure dans un tableau de sikidy, de telle sorte que si celui-ci était toka au départ, il y a de fortes chances pour qu'il le reste après transposition. Cette opération apparaît donc comme un moyen d'obtenir, dans de nombreux cas, un nouveau toka à partir d'un toka donné. Le terme que les devins antandroy utilisent pour désigner cette opération est avaliky, qui veut dire « inverser » dans le dialecte du Sud. Ils réalisent l'opération par des gestes consistant à faire glisser les graines sur la natte où elles sont disposées, d'abord celles de la première ligne qui sont placées en colonne, puis celles de la deuxième ligne qui sont placées en colonne à gauche de la précédente, etc. (Voir Vidéo 5)


L'opération de transposition apparaît d'elle-même quand on s'intéresse aux tableaux toka. Par exemple, il existe certaines impossibilités d'obtenir une figure donnée toka dans une position donnée. Ces cas sont regroupés dans le Tableau 3 (le calcul a été fait par ordinateur).



Positions  Impossibilités de toka
P12  les huit figures impaires
P11 ,P15  tareky, asombola, alasady
P9 ,P13  alakarabo, alokola, alohotsy, alakaosy
P10 alohotsy
Tableau 3. Impossibilités d'obtenir des toka dans certaines positions (système antandroy)



Si l'on regarde les positions obtenues, on constate qu'à une exception près, elles sont liées entre elles par l'opération de transposition : P11 et P15 d’un côté, P9 et P13 de l’autre, et P12 qui est d’une certaine manière auto transposée. Les devins, qui connaissent ces impossibilités, n'ont pas manqué de remarquer qu'elles se groupent par couples de colonnes échangeables sous l'effet d'une transposition. En revanche, la dernière impossibilité (alohotsy toka en P10) est une singularité. La colonne associée par transposition P14 permet d'obtenir des toka avec la figure alohotsy.

Un autre cas intéressant faisant intervenir l'opération de transposition est celui du triple toka. Jean-François Rabedimy nous a montré un tableau qui a la propriété remarquable d’être trois fois toka, en conjecturant qu'il n'en existe qu'un seul de ce type.
Le calcul par ordinateur a confirmé son intuition, car la solution est bien unique, mais à une transposition près. Il existe en fait deux matrices mère donnant un tableau trois fois toka, qui sont transposées l'une de l'autre. On notera d'ailleurs que la première ligne est égale à la colonne de droite, et ceci est une condition suffisante pour qu'un tableau reste toka après transposition. Ce tableau est connu des devins.





Tableau 4. L'unique triple toka (à une transposition près)




Sous-groupe des rotations

    Outre la transposition (symétrie par rapport à la deuxième diagonale S4), les autres transformations du groupe diédral Δ 4 utilisées par les devins sont les trois rotations formant le sous-groupe {Id, R1, R2, R3}.
Ces transformations interviennent dans le pseudo quadruple toka. Il s'agit d'une matrice mère qui donne quatre toka, non pas au sein des mêmesIKIDYI filles (cela est impossible), mais en construisant les filles dans les quatre directions possibles. On voit Tableau 5 que les filles du bas donnent (2, 2, 2, 2) toka en P12. Mais si l'on construit les filles vers la droite, on trouve la même figure toka dans la même position. La matrice étant invariante par R2 (rotation de 180°), la propriété est conservée pour les filles construites vers le haut et vers la gauche. La propriété exprime le fait que les quatre matrices mère M, R1(M), R2(M), et R3(M) donnent toutes la même figure toka en même position.

Si l'on fait le calcul par ordinateur, on trouve trente solutions. Elles sont toutes
toka en position P12, avec soit la figure (2, 1, 1, 2) à l'Est, soit (2, 2, 2, 2) au Sud. Mais la matrice du Tableau 5 admet de plus certaines symétries : elle est invariante par rapport au sous-groupe de Δ 4 engendré par les symétries par rapport aux diagonales {Id, S3, S4, R2}. Si l'on impose de surcroît cette double symétrie aux matrices vérifiant la propriété ci-dessus, alors il ne reste que six solutions, formées de trois matrices (dont celle du Tableau 5) et de leurs rotations de 90°. De plus, les matrices étant symétriques par rapport à la deuxième diagonale, c'est nécessairement l'élément neutre (2, 2, 2, 2) qui apparaît en P12.



Tableau 5. Pseudo quadruple toka (dans les quatre directions)







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