Définitions
On note
M
la matrice mère (
renin-sikidy).
a14
a13
a12
a11
a24
a23
a22
a21
a34
a33
a32
a31
a44
a43
a42
a41
Chaque élément
aij vaut une ou
deux graines.
On note
Pi
les seize positions du tableau obtenues, initiales et
secondaires, pour
i
= 1, ..., 16, de la manière suivante :
- les huit premières
P1
à
P8
sont les colonnes et lignes de la matrice mère, partie
supérieure du tableau
- les huit
autres
P9,
P10,
...,
P16
sont les
colonnes secondaires défines par
P15
=
P1
+
P2
,
P13
=
P3
+
P4
;
P11
=
P5
+
P6
;
P9
=
P7
+
P8
(filles de première
génération)
P14
=
P13
+
P15
,
P10
=
P9
+
P11
(filles de seconde génération)
P12
=
P10
+
P14
,
P16
=
P12
+
P1
(filles de troisième génération)
Les
Pi
définissent des applications de l'ensemble des
matrices (ℤ/2ℤ)
16 dans celui des quadruplets
(ℤ/2ℤ)
4.
Par exemple, pour la matrice
M
notée ci-dessus, on a
P1(
M) = (
a11,
a21,
a31,
a41).
La parité des figures est donnée par le morphisme
s de (ℤ/2ℤ)
4 dans ℤ/2ℤ qui à un
quadruplet associe la somme de ses
éléments. On note
0 et
1 les
éléments du groupe ℤ/2ℤ.
L'ensemble des figures avec un nombre
impair de graines est alors
s-1(
1) , et l'ensemble
des figures avec un nombre pair de graines est
s-1(
0),
c'est-à-dire le noyau
Ker(
s) du
morphisme
s.
De ce point de vue, les règles de combinaison des princes et
des esclaves :
mpanjaka +
mpanjaka =
mpanjaka,
mpanjaka +
andevo =
andevo,
andevo +
andevo =
mpanjaka
reviennent à décrire la table
d'addition du
groupe quotient (ℤ/2ℤ)
4 / Ker(
s).
Calcul de P10,
P14,
P12
La propriété fondamentale des applications
Pi
définissant les seize positions du tableau est que ce sont
des morphismes du groupe des matrices (ℤ/2ℤ)
16
dans
celui des quadruplets (ℤ/2ℤ)
4.
Le calcul des
Pi
donne lieu à diverses simplifications
algébriques. Les rôles presque
symétriques joués par les lignes et les
colonnes conduisent naturellement à introduire la
transposée
tM
d'une
matrice
M,
obtenue en
inversant les lignes et les colonnes (symétrie par rapport
à la
deuxième diagonale
[1]).
On voit facilement que :
P10(
M) =
P14(
tM),
et que :
P12(
M) =
P14(
M +
tM).
En effet, par associativité de l'opération de
groupe, on
peut écrire
P14
=
P1
+
P2
+
P3
+
P4,
soit la somme des
quatre colonnes de la matrice mère. Les
éléments de
P14(
M) sont donc les
sommes des éléments des quatre lignes. En
utilisant le morphisme
s
défini plus haut, et en posant
sk
=
s(
Pk(
M))
pour les lignes et colonnes de la
matrice
mère,
k
≤ 8, on obtient :
(1)
P14(
M) = (
s5,
s6,
s7,
s8),
(2)
P10(
M) = (
s1,
s2,
s3,
s4),
(3)
P12(
M) = (
s1
+
s5,
s2
+
s6,
s3
+
s7,
s4
+
s8).
Le fait important concernant ces égalités, du
point de vue anthropologique, est qu'elles permettent de calculer les
filles de seconde et
troisième génération
P14,
P10,
P12
non
plus à partir de celles de première
génération
P9,
P11,
P13,
P15,
mais en
se référant
directement à la matrice mère.
L'anthropologue Jean-François Rabedimy a décrit
explicitement ces formules dans son livre, sous le nom de «
nouveau système
» [Rabedimy, 1976, p. 78]. Il affirme que certains devins les
utilisent pour modifier l'ordre de construction des
figures secondaires. Ainsi, au lieu de les calculer dans l'ordre de
leur
génération (celles de première
génération, puis de
deuxième génération, etc.), ils
pourraient par un simple coup d'oeil sur la matrice mère
calculer les filles
P9
à
P15
dans un ordre quelconque (par
exemple, l'ordre dans
lequel elles sont disposées de gauche
à droite). Les expériences de calcul mental des
filles que nous avons faites avec certains devins
laissent penser qu’ils utilisent les
égalités (1) et (2) pour calculer
celles de seconde génération
P14
et
P10
sans
calculer celles de première
génération. En revanche, nous n’avons
pas observé l’utilisation de
l’égalité
(3) plus sophistiquée (calcul de
P12
à partir de
la matrice mère).
Parité
du nombre de graines en P12
Une propriété essentielle
de tout tableau de
sikidy est
que la figure en position
P12
a nécessairement un
nombre pair de graines,
c’est-à-dire que pour toute matrice
M, on a :
s(
P12(
M)) =
0
Cela résulte du calcul suivant :
Tous les devins connaissent cette propriété, et
ils l'utilisent comme un moyen de vérifier qu'ils ne se sont
pas trompés dans la
construction. Dans le langage des devins, un tableau ne peut
être interprété que
si la figure en position
haky est un prince.
Résolution
d’équations Pi(X) = z
Les devins s'intéressent beaucoup à la recherche
de matrices mère permettant d’obtenir certaines
figures dans certaines positions, ce qui revient à
résoudre des équations du type :
Pi(
X) =
z où
X est la matrice
cherchée, et
z
une
figure
donnée. Si
M
est une solution particulière, alors
une matrice
X
est solution de l'équation si et
seulement si
X
– M appartient à Ker(
Pi).
L'ensemble des solutions est donc de la forme :
M + Ker(
Pi).
En particulier, le nombre de solutions est égal à
card(Ker(
Pi)).
L'ensemble des figures pouvant apparaître dans une colonne
secondaire est soit le sous-groupe des figures paires (pour
P12),
soit
le groupe tout entier
(pour les autres) :
Im(
P12)
= Ker(
s),
Im(
Pi)
= (ℤ/2ℤ)
4, avec 9 ≤
i ≤ 16 et
i
≠ 12. Autrement dit, les
morphismes sont surjectifs dans l’un de ces deux groupes.
Cela est évident pour les colonnes de
première et seconde génération.
Pour celles de troisième et quatrième
génération, on a :
- pour
P12,
l'inclusion est assurée
par la
propriété de parité de
P12
énoncée plus haut, et inversement, pour obtenir
une figure avec une paire de graines en
positions
i
et
j, il
suffit de prendre la matrice ayant un seul
coefficient
aij
égal à 1 (et les autres égaux
à 2), et pour obtenir une figure paire quelconque, il suffit
de la
décomposer en une, deux ou zéro figures avec une
paire de graines,
- pour
P16,
il suffit de placer la figure voulue
en
P1
et de construire
une matrice symétrique.
On en déduit que le nombre de tableaux ayant une figure
donnée dans une colonne donnée est
égal soit à 8.192 dans le
cas de
P12
(c’est-à-dire 65.536/8), soit
à 4.096 pour les autres (c’est-à-dire
65.536/16).
Le calcul explicite des éléments de Ker(
Pi),
c'est-à-dire les matrices qui donnent
l'élément neutre (2, 2, 2, 2) en position
Pi,
ne
pose pas de problèmes pour
i ≠ 12 et
i ≠ 16.
Pour
P12
et
P16,
ce
calcul a été
établi par Ramdane Sadi [1989, p. 41].
Pour calculer Ker(
P12),
notons d'abord que les
matrices telles que
tM =
M sont des solutions. Ainsi, l’ensemble des
matrices
mère
symétriques par rapport à la deuxième
diagonale est un sous-groupe de Ker(
P12).
Les
devins semblent
conscients de cette propriété, car
lorsqu’une matrice est
symétrique, il peuvent calculer immédiatement la
colonne
P12,
qui contient la figure neutre.
Dans le cas des matrices non symétriques, on remarque que
toute matrice se décompose de façon unique en
M =
M D
+
M C,
où
M
D est une matrice diagonale
symétrique (tous
les coefficients non diagonaux sont
égaux à 2), et
M C
une
matrice à
diagonale nulle (tous les coefficients diagonaux sont égaux
à 2). Comme
P12(
M D)
est toujours nul, il en
résulte que
P12(
M) est nul si et
seulement si
P12(
MC)
l'est aussi. Le problème se
ramène donc au calcul des matrices de
Ker(
P12)
à diagonale nulle.
L'égalité (1) ci-dessus conduit
à :
(
s1
+
s5)
+ (
s2
+
s6)
+ (
s3
+
s7)
=
s4
+
s8.
Donc, pour un élément de Ker(
P12),
le fait que
les quatre sommes
s1
+
s5,
s2
+
s6,
s3
+
s7,
s4+
s8
soient
égales à 2,
équivaut à seulement trois équations.
Elles s’écrivent (les coefficients diagonaux sont
supposés nuls) :
a14
+
a13
+
a12
+
a21
+
a31
+
a41
= 2,
a24
+
a23
+
a32
+
a42
=
a21
+
a12,
a34
+
a43
=
a32
+
a31
+
a23
+
a13.
La résolution consiste à choisir successivement
les coefficients de gauche des trois équations, ceux de
droite étant
déjà fixés par les choix
précédents. Une fois ces choix faits, on est
assuré que la somme des
éléments placés en
quatrième ligne et quatrième colonne est
égale à 2. Pour compléter
la matrice, il reste à choisir librement les quatre
coefficients diagonaux.
Pour calculer Ker(
P16),
on note qu’il
faut une figure paire
en
P1.
Les équations sur les coefficients de la matrice
mère se ramènent
à :
a11
+
a21
+
a31
+
a41
= 2,
a14
+
a13
+
a12
= 2,
a24
+
a23
+
a32
+
a42
=
a12,
a34
+
a32
+
a43
+
a23
=
a13.
Comme précédemment, on choisit les coefficients
des membres gauche, ceux de droite étant
déjà fixés.
L’étude des méthodes
développées par les devins pour chercher des
matrices permettant d’obtenir certaines figures dans
certaines
positions reste à l’heure actuelle un
problème non résolu. L’approche
algébrique basée sur le calcul des noyaux Ker(
Pi)
fournit le cadre de référence
général. Mais la démarche des devins
consiste vraisemblablement à restreindre le
problème
à des classes particulières de matrices.