Approche critique comparée des nombres aztèques et mayasAndré Cauty |
Comme tous les peuples du monde, les
Mésoaméricains étaient
soumis au rythme du dieu
Soleil. Des pans entiers de
la vie étaient inscrits dans
une année organisée en 19
périodes, à savoir dix-huit
‘mois’ de vingt jours et un
reste dit des jours inutiles,
dormants, innommés…
Dès le 7ème
siècle av J.-C.,
les Indiens distinguaient et
définissaient très vraisemblablement les jours
par des
qualités (bénéfiques, etc.) et par des
dates dites ‘almanach’ prises dans
l’ensemble des 13 x
20 = 260 expressions de la forme αX, où a est
un entier de 1 à 13 et X un nom de jour (ici codé
par un numéro en chiffres romains de I à XX).
Ces dates se suivent comme nos ‘Dimanche 1,
Lundi 2, Mardi 3, etc.’ et confèrent à
l’an vague
une organisation en treizaines et vingtaines de
jours ; par exemple, ci-contre une année aztèque
de 1er jour 2 Tochtli
(codé 2
VIII) suivi de 3 Atl
(3 IX), 4 Itzcuintli (4 X), etc. Les sources ne
permettent pas de dire avec certitude si les 5
jours de la période Nemontemi
étaient, ou non,
partout et toujours datés et placés ensemble
à la fin des 18 mois ou vingtaines.
Figure
II
Reconstitution théorique d'une année vague aztèque de 18 × 20 + 5 jours |
A partir du 4ème
siècle,
les Mayas
développent une nouvelle façon de distinguer et
définir les
jours de l’année vague : ils leur
attribuèrent 18 ×
20 + 5 = 365 expressions de la forme
βY,
dites dates ‘année solaire’
où β est un entier de 0 à 19 et Y un nom
de période. Les βY se
suivent comme nos ‘1 Juillet, 2 Juillet, 3 Juillet,
etc.’ et calquent la structure en 19 périodes
de l’année mésoaméricaine.
Par suite, pour les Mayas, les 365 jours de
l’année vague sont
distingués et définis par deux dates
différentes – dates ‘almanach’
et ‘année vague’ –,
lesquelles génèrent les 18 980 couples
(αX, βY) du produit tzolkin x
ha’ab de l’almanach
de 260 jours par l’année vague solaire de 365
jours. Ces 18 980 dates forment le CR –
Calendar Round, Roue Calendaire.
Voici une
année
vague solaire maya de 1er jour 0 Pop
suivi de 1 Pop,
2 Pop, etc., 19 Pop, 0 Uo,
1 Uo, etc., et qui se
termine le jour daté 4 Uayeb (cf.
Figure III ci-dessous).
Figure
III Une année vague maya de l'époque classique et l'innovation d'en dater les 365 jours par des expressions de la forme βY. |
Les dates
‘almanach’
(tzolkin) des jours de l’année
vague maya pourraient
être mises en correspondance avec les dates
‘almanach’ (tonalpohualli) de quelque
année
aztèque. L’année aztèque
présentée ci-dessus, par
ex., deviendrait l’année maya 2 Lamat,
3 Muluc, 4
Oc, etc. Mais la réciproque
n’est pas vraie. On ne
peut pas affirmer que les dates ha’ab de
l’année maya correspondaient à des
dates aztèques ‘année vague’
parce que de telles dates n’étaient
pas en usage, au sens où les sources n’offrent
aucun exemple antérieur à
l’arrivée des
Espagnols de date aztèque de la forme βY.
Les observateurs de l’époque coloniale
ont
tenté de montrer l’existence et le fonctionnement
d’un calendrier aztèque pour les jours de
l’année solaire. Ils ont
représenté et décrit les 19
périodes Y, leur ordre de succession, et leurs expressions
en langues indigènes.
La reconstruction d’une année solaire
aztèque reste cependant incertaine et peu fiable parce
que les sources divergent sur plusieurs points, et secondairement parce
que les documents
sont parfois illisibles ou entachés d’erreurs de
copistes.
Figure IV Enumération par Duran des rangs α et des noms X |
Un auteur du XVIIe,
Durán, a
dressé deux tableaux respectivement de 13 et 20 cellules
contenant un numéro et un signe X de jour
‘almanach’ (cf. Figure
IV ci-dessus) De gauche à droite et de
haut en bas, les jours X sont placés dans l’ordre
canonique des
jours, de Cipactli (1er
jour) à Acatl (13ème)
et à
Xochitl (20ème et
dernier jour). De même, les numéros
sont dans l’ordre naturel des entiers. Dans les deux
tableaux, Durán compte/numérote à
partir de 1. Sans
incident dans la treizaine ni dans la première
moitié de
la vingtaine. L’énumération
déraille dans la deuxième
moitié : le tableau comprend deux numéros 13 et
un
numéro 21. Ces exemples
d’énumération incitent à ne
pas reconstruire les années vagues aztèques sans
critiquer le seul modèle connu, celui des dates βY
mayas : on sait par exemple que ces derniers notaient
les rangs β des jours de l’année en
commençant à zéro,
un 0 ordinal représenté par le logogramme CHUM.
Faute de listes complètes de dates βY
d’un ou plusieurs mois aztèques, on ne sait pas si
le compte aztèque des jours aurait
commencé à 1 ou à 0, et on ne peut pas
fixer, à un jour près, le jour
désigné par une
expression comme [1] « 9ème
jour du mois de Quecholli ». Non pas tant
en raison des habitus
d’énumération, mais surtout parce que
les sources ne font pas toutes commencer l’année
par
le même mois Y (en principe Atlcahualo ou
Izcalli) et qu’elles ne disent pas avec
toute la
précision désirable s’il faut, ou non,
compter et dater les jours Nemontemi.
Comme les mexicanistes d’aujourd’hui, les auteurs
de l’époque coloniale se sont efforcés
de
reconstruire les années aztèques en datant les
365 jours de l’année solaire à
l’aide de leurs
260 dates tonalpohualli αX (au 261ème
jour, la liste est épuisée). Aztèques
ou non, les
années vagues solaires mésoaméricaines
se présentent sous 52 formes différentes qui se
distinguent par la date αXp de leur
premier jour (dit Porteur
de l’année) ou de tout autre
jour (dit Eponyme de l’année) défini
par son rang n dans l’année. Les sources sont
muettes
sur la définition de l’éponyme : on ne
connaît donc pas avec certitude le rang n du jour
convenu pour distinguer les années du xiuhtlalpilli.
Pour Rafael Tena, auteur moderne,
l’éponyme est le 80ème
jour (dernier du 4ème mois) de
l’année vague et sa date tonalpohualli
prend 52 valeurs αXp
. Durán, par contre, faisait
commencer
l’année solaire un jour daté 1
Cipactli, et par conséquent le rang n du
jour éponyme de l’année ne pouvait pas
être fixe et
aurait du prendre 52 valeurs numériques
différentes, ce qui semble peu vraisemblable.
Durán a produit les vingt dates αX de chacun des
18 mois d’une année solaire. Mais, la
mécanique s’est
déréglée ; d’abord au 9ème
jour du onzième mois puis au 15ème
jour du
douzième mois :
Figure V
Reconstitution par Duran des 11ème
et 12ème mois
de vingt jours d'une année vague solaire aztèque
|
Reportant les dix-huit mois de Durán sur un tableau de 19 colonnes simulant l’année vague solaire, on obtient le calendrier suivant : « 1 Cipactli, 2 Ehecatl, 3 Calli, etc. » sans erreurs structurelles jusqu’au 8ème jour du 11ème mois. C’est le jour daté 13 Tochtli ; il est suivi par la première date vraisemblablement erronée, 13 Atl, ainsi que toutes celles qui suivent.
Figure
VI
|