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Les Écritures mayas du Nombre

André Cauty & Jean-Michel Hoppan
(Centre d'Etude des Langues Indigènes d'Amérique)

Article déposé le 20 mai 2007. Toute reproduction pour publication ou à des fins commerciales, de la totalité ou d'une partie de l'article, devra impérativement faire l'objet d'un accord préalable avec l'éditeur (ENS Ulm). Toute reproduction à des fins privées, ou strictement pédagogiques dans le cadre limité d'une formation, de la totalité ou d'une partie de l'article, est autorisée sous réserve de la mention explicite des références éditoriales de l'article.

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Première thèse : interprétant linguistique

Si la langue naturelle est l’interprétant ultime de tout système sémiotique, alors les numérations parlées et les grammaires des langues mayas sont les interprétants naturels des numérations écrites ou figurées des scribes de l’époque classique.

Premières observations

1.- Les langues mayas sont des langues à classificateurs, et donc à faible pluralisation ; ce caractère typologique se traduit par une très claire distinction des arguments de l’expression des déterminations du type « numéral (déterminant/déterminé) ». Par exemple, les expressions françaises comme « trois mesures de farine », l’expression yucatèque ox-tul winik ‘trois des animés humains hommes’, ou, en langue classique, ox-te tun ‘trois mesures de (temps) année’.

En maya, la duplication est une des façons de marquer le pluriel. Cette forme particulière de la pluralisation a possiblement motivé : d’une part, une forme graphique du glyphe de la période baktun (1 baktun = 20 katun = 20 x 20 tun) ; et, d’autre part, dans une autre forme graphique de cette même période, celle de l’opérateur x400 figurant au-dessus du glyphe de la période tun. Cette duplication est celle du CAUAC : CAUAC+CAUAC = CAUAC+pluriel ‘des vingts’ soit finalement la valeur 400.

Opérateur

 

x20

x400

Glyphe de

Période

tun

katun

baktun

2.- Toutes les numérations mayas parlées anciennes étaient vigésimales. Jusqu’à la conquête espagnole, les numéraux représentant les premiers nœuds du système (c’est-à-dire vingt et ses premiers multiples) et les entiers jusqu’à vingt (c’est-à-dire les ‘chiffres’ de la numération) étaient : a) des atomes (ex. : kal ‘vingtaine’, bak ‘quatre-centaine’, pic ‘huit-millier’, …, hun ‘un’, ca ‘deux’, ox ‘trois’, …) ; b) des formes figées très intégrées (bolon ?, buluc ?, lahca) ; et c) pour les valeurs de treize à dix-neuf, des composés ‘additifs’ formés sur l’appui dix en position de second argument : ox-lahun ‘trois-dix = 13, can-lahun ‘quatre-dix = 14, …, bolon-lahun ‘neuf-dix = 19’.

Cette morphologie additive des entiers de 13 à 19 en numération parlée n’est pas la morphologie répétitivo-additive du système des chiffres de style points/ barres, et qui était en usage depuis le milieu du premier millénaire avant J.-C. chez tous les peuples mésoaméricains  :

 

     1.

    2.

     3.

     4.

      5.

     6.

    7.

     8.

     9.

    10.

    11.

   12.

   13.

   14.

    15.

    16.

   17.

   18.

   19.

La morphologie additive des nombres de 13 à 19 a sans doute servi de modèle pour la formation des chiffres de style céphalomorphe utilisés par les scribes mayas de l’époque classique. En effet, les céphalomorphes du même intervalle (13, 19) sont des composés. Le graphisme intègre dans la forme des entiers de 3 à 9 celle de l’appui additif dix, ici représenté par une ‘mâchoire décharnée’, figure de la tête de mort représentative de ‘dix’.

Il est intéressant de noter, nous dit Jean-Michel Hoppan, que la racine LAH de lahun ‘dix’ signifie ‘achèvement’, et que, par suite, cette signification est possiblement un élément de motivation du choix graphique d’une tête de mort ou, dans les composés, d’une mâchoire décharnée, pour représenter l’entier 10 en style céphalomorphe.

 


3.- Les numérations mayas parlées à l’époque classique étaient de type protractif. Avec des effets différents selon les langues mayas, la Conquête et la Colonisation espagnoles ont provoqué d’importantes évolutions dans les numérations parlées ; les modifications vont jusqu’à l’abandon des numérations protractives au profit de la numération décimale espagnole, ou jusqu’à l’abandon total ou partiel des formes protractives au profit de formes additives.

L’opération de protraction consiste à exprimer un nombre, par exemple 35, à l’aide de deux arguments, par exemple 15 et 40. Le second argument, 40, est un palier vigésimal de la numération. Il est exprimé par une forme ordinale, par exemple la forme ‘deuxième vingtaine’. Le premier argument, 15, est à ajouter, non pas au second, 40, mais au nœud précédent, la ‘première vingtaine’, soit à 20 dans notre exemple. En yucatèque colonial, 35 se dit holhu tu-(ca) kal ‘15 vers 2ème 20’ Les formes protractives sont caractérisées par l’ordre (croissant) des arguments et la présence du relateur tu ‘vers’ ; l’ordre inverse est caractéristique, dans toutes les numérations parlées, de l’opération d’addition.

Quoi qu’il en soit, les formes protractives de l’oral ont vraisemblablement motivé certaines écritures numérales. Par exemple, les exceptionnelles formes avec logogramme TU du codex de Dresde pour les nombres 29, 36 et 35 :

BOLON TU (ca-)KAL    

‘9 ® (2°) 20 

UACLAHUN TU (ca-)KAL

   ‘16 ® (2°)20’ 

HOLHU TU (ca-)KAL

    ‘15 ® (2°)20

Par exemple encore, les notations de l’âge de la Lune (valeurs allant de 21 à 29) dans les séries lunaires. Ci-contre une Lune de 29 jours écrite sur le modèle bolon tu (ca-) kal ‘9 d (2°) 20’ d’une protraction, dans la mesure où les arguments, 9 et 20, sont placés dans l’ordre des arguments croissants, caractéristique des formations protractives.

Par contraste, voici diverses représentations additives de 29 et 30 dans lesquelles les arguments sont placés dans l’ordre décroissant et étaient vraisemblablement lus sur le modèle hun kal catac bolon (catac est le coordonnant ‘et’). Il s’agit, dans les séries lunaires, de la notation de la durée de la lunaison concaténant un glyphe pour vingt et un autre pour neuf (ou pour dix) ; ces glyphes peuvent être de style points/barres ou de style céphalomorphe, et quelle que soit leur imposition (verticale ou horizontale) ils sont placés dans l’ordre décroissant :

VINGT NEUF

VINGT NEUF

VINGT NEUF

VINGT DIX

VINGT DIX

VINGT DIX

 

Deuxième thèse: complexité du numéral

Premières observations

En première approximation, le domaine d’expérience du nombre distingue les domaines du « nombre » et du « nombre-de ». Le premier, plus abstrait, est le domaine de l’arithmétique et du calcul. Le second, plus concret, est celui des dénombrements, des mesures, de la métrologie.

Le domaine du « nombre » distingue généralement trois aspects indissociables de ce concept, à savoir: « ordinal », « cardinal » et « quantième ou fraction de l’unité » ; loin d’être indépendants, ces aspects sont toujours articulés entre eux.

Le « nombre de » est distribué en différents domaines d’expériences : les dénombrements (marqués, chez les Mayas, par des classificateurs numériques qui distinguent par exemple la classe des animés humains, des animaux, des objets ronds, des objets rangés en file, etc.), et les mesures ou domaine de la métrologie.

Deuxièmes observations

Contrairement aux Mésopotamiens et à la plupart des autres civilisations, les Mayas ont développé un seul système métrologique, celui des unités de temps (les glyphes de période) ; et ils n’ont pas développé de systèmes écrits spécialisés aux mesures de longueur, de capacité, de poids, de monnaie, etc. On peut penser que le système des classificateurs des langues parlées rendait ce développement inutile ou redondant.

1.- Dans toute la Mésoamérique, le domaine du « nombre de » comprend la mesure des durées, dont la représentation écrite commence avant l’ère chrétienne, et se présente généralement comme des nombres à cinq chiffres (séries initiales). Prenons par exemple série initiale de la stèle C de Tres Zapotes (32 avant J.-C.). Elle est notée comme un nombre à cinq chiffres 7.16.6.16.18.

Faute de mieux, les inscriptions non mayas sont déchiffrées et interprétées à l’aide de ce que l’on sait des notations et des datations mayas. Les nombres comme le précédent sont ambivalents : ils représentent indissociablement une durée et/ou une date.

 

 

 

7.
16.
6.

16.

18.

Ces cinq chiffres, quand ils sont lus comme un nombre d’années (7.16.6. tun; 16.18) ou de jours (7.16.6.16.18. kin) représentent la durée écoulée depuis l’origine de la chronologie maya, ou, si l’on préfère, le pas d’une translation directe depuis cette même origine. Transcrite en décimal, cette durée est de 1 125 698 jours [(7 x 144000) + (16 x 7200) + (6 x 360) + (16 x 20) + 18].

Quand ils sont lus comme une date, ces cinq chiffres représentent le jour (quantième) atteint par cette translation, c’est le 1°125°698ème jour, le jour daté 6 Edznab 1 Uo dans le calendrier maya.


2.- Chez les Mayas, mais pas chez leurs voisins, la notation des durées a suscité, à l’époque classique, la création du système des glyphes de périodes ; c’est un système vigésimal d’unités de temps ; il est isomorphe au système des nœuds des numérations parlées. Le système comprend :

a) une unité principale, le tun. C’est une ‘année de compte’.

b) la suite ouverte[1] de ses multiples, en particulier : le katun (= 20 tun) et le baktun (= 20 katun = 400 tun) toujours présents dans les séries initiales ou les dates en Compte Long.

c) deux sous-unités : le kin ‘jour’ et son multiple uinal ‘mois’ (= 20 kin) :

tun

katun

baktun

etc.

etc.

Pour des raisons qui restent obscures, les Mayas divisèrent l’année tun en 18 uinal. On peut cependant noter que l’année zodiaquale maya de 364 jours était divisée en 13 constellations de 28 jours. Quoi qu’il en soit, le choix d’une année de 18 uinal fait que le tun est une année de 360 jours.

kin

uinal

De ce fait, on a non seulement l’égalité 1 tun = 360 kin, mais l’apparition de variantes systématiques pour l’écriture de certaines durées (supérieures au tun) : par exemple, la durée de l’année solaire, 365, s’écrit généralement 1.0.5. ‘1 an 0 mois 5 jours’, mais peut aussi s’écrire plus exceptionnellement 18.5. ‘18 mois 5 jours’.

Les éléments du système des unités de temps sont atomiques ou construits comme des déterminations à valeur multiplicative (sur le modèle du français : douzaine > grosse ; mille > million) dans lesquelles le déterminé est une unité de temps (tun, par exemple) et le déterminant un opérateur multiplicatif marqué par un ‘superfixe’.

C’est par exemple l’élément KA représenté par un signe CAUAC encadré de deux poissons, le tout de lecture ka(l), placé au dessus du glyphe du tun. L’ensemble, glyphe TUN + superfixe KAL, est le glyphe composé du premier multiple du tun, le glyphe katun.

Les durées sont toujours représentées par des suites de composés (avec ou sans glyphes de période Pi exprimés) que l’on peut interpréter comme des monômes SciPi ou Sc; par exemple :13-baktun 0-katun 0-tun 0-uinal 0-kin, ou 13.0.0.0.0..

3.- Chez les Mayas, une grande durée (série initiale, date en Compte Long) est toujours conceptualisée en logique vigésimale (polynomiale) et sémiotisée à l’aide de trois numérations écrites, historiquement attestées dans l’ordre suivant :

3.1.- La numération mésoaméricaine sans glyphes de période ni zéro attestée par exemple par la notation 7.16.6.16.18. de la stèle C de Tres Zapotes ; cette numération mésoaméricaine est aussi connue et utilisée par les Mayas, même à l’époque classique et après l’invention du zéro et des glyphes de période, comme le montre la série initiale 9.11.12.9.0. de la stèle 1 de Pestac (figure ci-dessous).

3.2.- Les numérations mayas avec glyphes de période :

 

Pestac

 

9.
11.

12.

9.

0.

3.2.1.- d’abord utilisée sans zéro  pour des durées ‘entières’ (des fins de katun, par ex.) comme le 8-baktun 4-katun de la plaque de Dumbarton Oaks,

3.2.2.- puis, toujours sans zéro, pour des durées ‘complètes’ (en kin) par exemple : 8-baktun 14-katun 3-tun 1-uinal 12-kin sur la plaque de Leyde, ou 8-baktun 12-katun 14-tun 8-uinal 15-kin sur la stèle 29 de Tikal. Enfin : 

3.2.3.- avec zéro (toujours avec glyphes de période). Il s’agit du zéro cardinal noté en toutes positions et avec autant d’occurrences que nécessaires. Il est attesté à partir des stèles 18 et 19 d’Uaxactún (2 février 357) : 8-baktun 16-katun 0-tun 0-uinal 0-kin.

Dumbarton

8-baktun

4-katun

3.3.- La numération maya sans glyphes de période et avec zéro que les scribes utilisait essentiellement dans les codex (et vraisemblablement pour les calculs). C’est la numération vigésimale strictement de position.

Les durées sont représentées par des nombres à n chiffres sans aucune indication d’unités et figurent dans les codex à titre de : séries initiales, dates en Compte Long, nombres de distance, occurrences des multiples d’un nombre (par exemple 584 renvoyant à la révolution synodique de Vénus) dans des tables de multiples qui, parfois, sont coupées par des non-multiples qui servent de correctifs à l’inévitable obsolescence des calendriers.

Les tables de multiples sont les formes les plus abstraites d’usage du nombre dans les documents mayas parvenus jusqu’à nous. Les nombres qui figurent dans ces tables sont associés à des dates du tzolkin (calendrier religieux ou année de 260 jours), du Calendrier Rituel (produit du tzolkin et du ha’ab ou calendrier solaire de 365 jours), ou de tout autre cycle naturel ou astronomique. Dans cet usage, les dates associées aux durées présentent la propriété d’être l’image d’une date particulière par les translations dont le pas est défini par les nombres de la table considérée. Très fréquemment, l’image finit par se fixer sur une date particulière (par exemple un 4 Ahau).

Ce fait tend à démontrer que les scribes cherchaient systématiquement les invariants des opérateurs de translation. D’où l’on déduit la thèse que les Mayas développèrent l’étude du nombre comme une sorte d’arithmétique du groupe des translations opérant sur des ensembles de dates, eux-mêmes définis comme des produits de toutes sortes de cycles.

Exemples :

 

Leyde

Dresde

Uaxactún

Remarque 1.- Chez les Mayas du classique, en numération avec glyphes de période et zéro, les grandes durées se présentent généralement sous deux formes : a) la forme des séries initiales (en principe sur les stèles et les monuments, exceptionnellement dans les codex) dans laquelle les glyphes de période sont disposés dans l’ordre décroissant (depuis les baktun jusqu’au kin), et b) la forme des nombres de distance dans laquelle les glyphes de période sont disposés dans l’ordre décroissant. Il existe aussi des marqueurs pour préciser si la translation désignée par le nombre de distance est directe ou rétrograde. Assez systématiquement, les scribes utilisent des formes abrégées dans lesquelles le glyphe des kin est sous-entendu et où son coefficient est porté par le glyphe uinal, lequel, de ce fait, porte deux coefficients.

Remarque 2.- Les petites durées ne sont pas toujours écrites sous la forme polynomiale Sci(Pi) des numérations de position (sans glyphes de période) ou dispositionnelle (avec glyphes de période). Elles sont parfois notées à l’aide d’une numération écrite de type « additif » comme celle des chiffres romains. C’est le cas, en logique cardinale, de la notation des petites durées des almanachs divinatoires et des durées (29 ou 30 jours) de la lunaison. Ces petites durées sont représentées « à la romaine » c’est-à-dire par : a) un chiffre (en fait, un nombre à un chiffre, lui-même simple, répétitif ou additif) pour des durées inférieures à 20 (jours), ou, b) quand les durées sont supérieures à 20, par une expression additive dont le premier élément est le nombre d’appui ‘vingt’ représenté par un logogramme KAL, UINAL ou UINIK. Il est intéressant de souligner l’extrême concision des notations dans les almanachs divinatoires : les équations temporelles « date d1 + durée T = date d2 » se présentent comme la suite des rangs a des dates di, dans laquelle s’intercalent la suite des durées T. Un almanach apparaît ainsi comme une suite de petits nombres, alternativement une date et une durée. Pour s’y retrouver, les scribes utilisaient une encre rouge pour les dates et une encre noire pour les durées ; dans ce contexte, le rouge est donc le signe d’une valeur ordinale, et le rouge celui d’une valeur mesure (cardinal).


Exemple : almanach divinatoire en page 2c du codex de Dresde

Remarque 3.- Jean-Michel Hoppan précise la thèse selon laquelle les scribes distinguaient sans les confondre les points de vue direct et rétrograde, prospectif et rétrospectif, et ceci est attesté par les variantes graphiques des zéros tant ordinal que cardinal. Par exemple, à l’époque classique les milieux de katun étaient marqués par un glyphe combinant le signe T606/YM3 (TAN ‘milieu’) au signe T173/ZQ3 (LAM ‘moitié’) qui est une variante du zéro cardinal T173/ZQ4 dont le pistil (et parfois aussi les pétales) portent les « bandes croisées » dont la valeur est, selon le contexte : TAN, ta, ou K’AT ‘croix, carrefour’. C’est le cas par exemple sur la stèle A de Copan où la combinaison T606/T173 indique le milieu d’un lahuntun (c’est-à-dire l’accomplissement d’un hotun) correspondant à la date 9.15.0.0.0. du Compte Long. En d’autres termes, les glyphes de mi-période se présentent comme une variante du zéro cardinal. Plus précisément, du zéro cardinal considéré du point de vue rétrospectif, et exprimant l’accomplissement de la première moitié de la période (souvent un katun et, dans ce cas, le glyphe renvoie aux dix tun qui viennent de se terminer et pas aux dix tun à venir).

On peut donc distinguer : a) Les zéros céphalomorphes ou du type ‘main devant volute et sur miroir’ que l’on considère comme du cardinal rétrospectif (paquet de 20 accompli), b) le zéro de type MA’ (renvoyant à la négation) que l’on considère comme du cardinal prospectif (paquet de 20 à accomplir), c) le zéro ordinal CHUM des dates du ha’ab comme un zéro ordinal prospectif et d) le zéro ordinal TI’HA’B des variantes « 20 (Y-1) » des dates « 0 Y » de l’année solaire (ha’ab), que l’on considère comme un zéro ordinal rétrospectif.

Remarque 4.- Le « domaine du « nombre » comprend essentiellement les formes qui figurent dans les tables arithmétiques (par exemple table des multiples de 2920). Il convient d’y ajouter toutes les formes des numéraux utilisés abstraitement, sans indication de la mesure ou de la nature des référents. Ceci concerne essentiellement, en logique ordinale, la notation des rangs a et b des jours du Tzolkin et du Ha’ab.  Il est intéressant de noter que les rangs forment deux cycles, l’un allant de 1 à 13, et l’autre de 0 à 19 (ou à 4, dans le cas de Uayeb) ; dans ce dernier cas, il s’agit du zéro ordinal (CHUM) dont la forme dérive du glyphe de l’intronisation, et dont la plus ancienne attestation remonte à la plaque de Leyde (17 septembre 320). Ce zéro des rangs du ha’ab est en fait un point de départ/arrivée du cycle (0,19) un zéro ordinal prospectif (admettant d’ailleurs comme variante le 20 rétrospectif). De même, le 13 des rangs du tzolkin est un point de départ/arrivée écrit comme un accomplissement du cycle (1, 13), comme un 13 rétrospectif (qui pourrait admettre comme variante le zéro ordinal prospectif).

Remarque 5.- l’hypothèse courte et le cycle de 13-baktun.

De rares exemples comme celui de la stèle 1 de Coba suggèrent l’hypothèse que le coefficient du baktun[2], ne pourrait prendre sa valeur que dans l’intervalle [0, 13]. De fait, dans leur immense majorité, les grandes durées écrites par les Mayas sont équivalentes à des nombres à cinq chiffres, et même à des nombres à cinq chiffres dont le premier (coefficient de baktun) est un 9. ou, moins souvent, un 7., un 8., ou un 10.[3]. La distribution restreinte du coefficient de baktun dans le corpus des Comptes Longs mayas n’est pas un mystère : comme le premier chiffre de nos années (le 2 de l’année 2007), le premier chiffre d’un Compte Long donne une première approximation de la date. Nos années commençant par 19 sont toutes situées dans le XXe siècle. De même, les Comptes Longs commençant par un 9-baktun correspondent à des dates de la période de grand développement de la civilisation maya : son déclin commence à partir du 10-baktun (la dernière stèle fut consacrée à Tonina). Qu’il n’y ait pas par exemple de 19-baktun n’est pas plus étonnant que l’absence dans nos communications d’une année 9-mille.

Un autre fait incontestable, c’est que, pour toutes les périodes inférieures au baktun, le coefficient des unités de temps peut prendre, comme les chiffres de la numération écrite, toutes les valeurs de l’intervalle [0, 19]. Et ceci est aussi vrai pour le coefficient de la sous-unité uinal qui fait pourtant exception dans la mesure où 18-uinal font 1-tun et 19-uinal font 1-tun 1-uinal.

On sait par ailleurs que la durée 13.0.0.0.0. est attestée comme étant le correspondant en Compte Long de l’origine 4 Ahau 8 Cumku du Calendrier Rituel. Ces faits s’inscrivent dans la conception cyclique de créations/ destructions (notamment de l’humanité) des Mayas d’hier et d’aujourd’hui. Ils suggèrent que les scribes croyaient vivre au cours d’un cycle créationnel commencé un jour 4 Ahau 8 Cumku et devant durer 13-baktun.

Si l’on retient la corrélation la plus répandue, celle de Goodman-Martinez-Thompson, la création contemporaine des Mayas a commencé le 11 Août 3114 av. J.-C., durera 1 872 000 jours (5125 ans), et s’achèvera prochainement, en principe le 21 décembre 2012, ouvrant ainsi le cycle de la nouvelle création qui nous dira quel nouvel homme sera l’héritier des hommes de maïs.

Que le monde créé soit, ou non, un cycle[4] de 13-baktun commencé (ou fini) un jour 13.0.0.0.0., n’implique en rien que le système des unités de mesures de temps cesse brutalement, au passage de l’unité baktun, d’être vigésimal pour commencer à suivre une progression de raison 13. Autrement dit, même en considérant que la théologie maya n’est pas nécessairement indépendante de l’arithmétique ou de la science des mesures maya, les deux thèses théologiques (13.0.0.0.0. comme début et durée du monde) n’invitent pas à poser l’hypothèse courte. La systématicité du principe vigésimal est un habitus tellement enraciné chez les Mayas qu’il semble impossible d’imaginer que les scribes puissent envisager de s’interdire l’usage de tous les coefficients de l’intervalle [0, 19] pour toutes les unités de temps. Les thèses théologiques auraient-elles pu restreindre à [0, 13] le coefficient du baktun et de ses multiples à 13[5] ? La réponse est non.

La stèle 10 de Tikal est, en effet, un contre-exemple flagrant de l’hypothèse courte. Elle porte la durée 1-kinchiltun 11-calabtun 19-pictun 9-baktun 3-katun 6-tun 2-uinal 0-kin, dans laquelle le coefficient 19. du pictun est évidemment plus grand que 13. La stèle N de Copán est un autre exemple qui contredit deux fois l’hypothèse courte en portant l’inscription 0-(kin) 0-uinal 10-tun 19-katun 17-baktun 14-pictun dans laquelle le coefficient 17. du baktun et le coefficient 14. du pictun sont supérieurs à 13..

D’où la conclusion que le système des unités de mesure de temps est, au moins à partir du tun, un système purement vigésimal (dont les unités sont en progression de raison vingt) : sur les stèles et les monuments, les glyphes de période qui les représentent, sont déterminés par des coefficients numériques inférieurs strictement à 20 allant, comme les chiffres de la numération, de 0 à 19.

Indépendamment de ce fait vigésimal, peut-on deviner les motivations qui poussèrent les scribes à fixer l’origine de la quatrième création un jour noté 13.0.0.0.0. en Compte Long ?

Cette écriture est celle d’un point de départ/arrivée d’un cycle de durée 13-baktun, et dit qu’un déplacement de cette durée fait passer du jour ‘origine’ au jour 13.0.0.0.0.. Ce jour, nous dit la théologie maya, est à fois la fin d’une création et le début d’une autre. Les écritures 13.0.0.0.0. et 0.0.0.0.0. traduisent deux points de vue différents pour distinguer un même et seul jour vu comme le dernier du cycle qui se termine (point de vue rétrospectif) ou comme le premier du cycle qui s’ouvre[6] (point de vue prospectif).

Du point de vue de l’arithmétique, les nombres 0.0.0.0.0. et 13.0.0.0.0. partagent certaines propriétés, à commencer par le fait qu’ils distinguent la date de départ/arrivée d’un cycle créationnel. Ces deux nombres sont nuls dans tous les calculs modulo 13 et modulo 20, ce qui implique que tout déplacement nul ou par pas multiple de 13-baktun laisse invariantes les dates aX du tzolk’in. Par exemple, toutes les créations tombent un 4 Ahau. Cette propriété, être divisible par 13 et par 20, est partagée par tous les nombres exprimés par des durées de la forme 13-UNITE (UNITE désigne ici toute mesure de temps supérieure au baktun). D’une manière générale, on ne change pas la date religieuse d’un événement si on fait précéder son expression en Compte Long par une suite arbitrairement grande de 13..

Pour la religion maya, les cycles temporels sont dédiés à des entités mythiques : par exemple aux 9 seigneurs de l’infra monde, ou aux porteurs de l’année vague. Une image traditionnelle présente chacune de ces entités sous les traits d’un personnage chargé du fardeau d’un cycle temporel ; chaque porteur le garde sur le dos le temps de la durée de son cycle, et, arrivé à son terme, il passe le fardeau au porteur suivant. Ainsi passent les périodes, et les plus importantes d’entre elles donnent lieu à des célébrations. Les points de départ/arrivée sont donc les moments solennels où le porteur chargé d’un cycle le transmet au porteur suivant. La théologie maya nous invite ainsi à penser que le cycle des créations/ destructions de mondes ou d’humanités met en scène n porteurs en charge des créations (supposées être des cycles de 13-baktun). Pourquoi ne pas choisir n = 13 ? Associé aux 13 cieux mayas, ce nombre pourrait être le pendant de celui des seigneurs des 9 infra mondes. Suffisantes ou non, il y a en tout cas des raisons culturelles susceptibles d’avoir motivé le choix du treize de 13-baktun ou de 13.0.0.0.0..

L’exemple suivant tend à montrer que les scribes ont peut-être généralisé au cas des dates bY la propriété d’invariance des dates aX par translation de pas multiple de 13-UNITE (période supérieure au baktun). Ce nombre s’écrit avec 13 chiffres, on le trouve sur la marche 7 de l’escalier hiéroglyphique 2 de Yaxchilan :

 

     A            B            C            D           E             F             G            H

 

              3ème groupe (multiple du TUN)     1er groupe (série init.) 

 

1

2

 

                              2ème groupe (mult. du Cauac)        date 3 Muluc 17 Mac

Partant de l’hypothèse qu’il s’agit de l’écriture d’une durée, on lit, sur cette marche : a) une durée distribuée sur treize[7] unités de temps dont les noms, quand ils sont attribués, sont encore assez mal identifiés : 13-? 13-? 13-? 13-? 13-alautun 13-kinchiltun 13-calabtun 13-pictun 9-baktun 15-katun 13-tun 6-uinal 9-kin, b) la date 3 Muluc du jour de l’année religieuse auquel cette immense durée fait parvenir en partant d’une date origine 4 Ahau, et c) la date 17 Mac de l’année solaire.

Le calcul montre que cette date solaire est celle du jour auquel on parvient par un déplacement de 9-baktun 15-katun 13-tun 6-uinal 9-kin (depuis l’origine) qui d’ailleurs fait passer, dans l’année religieuse, d’un 4 Ahau à un 3 Muluc (obtenu en ignorant les unités supérieures coefficientées par 13). Il est donc vraisemblable que le scribe n’a pas tenu compte des grandes unités (coefficientées par 13 et supérieures strictement au baktun) pour calculer (ou vérifier sa cohérence avec le Compte Long) la partie solaire de la date, dans le CR, du jour auquel ce compte fait parvenir. Pour la partie aX, le test est inopérant parce que tous les monômes sont composés de grandes unités (donc multiples de 20) et portent le coefficient 13 : ils sont donc multiples de 260. Par suite, la contribution de ces monômes dans la translation est nulle : ils laissent invariantes les dates religieuses.

Une première analyse visuelle de la durée inscrite sur la marche 7 conduit à placer les glyphes de période de cet exemple en trois groupes : Le premier groupe est attesté par mille documents de l’époque classique qui s’ouvrent par une série initiale standard, c’est-à-dire une durée distribuée sur les cinq premières unités de temps, une durée exprimée par un nombre à cinq chiffres, soit une expression graphique comportant cinq glyphes de période.

Ce premier groupe comporte les deux sous-multiples (uinal et kin) du tun et ses deux premiers multiples (katun et baktun). Comme souvent, le scribe a mélangé les styles. Le glyphe du baktun est de style céphalomorphe, celui du katun est de style normal (ou symbolique). Du point de vue des opérateurs multiplicatifs (marqués par des compléments au glyphe principal), on a sans doute en F1 l’opérateur x20 marqué par un signe « CAUAC » entouré des parenthèses « écailles de poisson », le tout placé au-dessus du logogramme TUN. Ce même opérateur x20 se trouve sans doute encore en E1 (expression 9-baktun) où il est représenté par la main en infixe sur la mâchoire d’un céphalomorphe dont le glyphe principal pourrait bien être celui du katun ; cette main « de l’accomplissement » est caractéristique du chiffre zéro en style céphalomorphe.

Le deuxième groupe comprend trois multiples (pictun, calabtun et kinchiltun) construit sur le « CAUAC double », lui-même  supposé être le logogramme normal (ou symbolique) du baktun. Les 3 ‘superfixes’ plus ou moins complexes devraient respectivement marquer les opérateurs x20, x400, et x8000 (sur la base du baktun)

Le troisième groupe comprend cinq multiples successifs du tun (marqué par son logogramme servant de partie principale pour les cinq périodes de ce groupe) le premier (plus petit) élément de ce groupe (alautun) vaut, par sa position, 160000 baktun et donc 400 x 160000 tun ; le plus grand du groupe est 160000 fois plus grand que le plus petit ;  les cinq superfixes devraient former une chaîne vigésimale d’opérateurs multiplicatifs :

C

D

E

F

G

alautun
206

kinchiltun
205

BAKTUN
202

KATUN
201

KIN

calabtun
204

pictun
203

TUN
200

UINAL

 

Remarque 6.- Multiplication par 1a base et ‘zéro opérateur’. Guitel hésite au moment de décider si les Mayas ont inventé une ‘vraie’ numération de position. Les arguments en faveur de la thèse sont des faits : les Mayas ont inventé un glyphe zéro (cardinal) et ils l’ont toujours utilisé systématiquement et en toutes positions. Les arguments en défaveur de la thèse se réduisent à l’idée que la saisie vraiment mathématique du concept zéro aurait dû conduire les puristes à réformer les usages des numérations de disposition et de position, supprimer l’irrégularité d’une année de dix-huit mois, afin de profiter pleinement de la propriété du zéro opérateur.

Guitel appelle zéro opérateur, la règle qui permet, en numération de position, d’obtenir l’écriture du produit d’un nombre N par la base b de la numération, en ajoutant simplement un zéro à l’écriture de N : 187 x 10 = 1870. Qu’en est-il de cette propriété en numération maya ?

Si l’on admet que l’unité principale des durées était le tun, le zéro maya est un zéro opérateur, et l’objection s’écroule d’elle-même. C’est la thèse que nous défendons. Accordons cependant aux ‘adversaires’ qu’il faut étudier le cas où l’unité principale serait le kin.

Soit N un entier de la forme c0-kin + c1-uinal + c2-tun + c3-katun... s’écrivant N = c0, c1, c2, c3, ... , et soit 1.0. N son produit par la base vingt. Quelle est l’écriture de ce produit ?

Calculons en numération décimale. Comme 400 c1 = 2 x 20 c1 + 360 c1, on a :

20 N = 20 x (c0  + 2 c1) + 360 x c1 + 7200 x c2 + 144000 x c3 + ...

D’où, en revenant à l’écriture vigésimale, la formule :

1.0. N = 0, (c0 + 2. c1 ), c2, c3, ...             (EV)

On constate que l’écriture du produit 1.0. N a un chiffre de plus que celle de N, et que ce chiffre est un zéro, comme c’est le cas dans une numération de position sans irrégularité. Une différence importante, par rapport à une numération sans irrégularité (une année de 18 mois) est que le chiffre maintenant en deuxième position n’est pas le premier chiffre de N.

Distinguons deux cas :

Cas 1. le chiffre c1 de N est nul. Il en résulte que c0  + 2 c1 = c0. Le zéro maya est, dans ce cas, un zéro opérateur au sens le plus strict de Guitel.

Cas 2. le chiffre c1 de N n’est pas nul. Dans ce cas, l’écriture de 1.0. N est donnée par la formule générale. Cette fois, il peut y avoir des transformations de chiffre à effectuer (phénomène de la ‘retenue’), à partir du deuxième chiffre et ceci dans le cas où c0 + 2 c1 est supérieur à 18.

Cas 2a. Supposons c0  + 2 c1 < 18. : seul le dernier chiffre de N est modifié et remplacé par la somme de ce chiffre et du double du suivant. Moyennant cette convention, le zéro maya pourrait être dit quasi-opérateur.

Cas 2b. supposons c0 + 2 c1 ` [18., 2.13.] ou c0 + 2 c1 ` [19., 2.17.] (les nombres 53 et 57 sont les maxima de c0  + 2 c1). Le produit 1.0. N s’écrit toujours selon la formule (EV), mais le deuxième chiffre est plus grand que 17. S’il est égal à 18. ou à 19., les documents montrent que les Mayas pouvaient le conserver et ne pas le transformer en appliquant la règle 18.0. = 1.0.0. ou 19.0 = 1.1.0. : le zéro maya est encore quasi-opérateur.

Dans les cas qui restent, il faut effectuer des transformations de chiffres, comme nous le faisons dans le calcul en heures minutes et secondes, et plus généralement tous ceux qui n’utilisent pas le système métrique.

Les variantes de ce type sont attestées par le codex de Dresde. Le nombre 390 (6 fois 65) est écrit 19.10. (page 51b) dans la table des multiples de 65, entre les nombres 16.5. (5 fois 65, que l’on trouve page 52b) et 1.4.15. (7 fois 65). 364 est écrit 1.0.4. (page 35) à côté de son double 2.0.8. dans la table des multiples de 91.


Dresde (page  51b)

Comment interpréter la présence de cette irrégularité, du choix de la variante systématique 19.10. plutôt que l’écriture standard 1.1.10. ?

Nous pensons que cela peut s’interpréter en termes de mode de fabrication ou de vérification de la table des multiples de 65. On peut se demander, en effet, comment un scribe obtenait ou vérifiait les chiffres des multiples inscrits dans les colonnes successives de la table. De nombreuses stratégies sont possibles : prendre deux fois 9.15., prendre trois fois 6.10., ajouter 3.5. et 16.5., doubler la somme de 3.5. et 6.10..

Evidemment, nous ne saurons jamais comment le scribe de l’époque classique s’y prenait ; cependant, nous pouvons admettre qu’effectuer la somme 3.5. + 16.5. = 19.10. ou doubler 9.15. ( l2 x 9.15. = 18.30 = 19.10.) sont des techniques à la portée d’un scribe qui disposait d’un algorithme additif ‘à la romaine’ spécialisé au domaine des durées inférieures au tun.

Un scribe peut aussi utiliser les propriétés connues des ‘porteurs de l’année’ et observer que l’on passe de 16.5. 4-Caban à 19.10. 4-Ik comme on passe de 3.5. 4-Caban à 6.10. 4-Ik, c’est-à-dire en ajoutant l’incrément 3.5. et donc faire la somme 16.5. + 3.5. = 19.10..Dans tous les cas évoqués, il n’est fait appel qu’à l’addition et le résultat obtenu n’appelle pas impérativement la transformation de 19-uinal en 1-tun 1-uinal (de 19.10. en 1.1.10.) que le scribe n’a pas besoin d’effectuer.

Supposons maintenant que le scribe ait directement multiplié 3.5. par six en utilisant par exemple une technique répandue de calcul mental : effectuer les produits six fois 3. et six fois 5. avant de les ajouter.

On obtient 18.30. qui, manifestement appelle la transformation 30. = vingt plus dix = 1.10., laquelle conduit au résultat 19.10.. Mais, contrairement aux cas précédents obtenus en logique additive, cette fois il n’est pas naturel de laisser en l’état la valeur 19.10. parce que la règle de transformation qui a été déclenchée impérativement une première fois, au premier ordre, devient prégnante et appelle la transformation au deuxième ordre, celle de 19. en 1.1., et finalement l’écriture 1.1.10. non attestée à cet endroit de la table.

En conséquence, l’écriture la plus fréquente dans les codex, celle qui n’autorise pas les variantes où 18. et 19. sont laissés sans transformation en position de uinal, plaide pour l’existence de techniques de multiplication mentale, celle qui rend prégnante l’habitude de transformer les chiffres se trouvant en deuxième position.

Concluons en disant que les zéros sont une originalité des mathématiques mayas. Si l’on veut bien se rappeler que les scribes cherchaient les invariants des opérateurs de translation, et qu’ils rassemblaient dans des tables celles qui laissent une date invariante (ou celles qui provoquent la même transformation de dates), alors on peut penser qu’ils développèrent une sorte d’arithmétique du groupe des translations opérant sur des ensembles de dates, eux-mêmes définis comme des produits de toutes sortes de cycles.

Dans cette arithmétique, l’application identique, la translation nulle (selon toutes sortes de modulos) est elle aussi un zéro qui, pour les scribes, n’était certainement pas un concept abstrait, mais la marque multiforme d’un opérateur dont ils étaient de grands familiers.



[1] La plus longue expression numérale maya connue (25 chiffres) se trouve sur la stèle 1 de Coba, c’est une durée de plus de 13 x 2024 jours, de l’ordre de 2 x 1032 (200 quintillons).

[2] Et, plus généralement, celui de ses multiples : pictun, calabtun, kinchiltun, alautun, etc.

[3] Par exemple, la stèle 10 de Seibal (Guatemala) fut consacrée une fin de katun, un jour 10.1.0.0.0.

[4] Apparemment, les Mayas n’ont pas  attribué de nom propre à ce cycle particulier (pas non plus de glyphe pour le représenter autrement que sous la forme 13-baktun).

[5] Qui deviendrait ainsi, en position de baktun, un chiffre trop grand d’une unité comme le serait le chiffre 20 en numération vigésimale (on ne pourrait pas écrire 13.0.0.0.1. ou ses successeurs).

[6] Nous connaissons la même hésitation liée à la dualité des points de vue : par exemple lorsque nous hésitons entre la notation « 24 h » et la notation « 0 h ». De même que 24 signe l’existence des jours de 24 heures, mais sans rien dire de la structure du système des unités de mesure de temps, le coefficient 13. ne dit rien de la structure du système des glyphes de période, et signe le fait que la théologie maya croyait que les créations successives durent 13-baktun tout en sachant utiliser des durées bien plus grandes par exemple de 14. ou 19-pictun.

[7] C’est la seule particularité de cette durée : être inhabituellement longue. Les durées à plus de cinq chiffres sont rares. Parmi celles qui  ne se terminent pas par un 13.0.0.0.0. on peut citer les « nombres serpents » du codex de Dresde qui entrent dans des équations du type date d1 + durée T = date.d2 et les séries initiales de la stèle 10 de Tikal et du Monument 3 (Stèle N) de Copán.