Prix Abel pour Yves MEYER 2017
Publié le 24/03/2017

Yves Meyer, lauréat du prix Abel

Récompense internationale pour le chercheur français

 

Yves Meyer  s’est vu attribuer mardi 21 mars le prix Abel de mathématiques (on trouvera une liste de lauréats à la fin de cet article). M. Meyer, 77 ans, est récompensé « pour son rôle majeur dans le développement de la théorie mathématique des ondelettes », a annoncé l’Académie norvégienne des sciences et des lettres.

Yves Meyer est un ancien élève du lycée Carnot de Tunis ; il a obtenu le premier prix au concours général de grec et de mathématiques. Ancien élève de l'École normale supérieure (promotion 1957 Sciences), il a été reçu second au concours de l'agrégation de mathématiques.

Il a enseigné au prytanée national militaire de La Flèche (1960-1963), à l'Université de Strasbourg (1963-1966), à l'Université Paris-Sud (1966-1980), au Centre de mathématiques de l'École polytechnique (1980-1986), au CEREMADE (Université Paris-Dauphine) (1985-1995), à l'École normale supérieure de Cachan (1999-2003). Il a été directeur de recherche au CNRS (1995-1999), et est professeur émérite à l'École normale supérieure de Cachan depuis 2003.

C'est un spécialiste de la théorie des ondelettes, qu'il a développée avec Jean Morlet, Alex Grossmann, Ingrid Daubechies, Stéphane Mallat et Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset notamment. Il a reçu le prix Carl-Friedrich-Gauss au Congrès international des mathématiciens à Hyderabad en 2010.

Quelques points de repères mathématiques dans la carrière d'Yves Meyer :

Il commence par une thèse en analyse harmonique, domaine des mathématiques dont le thème de départ est d'étudier les fonctions à partir de leur décomposition en fréquences ; puis il s'intéressera à l'interface entre l'analyse harmonique et la théorie des nombres. Ce sujet l'amènera à proposer les premiers exemples de quasi-cristaux, avant les travaux qui rendront R.Penrose célèbre. Il s'agit de construire des pavages de l'espace par des objets réguliers, et pour lesquels les pavages périodiques sont interdits. Ainsi, on ne peut paver le plan par des pentagones réguliers, mais c'est possible par un pavage « quasi-périodique » contenant des pentagones et des losanges, et un tel pavage aura des propriétés de symétrie d'ordre 5 remarquables.

Ces travaux d'Yves Meyer ont trouvé des applications inattendues en chimie, et sont liés aux découvertes des quasi-cristaux par le prix Nobel de chimie Dan Shechtman en 2011.

En 1974, Yves Meyer change de direction et s'intéresse au « programme de Calderon », vaste programme scientifique dont le but était l'étude des opérateurs d'intégrale singulière ; ces opérateurs jouent un rôle central dans de nombreux problèmes issus de la physique (électromagnétisme par exemple), dans des situations où la géométrie est peu régulière.

En 1984, Yves Meyer se lance dans une nouvelle aventure, celle des ondelettes.

Cette théorie, basée sur l'intuition du géophysicien Jean Morlet, propose de décomposer tout signal en des composantes élémentaires simples, ayant toutes la même forme. Ce type d'analyse avait pour but l'étude des signaux obtenus en « sismique par réflexion » : une vibration est émise vers l'intérieur de la terre, et est réfléchie par les différentes couches du sous-sol; on cherche à reconstituer la nature du sous-sol à partir de l'étude de signal reçu.

Lorsqu'Yves Meyer entendit parler des travaux que J. Morlet avait effectué sur ce sujet avec le physicien A. Grossman, il perçut le lien avec les théories mathématiques qu'il avait précédemment explorées ; Yves Meyer va être la cheville ouvrière de cette aventure scientifique qui, initiée par une poignée de scientifique, allait révolutionner le traitement du signal, la statistique, et avoir une influence profonde sur l'ensemble de l'analyse mathématique. En effet, si les décompositions multi-échelles était un outil familier aux spécialistes du traitement du signal et de l'image, la formalisation mathématique qu'en donnent les bases d'ondelettes leurs donnent une puissance incomparable.

Les décompositions en ondelettes sont maintenant devenues un outil incontournable dans toutes les opérations liées au traitement du signal de l'image et de la vidéo (codage, transmission, débruitage, reconstruction d'images floues,...) ; si bien que le standard JPEG, utilisé comme norme en compression d'image, est depuis l'an 2000 basé sur les décompositions en ondelettes. Outre ses performances en compression, JPEG 2000 apporte une multitude de nouvelles caractéristiques telles la scalabilité, les régions d’intérêt, la résistance aux erreurs de transmission, le codage sans pertes, la polyvalence de l’organisation des données, ainsi que les diverses extensions visant une application (interactivité, sécurité, sans fil, etc.) qui font l’intérêt de cette norme.

En collaboration avec R. Coifman, il sera aussi l'initiateur des « paquets d'ondelettes » puis des « bases trigonométriques locales ». Ces nouveaux systèmes ne sont plus des bases à proprement parler : on décompose le signal sur un ensemble très redondant, espérant ainsi trouver au sein d'un dictionnaire a priori plus grand que nécessaire une famille composée d'un très petit nombre d'éléments, qui permet de représenter le signal avec une très haute précision. La recherche d'une « meilleure base », issue d'un système redondant, afin de représenter un signal ou une image, est actuellement l'une des voies de recherche les plus actives dans le domaine.

Yves Meyer s'intéressera ensuite aux équations de la mécanique des fluides (équations de Navier-Stokes), dont on soupçonnait que les ondelettes fourniraient un outil d'étude privilégié. Il s'est en fait avéré que les méthodes plus anciennes (mais de même nature), fournies par les décompositions de Littlewood-Paley, étaient les plus adaptées.

Enfin il s'intéresse au « compressed sensing », nouvelle technique de traitement du signal, qui a apporté des résultats spectaculaires en débruitage d'image.

Il est aussi remarquable qu'Yves Meyer a toujours été enseignant, si l'on excepte de très brefs passages au CNRS, et qu'il a toujours fait l'éloge d'une mathématique décloisonnée où l'on circule librement entre les divers champs.


Pour lire d'autres hommages et en savoir un peu plus sur Yves Meyer on peut consulter les articles suivants:

Le mathématicien Yves Meyer reçoit le prix Abel sur CNRS le Journal par Albert Cohen

L'annonce du prix par l'Académie des sciences et lettres de Norvège


Tableau des lauréats du prix Abel :

Année

Photo

Lauréat(s)

Pays

Contributions

2003

Jean-Pierre Serre

« pour avoir joué un rôle clé dans l'élaboration dans leur forme moderne de plusieurs domaines des mathématiques comme la topologie, la géométrie algébrique et la théorie des nombres »

2004

Michael Atiyah

« pour leur découverte et preuve du théorème de l'indice, reliant la topologie, la géométrie et l'analyse, et pour leur rôle remarquable dans la construction de nouvelles passerelles entre les mathématiques et la physique théorique »

Isadore Singer

2005

Peter Lax


« pour ses contributions novatrices à la théorie et aux applications des équations aux dérivées partielles et au calcul de leurs solutions »

2006

Lennart Carleson

« pour ses travaux sur l'analyse harmonique et la théorie des systèmes dynamiques lisses »

2007

Sathamangalam R. Srinivasa Varadhan


« pour ses travaux sur la théorie des grandes déviations »

2008

Jacques Tits


« pour leurs travaux dans la formation de la théorie moderne des groupes »

John Griggs Thompson

2009

Mikhaïl Gromov


« pour ses contributions révolutionnaires à la géométrie »

2010

John Tate

« pour l’étendue et le caractère durable de son influence sur la théorie des nombres »

2011

John Milnor

« pour des découvertes novatrices en topologie, en géométrie et en algèbre »

2012

Endre Szemerédi


« pour ses contributions fondamentales aux mathématiques discrètes et à l'informatique théorique, et en reconnaissance de l'impact profond et pérenne de ses contributions à la théorie additive des nombres et à la théorie ergodique »

2013

Pierre Deligne

« pour ses contributions fondamentales à la géométrie algébrique et leur impact sur la théorie des nombres, la théorie des représentations et les domaines apparentés »

2014

Iakov Sinaï


« pour ses contributions fondamentales aux systèmes dynamiques, à la théorie ergodique et à la physique mathématique »

2015

John Forbes Nash

« pour des contributions fondamentales et absolument remarquables à la théorie des équations aux dérivées partielles non linéaires et ses applications à l'analyse géométrique »

Louis Nirenberg


2016

Andrew Wiles

« pour sa démonstration stupéfiante du dernier théorème de Fermat en utilisant la conjecture de modularité pour les courbes elliptiques semi-stables, ouvrant une ère nouvelle en théorie des nombres »

2017

Yves Meyer

« pour ses contributions déterminantes à la théorie des ondelettes »

 


 

Le texte présenté ici s'inspire en partie d'une biographie de Stéphane Jaffard que l'on peut lire sur Image des Mathématiques à l'occasion du Prix Gauss obtenu par Yves Meyer en 2010.

 

 
 
 
 
 
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