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Christine Proust, rédactrice
Cette fiche accompagne le dossier sur les numérations anciennes.
Elle a été réalisée à partir de deux articles d'André Cauty et Jean-Michel Hoppan: Les Écritures mayas du Nombre et Et un, et deux zéros mayas (dans Mathématiques exotiques, Pour la Science, avril 2005).
Elle a été relue, corrigée, complétée et largement améliorée par André Cauty et Jean-Michel Hoppan, que CultureMath remercie vivement. L'iconographie a aimablement été fournie et commentée par André Cauty.
Les erreurs et imprécisions éventuelles sont de la seule responsabilité de la rédactrice.
(version provisoire - dernières modifications: 08/06/2007)
Figure 1: la presqu’île du Yucatan et le pays maya
Les Mayas ont occupé la presqu’île du Yucatan (est du Mexique, Guatemala et Belize) depuis l’antiquité, peut-être depuis le début du deuxième millénaire avant notre ère. La période dite «classique» de la civilisation maya s’étend de 250 à 900 de notre ère. De grandes cités furent bâties pendant cette période, et nous ont laissé d'impressionnants vestiges; parmi les sites les plus connus aujourd'hui, on peut citer Tikal, au Guatemala, Chichén Itzá et Palenque, au Mexique. Une tradition savante s’est développée dans ces cités, comme en témoignent de nombreux textes écrits sur divers supports: pierre (monuments, linteaux, escaliers...), céramique ou manuscrits appelés codex. Les codex mayas étaient fabriqués à partir d'écorce d'arbre, et parfois enveloppés dans une peau de jaguar ou placés entre des planchettes. Les rares exemplaires parvenus jusqu’à nous datent de la période post-classique (entre la période classique et la colonisation espagnole), mais sont très probablement des copies de copies de textes plus anciens; ils témoignent d'une tradition remontant aux débuts de l'époque classique. Les codex traitent principalement de sciences astrales: astronomie, calendriers, divination. Les savants mayas étaient fascinés par le temps long; l'expression des très longues durées, de l'ordre du million de jours, et la détermination des dates d'événements très lointains, passés ou futurs, semblent avoir été à l'origine de l'élaboration de méthodes arithmétiques sophistiquées.
Les conquérants espagnols ont débarqué sur la presqu’île du Yucatan en 1519 sous le commandement d’Hernan Cortes. Ils ont été accueillis plutôt amicalement par la population. Cependant, dans leur entreprise d’évangélisation, les missionnaires ont combattu toutes les manifestations de la culture maya, et ils ont détruit la majeure partie des manuscrits témoignant des savoirs anciens. Les savoirs arithmétiques locaux, notamment les numérations parlées vigésimales et les deux styles de numérations écrites (voir ci-dessous) ont été éradiqués et remplacés par la numération décimale parlée et écrite espagnole. L'écriture glyphique et la rédaction d'ouvrages traitant de tradition religieuse furent interdites. Très peu de Codex ont échappé aux autodafés. Parmi eux :
- le codex de Dresde, de datation incertaine (entre 1240 et 1500), est une copie d’un traité d’astronomie plus ancien;
- le codex de Paris, conservé à la Bnf, est également de datation incertaine (entre 1240 et 1500, comme celui de Dresde);
- le codex de Madrid, a été fabriqué dans le Yucatan après l'arrivée des espagnols (son papier contient des bribes de papier espagnol recyclé par les Mayas lors de la fabrication de leur papier d'écorce).
Le déchiffrement des codex mayas a exigé les efforts de plusieurs générations de spécialistes (notamment le russe Knorozov vers le milieu du 20e siècle). Ceux-ci se sont appuyés sur les écrits de certains missionnaires (par exemple la Relación de las cosas de Yucatán, écrit par Diego de Landa en 1566) et aussi sur des auteurs mayas de l'époque coloniale qui écrivirent en langue maya transcrite phonétiquement grâce à l'alphabet latin.
Expression des durées
L'expression des durées, on l'a vu, occupe une place très importante dans les codex d'astronomie mayas. Elle est basée sur un système d'unités de temps (1 jour, 20 jours, 1 an, 20 ans, 400 ans, etc.) de structure presque vigésimale: sauf dans un cas, chaque unité de temps est égale à vingt fois la précédente.
Compte des années
Pour les longues durées, l’unité de base est le tun (360 jours), c’est-à-dire une année administrative; cette année administrative est artificielle car elle diffère de l’année solaire naturelle de 365 jours environ.
tun
− 20→
katun
− 20→
baktun
− 20→
pictun
− 20→
etc
1 an
(360 jours)
20 ans
400 ans
8000 ans
Compte des jours
Pour le compte des jours, le système introduit un facteur 18 qui perturbe la structure vigésimale. Ce facteur 18 vient du fait que l’année compte 360 jours :
kin
− 20→
uinal
− 18→
tun
1 jour
20 jours
360 jours
Système complet (jours et années)
Le système complet de la mesure des durées est obtenu en réunissant les deux tableaux ci-dessus.
kin
− 20→
uinal
− 18→
tun
− 20→
katun
− 20→
baktun
− 20→
pictun
− 20→
etc
1 jour
20 jours
360 jours
7200 jours
144 000 jours
2 880 000 jours
Sur les stèles et les monuments, le nom des unités de temps (tun, katun, etc.) est représenté par des "glyphes de période".
Figure 2: les glyphes de période
Sur les stèles, les durées s'expriment généralement par une suite de glyphes de période (kin, uinal, etc.) précédés d'un chiffre.
Exemple (Stèle 18 d'Uxactun) :
8-baktun 16-katun 0-tun 0-uinal 0-kin
= 8×400 + 16×20 + 0 tuns = 3 520 tuns (ans)
= 8×144 000 + 16×7200 + 0 = 1 267 200 kins (jours)
On le voit, ici les glyphes de période sont écrits même lorsque leur présence est inutile: l’écriture maya fait usage du chiffre zéro. Le plus ancien zéro attesté apparaît en 357 de notre ère sur des stèles d'Uaxactun (Guatemala), d'où provient l'exemple précédent.
Les nombres
Les numérations parlées ne sont pas identiques dans les différentes langues mayas, mais toutes sont vigésimales, donc bâties à partir de la suite des chiffres de 1 à 19.
Les numérations écrites utilisent deux styles de représentation des chiffres: les glyphes numériques et les signes "points/barres". Les premiers se trouvent principalement sur les stèles et les monuments, mais aussi parfois dans les codex. Les seconds sont attestés dans toute la Mésoamérique, depuis des périodes très anciennes (dès 400 avant notre ère); ils sont dominants dans les codex.
Deux sortes d'usage des nombres sont attestés. Le premier est de nature plus arithmétique; il concerne les chiffres qui servent à écrire des entiers dans l'écriture des durées sur les monuments. Le second, de nature plus métrologique, associe les nombres aux glyphes représentant les unités de temps décrites ci-dessus (tun 'année', katun '20 ans', baktun '400ans', etc. et les sous-unités kin 'jour' et uinal 'mois' ).
Les glyphes numériques
Les glyphes numériques sont des formes céphalomorphes, dont les composants graphiques reproduisent parfois certains éléments linguistiques. Ces chiffres sont complétés par deux sortes de zéros (voir Et un, et deux zéros mayas, Cauty & Hoppan).
Figure 3: les glyphes numériques
[Et un, et deux zéros mayas, Cauty & Hoppan]
Les chiffres "points/barres"
Le système d'écriture des chiffres dit "points/barres" n'utilise que trois signes, le 1 (un point), le 5 (une barre), et, à partir de l'époque classique, le zéro. Dans l'écriture glyphique, le zéro est représenté par une sorte de petite fleur (voir figure 3 ci-dessus); dans les codex parvenus jusqu'à nous, plus tardifs, le zéro est représenté par un signe qui représente un couteau d'obsidienne d'usage rituel.
Figure 4: les chiffres "points/barres"
[Et un, et deux zéros mayas, Cauty & Hoppan]
Dans la période classique, ces chiffres étaient parfois associés à des glyphes numériques ou de période.
Figure 5: chiffre point-barre (9) associé à un glyphe numérique (20)
Figure 6: chiffre point-barre (13) associé à un glyphe de période
La numération positionnelle, vigésimale ou presque vigésimale
Dans les codex astronomiques, on trouve des dates et des durées exprimées au moyen des chiffres "points/barres" sans glyphe de période. La position des chiffres dans le nombre (écrit verticalement) suffit à indiquer leur valeur. La notation est donc positionnelle. Cette notation positionnelle apparaît dans les contextes où les nombres ont utilisés de façon abstraite, sans indication d'unités de mesure ou de la nature des référents.
La numération positionnelle était probablement utilisée pour les calculs. On la rencontre par exemple dans les tables de multiples pour le calcul des cycles astronomiques, qui devait donner lieu à des procédés arithmétiques élaborés. L'exemple ci-dessous est une table provenant du codex de Dresde, donnant une suite de multiples de 2.2.0 (2920). L'écriture est positionnelle presque vigésimale (le facteur multiplicatif d'une position à la suivante est vingt, sauf pour le passage de la deuxième à la troisième, où elle est dix-huit - voir ci-dessus le "compte des années").
Codex de Dresde p. 24
1.1.1.14.0.
37960 x 4
15.16.6.0.
37960 x 3
10.10.16.0.
37960 x 2
5.5.8.0.
37960 (=2920 x 13)
1 Ahau
1 Ahau
1 Ahau
1 Ahau
1.5.14.4.0.
185120
9.11.7.0.
68900
4.12.8.0.
33280
1.5.5.0.
9100
1 Ahau
1 Ahau
1 Ahau
1 Ahau
4.17.6.0.
2920 x 12
4.9.4.0.
2920 x 11
3.1.2.0.
2920 x 10
3.13.0.0.
2920 x 9
6 Ahau
11 Ahau
3 Ahau
8 Ahau
3.4.16.0.
2920 x 8
2.16.14.0.
2920 x 7
2.8.12.0.
2920 x 6
2.0.10.0.
2920 x 5
13 Ahau
5 Ahau
10 Ahau
2 Ahau
1.12.5.0.
2920 x 4
1.4.6.0.
2920 x 3
16.4.0.
2920 x 2
8.2.0.
2920
7 Ahau
12 Ahau
4 Ahau
9 Ahau
Figure 7: table de multiples de 2.2.0 (2920)
[aimablement fournie par A. Cauty]
Lorsque les durées sont des "comptes longs", exprimées en années, la numération est purement vigésimale (voir ci-dessus, le "compte des années").
204
203
202
20
unités
9
9
9
16
0
0 + 16x20 + 9x20² + 9x203 + 9x204
Figure 8: numération vigésimale positionnelle
Exemples de nombres vigésimaux positionnels
Figure 9: codex de Dresde, p. 62
204
203
20²
20
unités
8
16
15
16
1
1 + 16x20 + 15x20² + 16x203 + 8x204
204
203
20²
20
unités
8
16
14
15
4
4 + 15x20 + 14x20² + 16x203 + 8x204
Figure 10: des nombres du codex de Dresde, p. 62
Documentation sur la civilisation Maya
- Les Cités perdues des Mayas, film de Jean-Claude Lubtchansky produit par Arte et diffusé par le CNDP. Voir aussi la fiche pédagogique du CNDP qui accompagne la présentation du film.
- Les Mayas, les "Grecs" de l'Amérique?, article en ligne de Carmen Bernand
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