La loi des grands nombres, le théorème de De Moivre-Laplace
Publié le 25/11/2005
Résumé

Le couple fréquence-probabilité, ainsi que la théorie instituant ce rapport qu'on peut appeler schématiquement "loi des grands nombres", est un leitmotiv de la période classique de l'histoire du calcul des probabilités. Il est au coeur du développement de la théorie et des préoccupations des probabilistes, comme de ses utilisateurs. Les programmes des lycées imposent de prendre une approche fréquentiste pour définir une probabilité. Cela pose le problème du statut de ces énoncés que l'on rassemble sous le nom de "loi des grands nombres". Peu de propositions mathématiques portent ce titre de "loi". Est-ce un théorème, comme il est utilisé habituellement pour le théorème de De Moivre-Laplace ? Est-ce un énoncé extra-mathématique, admis comme prémisse à toute théorie scientifique ?

D'une certaine manière, pour pouvoir faire des probabilités (et en particulier les appliquer), tout se passe comme si on devait admettre que la nature suit (au moins localement) des lois, qui permettent l'élaboration d'une théorie, à l'intérieur de laquelle on démontre ensuite cette loi. Le rapprochement avec la situation du physicien, pour embarrassante qu'elle soit pour certains mathématiciens, est flagrante.

Il nous semble, d'un point de vue historique et aussi d'un point de vue pédagogique, qu'il est un peu vain de s'en tenir aux différentes définitions du concept de probabilité, en recherchant la meilleure. En revanche l'étude historique de sa mise en oeuvre et de ses problématiques nous paraît riche d'enseignements. En ce qui concerne la "loi des grands nombres", depuis son énoncé initial par Jacques Bernoulli jusqu'à la résolution du problème limite classique par Kolmogorov, le travail des probabilistes consiste à chercher à comprendre l'énoncé, à le préciser, à en évaluer la portée, à tenter de simplifier la démonstration. Du point de vue de l'histoire interne des mathématiques, il y a là, pendant deux siècles, un travail sur le texte lui-même qui est tout à fait fascinant. On verra dans la suite que ces questions ne se posaient que si l'on voulait appliquer les probabilités à d'autres domaines que les jeux de hasard. On verra aussi qu'elles recoupaient initialement des préoccupations métaphysiques - si la nature suit la loi des grands nombres, c'est qu'il y a quelqu'un qui a fabriqué le dé, d'où l'existence de Dieu - qu'on se garde bien d'aborder maintenant dans nos classes.

L'histoire de la loi des grands nombres est jalonnée par quelques grands textes sans oublier que l'histoire ne s'arrête pas là. Les trois premiers pas sont marqués par Jacques Bernoulli et l'Ars Conjectandi (1713), Abraham De Moivre et la Doctrine of Chances (1756), Pierre-Simon de Laplace et la Théorie Analytique des Probabilités (1812). Nous avons choisi de centrer le travail de l'atelier sur le texte, moins connu, de De Moivre et sa reprise par Laplace. On trouvera en annexe des extraits des ouvrages de De Moivre et Laplace.


Denis Lanier (Lycée Malherbe de Caen) et Didier Trotoux (IUT de Caen), IREM de Basse-Normandie


Précédente édition: 1996, dans "Contribution à une approche historique de l'enseignement des mathématiques", Actes de la 6° université d'été interdisciplinaire sur l'histoire des mathématiques, Presses Universitaires de Franche-Comté, collection "Les publications de l'IREM de Besançon", p. 259-294.

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