Eléments
biographiques
Quelques mathématiciens
Par Anne-Marie
Décaillot
Walter von Dyck
(1856-1934) né et mort à Munich. Il a
contribué au
développement de la théorie des groupes, de la
topologie et de la
théorie du potentiel.
Adolf Hurwitz
(1859-1919) est l’un des mathématiciens allemands
les
plus importants du XIXe - début du XXe
siècle. Il enseigne presque
toute sa vie à l’Ecole polytechnique de
Zurich. Elève de Felix Klein,
ami de David Hilbert, il a fait avancer la
géométrie
algébrique et les surfaces de Riemann, mais aussi la
théorie des nombres.
Félix Klein (1849-1925)
mathématicien allemand, enseigne dans diverses
universités, en
particulier à partir de 1886 à
Göttingen, qui devient sous son
impulsion un centre mondial de
recherche mathématique. Sur le plan
scientifique, Klein développe
une réflexion sur les
géométries non
euclidiennes. Sa vision synthétique de la
géométrie, connue sous le nom
de Programme d'Erlangen (1872), influence
profondément l'évolution
des mathématiques. Il est rédacteur,
à partir de 1876, de la
revue Mathematische Annalen qui accueille plusieurs
mémoires de
Georg Cantor. Klein est un fervent partisan du
développement de
relations internationales en mathématiques ; il
participe au Congrès
de Chicago en 1893 et est l'un des principaux acteurs du
premier Congrès international de
mathématiciens de Zurich en 1897.
Leopold Kronecker
(1823-1891) mathématicien allemand. Elève
d'Ernst Kummer, son travail
en théorie algébrique des nombres
est important. Membre de l'Académie
des sciences de Berlin, il enseigne à
l'Université de cette ville à
partir de 1863, mais n'y occupe une chaire qu'à
partir de 1883. Ses
positions extrêmes le placent parfois à
contre-courant des
mathématiciens de son
temps. Il défend ainsi une vision
"constructiviste" des mathématiques,
selon laquelle une notion
mathématique n'a de sens que si l'on peut en donner
une construction en
un nombre fini d'étapes. Pour Kronecker, les
nombres irrationnels ou
transcendants n'existent pas. Ces conceptions
l'opposent à Cantor,
Dedekind et même à Weierstrass.
Emile Lemoine
(1840-1912)
scientifique français admis en 1860
à l'Ecole
Polytechnique. Après une courte période
militaire,
il devient ingénieur
responsable du gaz à Paris. Son
activité mathématique fait avancer
l’étude de la géométrie du
triangle
par la recherche de points
singuliers comme le "point de Lemoine" (point de concours des
symétriques des médianes par rapport aux
bissectrices). Il classe
également les
figures géométriques
grâce à la «
géométrographie »,
c’est-à-dire par le nombre minimal
d’opérations géométriques
permettant
leur construction. Son investissement dans la vie associative
de
son temps est important. A ce titre il correspond avec Georg
Cantor
et soutient le projet de congrès international de
mathématiciens de
ce dernier (congrès de Zurich de 1897).
Gösta Mittag-Leffler (1846-1927)
mathématicien
suédois. Il suit les cours de Charles Hermite
à
Paris, puis, sur les conseils de Hermite, ceux de Weierstrass
à Berlin. Ses travaux portent sur
l'analyse complexe et la
théorie des fonctions. Professeur à
l'Université d'Helsinki, puis de Stockholm, il fonde
en 1882
la revue Acta Mathematica dont le rôle international
s'affirme très vite. Il y publie en particulier les
travaux
de Henri Poincaré, ceux de Georg Cantor en
traduction française, et ceux de Sophia
Kovalevskaya.
Fait unique à cette époque, il assure
à
Sophia Kovalevskaya une chaire
à l'Université de
Stockholm.
Quelques
personnalités
Par Anne-Marie
Décaillot
L’abbé Elie
Blanc (1846 - 1926) fait partie des
correspondants de Cantor. Il
participe à Lyon à la création de la
« Faculté libre », après le
vote
de la loi sur la liberté de l’enseignement
supérieur (12 juillet 1875),
et il assure les cours de philosophie de cette faculté.
L’abbé
Alfred Loisy (1857-1940),
enseignant à la Faculté catholique de Paris qui
proclame la nécessité
d’une exégèse scientifique des
Écritures, notamment de la Bible, à la
lumière des découvertes scientifiques comme la
théorie de l’évolution
(Lamarck et Darwin). Ces tentatives « modernistes »
au sein de l’Eglise
catholique sont condamnées par le pape (1893) ; Loisy doit
quitter sa
chaire à l’Institut catholique et est finalement
excommunié. Il finit
sa carrière au Collège de France.
Descendant
d'une longue lignée de musiciens ...
Par
Hélène Roussel
Joseph Böhm (1795-1876),
grand-oncle maternel de Cantor et fils d'un premier violon au
Théâtre de Pest et élève de
Pierre Rode, le fondateur de l'École française de
violon, ce célèbre violoniste autrichien
d'origine hongroise appartint de 1821 à 1868 à
l'orchestre de la cour impériale. Soliste et chambriste
très recherché, il se vit notamment confier par
Beethoven en 1825 la création de son Quatuor à
cordes n° 12 en mi bémol majeur, et créa
également des quatuors à cordes de Schubert ainsi
que son Trio n°2 en mi bémol majeur. Il effectua des
tournées de concerts en Italie, en Allemagne et en France.
Au Conservatoire de Vienne institué en 1817, il dirigea la
classe de violon dès son ouverture en 1819 et
jusqu'à 1848, fondant ainsi le renom international de
l'École viennoise de violon. Ses
élèves portèrent ensuite dans toute
l'Europe, comme virtuoses ou comme pédagogues musicaux, le
rayonnement de cette école, et notamment Joseph Joachim,
Heinrich Wilhelm Ernst, Georg Hellmesberger père, Ede
Reményi, Jakob Grün, Sigismund Bachrich, Miska
Hauser, Edmund Singer, Eduard Rappoldi et Ludwig Strauss.
Franz et Marie Böhm,
les grands-parents maternels de Cantor, étaient des
violonistes virtuoses, et Franz joua comme premier violon à
l'Opéra impérial de Saint-Petersbourg. Son fils
Louis enseigna le violon au Conservatoire (cf. infra), où
enseigna aussi Leopold Auer, autre grand violoniste d'origine
hongroise, qui fit prendre son essor à la
célèbre École russe de violon.
Adolescent, Cantor
songea d'abord à continuer la tradition familiale en tant
que violoniste, mais se heurtant au veto paternel, il se tourna vers
les mathématiques. Sa femme Vally Guttmann (1849-1923)
acquit une formation musicale (chant et piano) au Conservatoire de
Berlin. Mère de 6 enfants, elle n'exerça qu'en "amateur",
se produisant parfois dans des manifestations publiques. Quant à
sa fille aînée Else (1875-1954), elle devint cantatrice et enseignante de musique.
...
Cantor et la musique, dans ses lettres
Traduction et notes
d'Anne-Marie Décaillot
Lettre
de Cantor à Emile Lemoine du 17 mars 1896
"Au fond
j’ai une nature
d’artiste très légère et je
regrette
toujours que mon père ne m’ait pas
laissé devenir
violoniste, ce qui m’aurait,
en tout cas, comblé de joie. C’est que
j’appartiens,
du côté de ma mère, à une
famille de
violonistes virtuoses. Mon grand-père
et ma grand-mère Franz et Marie Böhm
(née Morawek),
de l’école du Français Rode [1], ont
à
Saint-Pétersbourg, dans les années 20 et 30
de ce siècle, charmé les cercles musicaux de
cette ville
en tant que violonistes virtuoses impériaux ; et mon
grand-oncle
Joseph Böhm [2], lui
aussi élève de Rode, dirigea le Conservatoire de
Vienne
et est le fondateur d’une célèbre
école de
violonistes, dont sont sortis, entre autres, Joachim,
Ernst, Singer, Hellmesberger (père), L. Strauss et
Rappoldi.[3] "
[1] Pierre Rode
(1774-1830) est
l’un des plus brillants représentants de
l’école française de violon
à la fin du
XVIIIe siècle. Professeur au
Conservatoire de Paris en 1795, il effectue de nombreuses
tournées en Europe. Au début du XIXe
siècle, il se
rend à Saint-Pétersbourg en compagnie
du compositeur François Adrien Boieldieu, maître
de
chapelle à la cour impériale, et devient violon
solo du
tsar Alexandre
1er.
[2] Les violonistes
virtuoses
Joseph Böhm (1795-1876) et Georg Hellmesberger (1800-1873)
sont
professeurs au Conservatoire de Vienne.
Ils comptent parmi leurs élèves le talentueux
violoniste
et compositeur austro-hongrois Joseph Joachim (1831-1907), ainsi que
le violoniste
morave
Heinrich Wilhelm Ernst (1814-1865), le hongrois Edmund Singer
(1831-1912), le viennois Eduard Rappoldi (1831-1903) et Ludwig Strauss (1835-1899)
né à Pressburg (Bratislava).
[3] Ce passage peut
être
rapproché d’une lettre à Alexandre
Vassilief du 4
juillet 1894, où Cantor précise que son
grand-père
Franz Böhm a été
Konzertmeister à l’opéra de
Saint-Pétersbourg, tandis que son oncle Louis Böhm
est
encore professeur de violon au Conservatoire de cette
ville. Dans une lettre à Felix Klein, du 31
décembre
1899, Cantor précise que la famille Böhm est
d’origine hongroise, et que
lui-même a pratiqué le violon dès
l’âge de six ans.
Épilogue : Cantor saisi
par la musique
Par Hélène Roussel
Un opéra
intitulé "Cantor - die Vermessung des Unendlichen" (Cantor -
l'arpentage de l'infini), composé en 2004 sur commande de la
ville de Halle, y fut créé le 10 novembre 2006, pour le
1200e anniversaire de la fondation de cette ville où Cantor
enseigna les mathématiques pendant 40 ans. L'auteur de cet
opéra en un acte, le compositeur autrichien Ingomar
Grünauer, en définit ainsi le propos :
"Mon opéra centré sur le mathématicien Georg
Cantor est la tragédie d'un artiste. Ce qui m'a
intéressé, ce n'est pas tant la représentation de
règles mathématiques que le conflit existentiel
vécu par ce franc-tireur des mathématiques qui, jetant
par dessus bord deux mille ans d'un savoir réputé
"certain", se heurte avec ses thèses sur l'infini,
révolutionnaires mais indémontrables à son
époque, à la résistance acharnée de ses
collègues. Mais j'ai surtout été fasciné
par l'extrême tension qui a marqué la vie de Cantor,
oscillant entre une euphorie qui culmine dans ses intuitions
visionnaires de la liberté de la pensée, et les moments
où il tombe dans la plus profonde dépression."