La réponse du jeudi (57) : circuit aérien

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Question du jeudi #57 : Un avion survole un circuit parfaitement circulaire, en s'assurant de terminer sa trajectoire exactement là où il l'avait commencée. Autrement dit, sa trajectoire décrit une courbe fermée dans l'espace qui se projette sur un cercle au sol.

Montrer qu'il existe deux points opposés de sa trajectoire (c'est-à-dire deux points à la verticale de points diamétralement opposés du circuit) qui sont à la même altitude.


On va modéliser le problème en considérant la fonction $h$ qui associe à une position au sol la hauteur de l'avion quand celui-ci la survole. Il s'agit a priori d'une fonction $C \to \mathbb{R}$, où $C$ est le circuit survolé par l'avion.

Soit $x_0$ le point de $C$ à la verticale duquel l'avion part. Pour plus de commodité, nous allons repérer les points de $C$ par leur distance à $x_0$, mesurée le long du cercle (dans le sens de parcours de l'avion). Autrement dit, si $L$ est la longueur de $C$, les points de $C$ sont exactement les $x_\ell$, pour $0 \leq \ell \leq  L$, et $x_L = x_0$.

 L'intérêt de ce paramétrage de $C$ est qu'il permet de parler commodément des points opposés de $C$ : ce sont simplement les couples $(x_\ell, x_{\ell + L/2})$, pour $\ell\in [0,L/2]$.

On définit alors la fonction
\[ h : [0,L] \to \mathbb{R}\]
qui associe à tout $\ell$ la hauteur à laquelle l'avion passe au-dessus de $x_\ell$. Elle vérifie $h(L) = h(0)$ et il est naturel de la supposer continue (car $\ell \mapsto x_\ell$ l'est et qu'il est physiquement raisonnable d'imaginer que la trajectoire d'un avion est continue). Après notre travail de paramétrage, la question devient simplement de montrer qu'il existe $\ell \in[0,L/2]$ tel que $h(\ell + L/2) = h(\ell)$. Énonçons cela comme un résultat mathématique.

Théorème (Borsuk-Ulam en dimension $1$, première version). Soit $h : [0,L] \to \mathbb{R}$ une fonction continue telle que $h(L) = h(0)$. Alors il existe $\ell \in [0,L/2]$ tel que
\[ h(\ell) = h(\ell + L/2).\]

Preuve. On définit une fonction auxiliaire $g : [0,L/2] \to \mathbb{R}$ par la formule $g(\ell) = h(\ell) - h(\ell + L/2)$. Il s'agit manifestement d'une fonction continue, et nous souhaitons simplement montrer qu'elle s'annule.

Pour cela, remarquons que
\[\begin{align*}
g(L/2) &= h(L/2) - h(L)\\
&= h(L/2)-h(0) & \text{(par hypothèse sur $h$)}\\
&= - \left(h(0) - h(L/2)\right)\\
&= - g(0).
\end{align*}\]

En particulier, $g$ prend des valeurs de signes opposés aux bornes de son intervalle de définition. D'après le théorème des valeurs intermédiaires, cela entraîne qu'il existe $\ell \in [0,L/2]$ tel que $g(\ell) = 0$, ce qui conclut la preuve.

Remarquons que l'on peut également énoncer notre résultat dans une formulation plus proche de celle de la question initiale. On se restreint simplement au cercle unité $S^1$ pour que les points diamétralement opposés soient les couples $(x,-x)$.

Théorème (Borsuk-Ulam en dimension 1, deuxième version). Soit $h : S^1 \to \mathbb{R}$ une fonction continue définie sur le cercle unité $S^1$. Alors il existe un point $x$ tel que $h(x) = h(-x)$.

Comme on vient de le dire, ce théorème est en fait une conséquence simple du théorème des valeurs intermédiaires. Il est un cas particulier d'un théorème de topologie plus difficile, le théorème de Borsuk-Ulam.

Théorème (Borsuk-Ulam). Soit $h : S^n \to \mathbb{R}^n$ une fonction continue définie sur la sphère unité $S^n$ de $\mathbb{R}^{n+1}$. Alors il existe un point $x \in S^n$ tel que $h(x) = h(-x)$.

La tradition veut que l'on illustre ce théorème en énonçant la conséquence du cas $n=2$ selon laquelle il existe à tout moment deux points diamétralement opposés de la Terre en lesquels la température et la pression coïncident.

Le théorème de Borsuk-Ulam est une conséquence de techniques classiques (mais avancées) de topologie algébrique. Il a par ailleurs de nombreux liens surprenants avec la combinatoire, détaillés dans l'ouvrage Using the Borsuk-Ulam Theorem de Jiří Matoušek.