Interview de VĂ©ronique Slovacek-Chauveau

Véronique Slovacek-Chauveau est professeure de mathématiques au lycée Camille Sée à Paris (15°). Elle est également présidente de l'association femmes et mathématiques, fondée en 1987 pour inciter les filles à faire des études scientifiques et en particulier en mathématiques, et c'est pour nous parler de cette association que noue l'interviewons aujourd'hui.

Les femmes et les sciences: quelques références

sur CultureMATH

CultureMath : Comment êtes vous entrée à femmes et mathématiques ? 
V. Slovacek-Chauveau : Quand je suis arrivée à Camille Sée, en 1995, c'était l'année de la réforme en Terminale S. Dans la classe de TS Spécialité Math, il n'y avait que deux filles, exactement comme 25 ans auparavant dans la classe de Terminale C où j'étais élève !

Cela m'a frappée, et je me suis demandée si c'était une spécificité de cette classe, ou dans ce lycée... Après une petite enquête, il s'est avéré que la
mixité n'avait pas automatiquement engendrée l'égalité, et j'ai alors décidé de m'engager dans femmes et mathématiques.

Coïncidence amusante : Camille Sée s'est beaucoup battu pour l'enseignement secondaire pour les jeunes filles comme député de la III° République, en 1880 (non par féminisme avant l'heure, mais afin de les éloigner de l'Eglise !).

CultureMath : Depuis quand femmes et mathématiquess existe-t-elle ? 
V. Slovacek-Chauveau : Depuis 1987. En fait, sa création est consécutive à la mixité
dans les ENS (1981 et 1986). Marie-Françoise Roy, Catherine Goldstein, Huguette Delavault, entre autres, s'inquiétaient de l'effet pervers de ces
fusions sur le recrutement des filles. Cela dit, ces fusions ont été un déclencheur, la réflexion était antérieure à ces événements.

Une enquête en 1985 sur la place des maths dans la société avait été faite, pour savoir comment comment les jeunes, et les filles en particulier, appréhendaient les maths. Par ailleurs, ces Mathématiciennes ne s'intéressaient pas uniquement à leur "tour d'ivoire" mais avaient des préoccupations générales sur les droits des femmes !

NDLR : pour plus d'informations, vous pouvez consuter l'historique de l'association et une petite plaquette la décrivant.

CultureMath : Quelles étaient leurs objectifs ? 
V. Slovacek-Chauveau : Il y avait (il y a toujours, d'ailleurs !) 4 objectifs :

  1. inciter les filles à faire des études de maths et scientifiques en général
  2. encourager les jeunes mathématiciennes, celles qui sont déjà en place
  3. être un lieu de rencontre entre mathématiciennes
  4. travailler avec des associations ayant des buts analogues

L'une des premières réalisations a d'ailleurs été la création d'un forum des jeunes mathématiciennes, sorte de mini-colloque avec que des femmes qui parlent, essentiellement des jeunes, encadrées par quelques mathématiciennes confirmées. Il n'y a pas d'enjeu de carrière direct dans ce cadre, contrairement à ce qui peut arriver dans les colloques et séminaires usuels, le but est simplement de permettre au jeunes de se rencontrer, de s'entraîne et de bénéficier de conseils.

CultureMath : Quelles sont les associations avec lesquelles vous collaborez ? 
V. Slovacek-Chauveau : Femmes et SciencesFemmes et ingénieurs sont les associations avec lesquelles nous travaillons le plus en France. Exemple : depuis deux ans on est très sollicités par les établissements secondaires pour faire des interventions "clés en mains" pour vanter les mérites des métiers scientifiques en direction des filles et des garçons. Dans ce cas, les trois associations se préviennent mutuellement.

CultureMath : Comment se fait-il que l'on fasse appel à vous pour ce type d'actions qui n'est pas spécifiquement lié aux problématiques soulevées par votre association ? 
V. Slovacek-Chauveau : Les gens ne savent pas à qui s'adresser pour avoir des interventions de scientifiques, et s'adressent plutôt à nous pour deux raisons. D'une part, la problématique des filles dans les sciences est dans l'air du temps et notre action est donc plus visible que celle d'associations purement académique, et d'autre part on est justement en association avec des métiers divers, pas uniquement des chercheurs, et cette diversité est plus adaptée aux interventions dans les classes.

Notre dynamisme fait de nous des porte-voix plus connus du public que d'autres, au-delà même des problèmes de parité ! (Rire)

NDLR : à ce moment, le téléphone portable de Madame Slovacek-Chauveau a sonné: c'était un lycée qui la sollicitait pour ce type d'intervention !

CultureMath : Comment a évolué, quantitativement, la proportion entre jeunes hommes et jeunes femmes dans les études scientifiques ? 
V. Slovacek-Chauveau : Je n'ai plus tous les chiffres en tête, mais je peux vous donner des exemples et des références pour compléter. (voir plus haut pour des références complètes.)

Il y a 46% de filles en terminale S, ce qui est presque équilibré (et pour la première fois en 2003, le taux des filles parmi tous les bacheliers S-SVT a atteint 50,05%). Après le bac les choix divergent, les choix d'orientation sont très sexués.

Un exemple d'évolution: beaucoup de filles vont en Médecine. Alors que c'était un milieu très masculin (bizutage, blagues...), il y a désormais 65% de filles parmi les étudiants en Première Année. 65% de filles, alorsque c'était un milieu très masculin (cf. blagues, bizutage).

A l'inverse, en IUT d'Informatique il y a 20 ans il y avait 60% de filles, et ce taux a chuté actuellement au dessous des 20% ! Entre temps, l'informatique est devenue un secteur de pointe, de compétition, et de pouvoir. Et Les filles s'autocensurent, comme souvent.

En classe prépa scientifique, il y a 29% de filles, mais ils serait intéressant de savoir quelle proportion de ces filles prépare le concouurs de l'ENS rue d'Ulm. A l'Ecole Polytechnique, il y avait environs 10% de filles il y a 15 ans, et ce chiffre a augmenté jusqu'à 15 % mais ce pourcentage stagne.

CultureMath : Qu’est-ce qui explique, selon vous, que les filles soient si peu représentées à l’ENS et plus globalement dans les filières scientifiques ? 
V. Slovacek-Chauveau : Les jeunes filles réussissent moins bien que leurs homologues masculins les concours d’entrée dans les grandes écoles, mais les raisons qui n’ont pas encore été clairement définies.

Il y aurait à ce sujet un travail intéressant mais difficile à mener ; il faudrait obtenir des autorisations pour avoir accès aux copies, qui sont anonymes. Il serait aussi intéressant de savoir si, sur l'ensemble des Spé MP*, le pourcentage de filles qui passent le concours d'entrée à l'ENS ou à Polytechnique est le même que celui des garçons ou si elles s'autocensurent et se présentent moins aux concours les plus difficiles. Dans l’immédiat, l’analyse que nous pouvons faire des réactions des filles face aux épreuves des grandes écoles est fondée sur du ressenti, non sur une étude précise.

Il semblerait que les candidates soient inhibées par la compétition, qui stimule au contraire les garçons, qu’elles aient tendance à approfondir les points qu’elles traitent, au lieu de répondre au maximum de questions pour récupérer des points, en se contentant de lancer des idées. En d’autres termes, leur perfectionnisme leur nuirait . Au lycée,  les filles représentent 46 % des effectifs de TS SVT  mais après le bac, elles hésitent , plus que les garçons, à s’orienter vers des études scientifiques.

Nous touchons là un grave problème de mentalités. Les jeunes filles ont du mal à se projeter dans un carrière scientifique. D’abord parce qu’elles intègrent plus que les garçons l’idée qu’une vie familiale bien remplie est difficilement conciliable avec une carrière professionnelle ambitieuse. Ensuite parce que les représentations en matière de sciences laissent peu de place aux femmes. C’est tout un mode de pensée qu’il faudrait réformer. Un film comme Un Homme d’exception, par exemple, qui raconte l’histoire du mathématicien John Nash, reprend le stéréotype du « savant fou ». Cette histoire est véridique, John Nash a effectivement passé la moitié de sa vie en asile psychiatrique, mais le film contribue à ne présenter les scientifiques que comme des hommes un peu déments, déconnectés de la réalité.

Il est déjà difficile pour un garçon d’adhérer à l’image du chercheur à lunettes, solitaire, alors imaginez pour une fille ! Comme l’ont montré les travaux de Nicole Mosconi, professeure en sciences de l’éducation à Nanterre, le moment de l’orientation correspond à celui où les jeunes consolident leur identité sexuelle, qu’ils réaffirment encore plus fortement lorsqu’ils évoluent dans un environnement mixte. Une fille aura d’autant plus de mal, dans ces conditions, à s’identifier à l’image stéréotypée du scientifique. Pourtant un mathématicien n’est pas un être poussiéreux, fou ou enfermé dans son univers de chiffres ; c’est un créatif, un intuitif dont la discipline évolue avec son temps.

CultureMath : Pour revenir aux événements organisés par l'association, y a-t-il des manifestations régulières ? 
V. Slovacek-Chauveau : Des journées régionales ont lieu tous les ans en régions. Par exemple, l'an dernier cela se passait à Marseille, en novembre 2003.

Les prochaines se dérouleront à la Rochelle les 27 et 28 janvier 2005. Le 27 sera consacré à un thème général, autour des travaux d'une chercheuse canadienne en Sciences de l'Education s'intéressant aux préjugés sur les maths, sciences et technologies, et en particulier à l'image qu'en ont les jeunes.

Le 28 nous parlerons de maths, en mettant en avant les spécificités locales, en l'occurrence les équations aux dérivées partielles et les maths appliquées à l'économie.

Par ailleurs, en mai-juin, il y a toujours une journée à l'IHP, cette année, ce sera le 21 mai, et le thème sera : "Enseignement Supérieur et Recherche : où en est la parité ?".

CultureMath : D'ailleurs où en est-on à ce sujet ? 
V. Slovacek-Chauveau : Ca s'est un peu amélioré et maintenant ca stagne. Pour en savoir plus, venez au colloque ! (rire...)

Quelque soit la discipline, en haut de la hiérarchie il y a peu de femmes, il y a eu un article dans "Le Monde", disant qu'il y aurait bientôt moins de Professeures à la fac que de Sénatrices !! (en pourcentage, pas en nombre). Il faut dire que le pourcentage de femmes au sénat a doublé en 2004.

Cela dit, depuis la convention de 2000 pour l'égalité entre filles et garçons dans le système éducatif, les enquêtes sont obligatoirement sexuées. Il y a des chargés de mission à l'égalitré dans une quinzaine d'universités en France. Il y a une mission pour la parité au CNRS, au minitère de la recherche, etc... On a donc maintenant des outils fiables pour mesurer l'évolution.

CultureMath : Et pour une finir, une question plus polémique : que pensez-vous de la discrimination positive ? (c'est à dire le fait de favoriser dans une certaine mesure les femmes à acquérir des postes, pour amorcer un processus de rééquilibrage, en changeant l'image renvoyée par certains domaines) 
V. Slovacek-Chauveau : C'est très mal vu en France ! Au sein de Femmes et Maths, les avis divergent, il y a des membres qui y sont favorables et d'autres qui ne le sont pas. Moi je suis plutôt favorable, mais je comprends les réticences. Les arguments contre ce principe étant que cela ferait perdre de la valeur aux succès féminins. Nous n'arrivons pas à avoir une position commune sur le sujet, mais nous ne cherchons pas vraiment non plus...

CultureMath : Je vous remercie, Madame !