Hélène GISPERT
Université Paris Sud - helene.gispert@u-psud.fr
A la fin du 19e siècle, un problème structurel majeur conditionne l’enseignement des mathématiques. Il existe trois types différents de cursus scolaires qui renvoient tout à la fois à des couches sociales différentes et à des statuts différents des mathématiques. Le premier type, réservé à l’élite intellectuelle et sociale, y compris dans le domaine des sciences, est celui des lycées classiques qui délivrent d’abord et avant tout une éducation classique et humaniste. L’enseignement des mathématiques, cantonné à la marge de ce cursus secondaire, est rejeté à la toute dernière année de lycée. Et cela y compris pour l’élite scientifique destinée à poursuivre des études dans les grandes écoles telles l’Ecole polytechnique, où les mathématiques sont essentielles. Les second et troisième types d’écoles sont destinés à la formation des cadres des sphères industrielles et commerciales. Les unes comme les autres, les Ecoles Primaires Supérieures pour les classes inférieures et les Collèges Modernes pour les classes supérieures, accordent un rôle clé à la formation mathématique et scientifique poursuivie dans un but pratique et tournée vers les applications.
Cette dichotomie dans les finalités de l’enseignement, ce monopole des humanités classiques dans les lycées deviennent de plus en plus intenable pour les élites politiques et économiques de la Troisième République. En 1899, le parlement lance une grande enquête à travers tout le pays pour débattre de la question éducative de l’époque : Quelle formation pour quelle élite dans un pays moderne ? De quelle modernité et de quelles humanités le pays a-t-il besoin ?
En ce qui concerne les mathématiques, et les sciences, on peut constater différentes réponses à ces questions et des valeurs différentes, parfois complémentaires, sont mises en avant dans les débats : des valeurs culturelles en référence à des « humanités scientifiques » qui constituent, avec les langues vivantes et l’enseignement moderne du français et de la littérature, de nouvelles humanités modernes ; mais également, des valeurs utilitaires, les mathématiques et les sciences étant alors considérées comme des matières appliquées, les applications étant une autre part de la modernité.
A la suite de cette enquête, une profonde réorganisation des structures et du contenu de l’enseignement secondaire est entreprise. La réforme de 1902 prend ainsi en compte un nouveau but et un nouveau public :
Dans un pays où la population, professionnelle active (industriels, négociants, agriculteurs) représente 40% de la population totale, où le capital industriel s'élève à 96 milliards 700 millions de francs, où les exportations se sont chiffrées en 1900 à plus de 4 milliards de francs, l'Université ne peut plus se contenter de préparer les jeunes gens qui lui sont confiés aux carrières libérales, aux grandes écoles et au professorat; elle doit les préparer aussi à la vie économique, à l'action [séance des débats à la chambre, les 12 et 14 février 1902, le Journal officiel p. 666].
Elle a un impact considérable et réalise :
- l’unification, dans une unique structure secondaire, des cursus moderne et classique, considérés – au moins en principe si ce n’est sur le plan symbolique – comme égaux ;
- l’établissement de deux cycles : le premier cycle correspondant aux quatre premières années de lycée pour les garçons de 12 à 16 ans, après quoi les élèves pouvaient quitter l’enseignement secondaire, ce qui était tout à fait nouveau ; le deuxième cycle correspondant aux trois dernières années, qui se terminaient par le baccalauréat ;
- la fin du monopole des humanités classiques et le développement de disciplines nouvelles telles que les langues vivantes, les sciences et les mathématiques.
En ce qui concerne la structure des cursus mathématiques, on peut noter plusieurs facteurs convergents : d’abord, la place grandissante de l’enseignement des mathématiques, en particulier de la géométrie, dans les premières années de lycée ; deuxièmement, les effets de la diversifications des buts de l’enseignement secondaire ; et enfin, les effets d’un troisième facteur extérieur au monde de l’éducation, les nouvelles conceptions de la géométrie que développent alors les mathématiciens. Tous ces facteurs ont conduit à renouveler le contenu et les méthodes dans tous les cursus mathématiques.
En ce qui concerne l’enseignement de la géométrie on insiste, par exemple dans le programme de 1905, sur le fait qu’il doit « être essentiellement concret ». Encore plus novatrice a été l’introduction des notions de fonction, de continuité, de dérivée, de représentation graphique, des liens avec la physique et les applications, et ce dès le début du second cycle.
Ces quelques citations d’Emile Borel, tirées d’une conférence pédagogique pour les enseignants de mathématiques donnée en 1904, sont révélatrices des enjeux mathématiques qui étaient alors à l’œuvre avec cette réforme de 1902 :
« …on peut signaler bien des moyens qui pourraient être employés pour introduire plus de vie et de sens du réel dans notre enseignement mathématique. »
[…]
« …c’est le seul moyen d’empêcher que les Mathématiques soient un jour supprimées comme inutiles par voie d’économie budgétaire. »
[…]
« Ne risque-t-on pas de diminuer cette valeur éducative en y rendant plus pratique et moins théorique l’enseignement des Mathématiques ? »[1]
Les années qui ont suivi la première guerre mondiale sont lourdement marquées par le nationalisme, conséquence manifeste du conflit. Les élites politiques et intellectuelles, et parmi eux quelques mathématiciens, manifestent la volonté de promouvoir de nouveau les humanités classiques qui relèvent, d’après elles, d’une tradition spécifique aux nations « latines » telles que la France, par opposition à une culture germanique pratique. Dans ces années, la réforme de 1902 est accusée d’avoir gravement affaibli les humanités classiques – la prétendue identité française – en ayant voulu suivre les approches pratiques allemandes. En 1923, la chambre conservatrice “bleue horizon” vote une nouvelle réforme.
Cette réforme exclut l’enseignement secondaire moderne du lycée : le latin devient à nouveau obligatoire dans les premières années, l’organisation en deux niveau est supprimée, le monopole des valeurs des humanités classiques est affirmé. Le seul but du lycée est l’éducation des esprits et des cœurs de l’élite intellectuelle et sociale. Enfin, la réforme impose « l’égalité scientifique », c’est-à-dire un même cursus de sciences et de mathématiques pour tous les élèves jusqu’aux toutes dernières années de lycée. La conséquence en fut tout à la fois la diminution du nombre d’heures de sciences et de mathématiques par rapport à l’après réforme de1902, et la relégation en terminale scientifique de l’enseignement de presque toutes les notions mathématiques (comme avant 1902).
Le règne de « l’égalité scientifique » et des humanités classiques comme modèle pour la formation des élites a persisté pendant toute l’entre-deux-guerres, même si le latin obligatoire est aboli dès 1925 (par un parlement à majorité de gauche) et l’enseignement secondaire moderne réintroduit dans les lycées. Ainsi, la prédominance des humanités et un enseignement réduit des sciences et des mathématiques se maintiennent y compris sous le Front populaire qui entreprend une réorganisation prudente de l’enseignement moyen (correspondant aux classes d’âge du collège actuel). L’enseignement secondaire reste ainsi caractérisé comme un enseignement culturel, libéral et désintéressé, qui exclut tout but pratique et concret.
Il faut mentionner, dans la mesure où cela aura d’importantes conséquences, le succès croissant du modèle alternatif des écoles primaires supérieures proposé par l’ordre primaire, qui assure une partie de l’enseignement moyen, et qui accorde une large place aux sciences, aux mathématiques et à leurs applications.
Si rien de particulier n’a touché l’enseignement des mathématiques pendant ces années, le régime de Vichy a néanmoins pris des mesures structurelles qui devaient affecter l’évolution du système éducatif français après la guerre.
Pour des raisons politiques, Vichy a essayé de détruire le monde de l’enseignement primaire (c’est-à-dire les écoles primaires, les écoles primaires supérieures et les écoles normales qui accueillait les futurs instituteurs de 15 à 18 ans) caractérisé par son indépendance, son homogénéité et sa solidité. Le monde primaire était très attaché aux idées républicaines, et hostile à la collaboration du régime de Vichy avec les autorités d’occupation nazies.
Vichy abolit tout d’abord le « primaire supérieur » pour l’intégrer dans l’enseignement secondaire, et créé les « collèges modernes », moins prestigieux que les lycées redevenus classiques où le latin était à nouveau devenu obligatoire. Ensuite, Vichy abolit les écoles normales et, en conséquence, les futurs instituteurs suivent dorénavant leur scolarité dans les nouveaux collèges modernes et donc doivent passer par le baccalauréat.
Des enjeux économiques
Il peut être intéressant d’introduire cette période par les premiers mots du rapport que fit G. Kurepa au congrès international des mathématiciens en 1954 en présentant les conclusions de la première enquête de la CIEM (Commission internationale de l’enseignement mathématique) après la seconde guerre mondiale sur la place et le rôle des mathématiques et des mathématiciens dans le monde contemporain.
“Assuming the idea that mathematics teaching in a given time is intimately linked with the role mathematics and mathematicians play at this very time, ICME has decided […] to undertake an inquiry about “the role of mathematics and mathematician in contemporary times”.
Kurepa insiste dans son rapport sur un certain nombre d’aspects nouveaux, la période de l’après-guerre étant caractérisée par un accroissement considérable de l’importance des mathématiques et du rôle des mathématiciens. Il note ainsi, tout d’abord, le nombre élevé de mathématiciens « au sens large », y compris « les mathématiciens appliqués que sont les ingénieurs. Il constate ensuite sur l’existence de laboratoires de mathématiques implantés dans les grandes entreprises industrielles et commerciales, « fait sans précédent dans l’histoire de l’humanité », et une conséquence directe des développements des sciences et des mathématiques durant la seconde guerre mondiale. Il note enfin les nouveaux développements fondamentaux en mathématiques que sont les ensembles, les structures, la logique, l’optimisation, les calculateurs et l’analyse numérique, les statistiques, plusieurs d’entre eux liés également à l’activité scientifique et militaire durant la guerre. En dernier, il mentionne de nouveaux enjeux de citoyenneté pour les mathématiques dans une société devant industrielle[2].
Il conclut en affirmant que les mathématiques sont au carrefour des activités humaines et que c’est grâce à la mathématique que l’homme peut avoir une compréhension claire et organisée de l’infini variété de la nature.
Cette importance stratégique donnée aux mathématiques et le besoin d’une réforme de l’enseignement des mathématiques qui en découlait a été ressenti non seulement par les mathématiciens, mais aussi par les acteurs du développement économique. De fait, les initiatives prises par l’OEEC (devenue OCDE en 1961) depuis la fin des années 1950 et le début des années 1960 ont été le moteur d’un mouvement international de réforme des enseignements mathématiques. En 1958, l’OEEC a ouvert un bureau à Paris pour « rendre plus efficace l’enseignement des mathématiques et des sciences » et promouvoir une réforme du contenu et des méthodes de l’enseignement des mathématiques pour les élèves de 12 à 19 ans. Puis l’OEEC / OCDE organisa et finança des rencontres d’experts pour la formation mathématique secondaire des futurs ingénieurs et scientifiques : la rencontre de Royaumont en 1959 à laquelle ont participé Choquet et Dieudonné, celle de Dubrovnik en 1960 avec Artin et Choquet et, en 1963, celle d’Athènes d’où sortit le livre Mathématiques modernes, guide pour les enseignants. Le mouvement de réforme des mathématiques modernes est lancé au plan international.
Un contexte épistémologique très particulier
En France le mouvement des mathématiques modernes se développa dans un contexte épistémologique particulier que permettent de camper les deux citations suivantes :
« Dans la conception axiomatique, la mathématique apparaît en somme comme un réservoir de formes abstraites - les structures mathématiques ; et il se trouve - sans que l’on sache bien pourquoi – que certains aspects de la réalité expérimentale viennent se mouler en certaines de ses formes ; comme par une sorte de préadaptation. » [Nicolas Bourbaki, « L’architecture des mathématiques », 1947]
« Ainsi donc, dans l’espace de quelques années, des spécialistes aussi éloignés en apparence les uns des autres que les biologistes, les linguistes, les économistes, les sociologues, les psychologues, les ingénieurs des communications et les mathématiciens, se retrouvent subitement au coude à coude et en possession d’un formidable appareil conceptuel dont ils découvrent progressivement qu’il constitue pour eux un langage commun. » [Lévi-Strauss, « Les mathématiques de l’homme », 1954]
Dans la première, qui n’est pas si particulière au contexte français, Bourbaki expose deux idées, la première : le rôle nouveau, central que joue la notion de structure dans les mathématiques qui devient le noyau de ce qui est alors appelé les « mathématiques modernes », la seconde étant la surprenante efficacité de telles mathématiques pour rendre compte de la réalité, ce qui devint un des arguments les plus usités pour la nécessité de la réforme dite des mathématiques modernes.
Quant à la citation de l’anthropologue français Claude Levi-Strauss elle rappelle l’énorme importance du structuralisme, qui constituait à cette époque en France le courant philosophique dominant dans toutes les sciences – y compris humaines et sociales. La nouvelle mathématique et sa structure étaient généralement considérées comme un outil scientifique et un langage essentiels pour accéder à tout savoir.
Dans le domaine de l’enseignement, une des conséquences a été la convergence entre les mathématiciens du courant Bourbaki et des psychologues et philosophes tels que Piaget et Gonseth. Des réunions ont été organisées à partir du début des années 1950 par une organisation internationale nouvellement créée, la CIEAEM (Commission Internationale pour l’Etude et l’Amélioration de l’Enseignement des Mathématiques), où les mathématiciens français jouèrent un rôle important.
Au plan national, les mathématiciens et les enseignants de mathématiques français furent très mobilisés depuis le début des années 1950, individuellement et collectivement, au sein de leur association, l’APMEP, pour réfléchir, expérimenter, et promouvoir une réforme des contenus et des méthodes de l’enseignement des mathématiques. De plus, comme nous l’avons vu plus haut , plusieurs mathématiciens français furent désignés comme experts dans les rencontres de l’ OEEC / OCDE.
Un nouveau contexte institutionnel pour l’enseignement
Deux importantes réformes institutionnelles (1959 réforme Berthoin, 1963 réforme Fouchet) sont entrées en vigueur dans ces années en France, établissant la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans dans un système plus ou moins complexe d’établissements (CEG, CET, lycées pour ce qui est de leurs premiers cycles) appartenant tous au second degré ce qui était une nouveauté importante. Cela signifie deux choses essentielles : premièrement, l’école primaire devint pour tous les enfants la première étape d’une scolarité prolongée qui préparait à l’enseignement secondaire ; deuxièmement, cet « enseignement moyen » (donné dans ces différents types d’établissements) a désormais de nouveaux objectifs et de nouveaux publics qui diffèrent de ceux des périodes précédentes, délivrant un enseignement à des enfants dont le futur scolaire et social est très divers, depuis les études générales longues jusqu’à l’enseignement professionnel et l’apprentissage.
Ajouté à cette prolongation des études, le baby boom qui suivit les années de guerre a provoqué un énorme accroissement du nombre d’élèves dans le secondaire créant un besoin accru d’enseignants. Ainsi, dans l’enseignement moyen seuls moins de 20% des enseignants de mathématiques étaient alors des professeurs certifiés ou agrégés ce qui ne manquera pas d’être un handicap très grave au moment de la mise en place de la réforme des mathématiques modernes. Les 80% de professeurs de mathématiques restants étaient soit des maîtres auxiliaires, souvent non licenciés en mathématiques, soit des professeurs issus du primaire, anciens instituteurs de cours complémentaires, également sans qualification supérieure en mathématiques.
Ces réformes institutionnelles peuvent être considérées soit comme un facteur de démocratisation du système éducatif, soit comme un facteur de « massification », c’est-à-dire une croissante quantitative sans réel changement qualitatif d’ordre social. Un des arguments pour cette deuxième interprétation réside dans la planification par l’état d’une sélection effective à hauteur de 60% d’une part de la population active sans diplôme ou sans formation secondaire pour les année 1970.
L’épilogue de cette période 1945-1965 a été la création en décembre 1966 de la Commission ministérielle d’étude pour l’enseignement des mathématiques, présidée par André Lichnérowicz.
C’est durant cette période qu’a été appliquée la réforme conduite par la dite « Commission Lichnérowicz ». Cette réforme a été dans un premier temps souhaitée et unanimement soutenue en France. Le programme de la Commission était clair. Elle devait tout d’abord travailler sur de nouvelles orientations pour l’enseignement mathématique dans le primaire et le secondaire et les faire expérimenter. Elle devait, d’autre part, mettre sur pied un dispositif de formation des enseignants et créer de nouveaux instituts pour cela – qui furent plus tard nommés les IREM.
Sans vouloir présenter les caractéristiques mathématiques de ces nouveaux programmes, mentionnons ici seulement l’importance donnée à l’algèbre moderne et aux concepts de la théorie des ensembles dans tous les cursus, depuis le niveau élémentaire jusqu’au baccalauréat, la géométrie d’Euclide et le calcul n’étant plus enseignés en tant que tel. Il est important de souligner également deux enjeux identitaires majeurs de cette réforme qui allaient s’avérer être source de deux difficultés majeures. Le premier est qu’elle devait s’adresser à tous les élèves, quel que soit leur futur à l’école et dans la société. Le deuxième est qu’elle devait embrasser toute la scolarité, depuis l’école maternelle jusqu’à l’université.
Deux citations illustrent ces difficultés. La première citation, extraite du projet de programme de l’association des professeurs de mathématiques pour l’école élémentaire montre les conséquences de la réforme pour le cursus primaire dont la vocation n’était plus, comme dans l’ancien ordre primaire jusqu’aux années 1950, de préparer les enfants à la vie de tous les jours et ou à leur futur métier.
“ Cet enseignement n’étant qu’un prélude aux enseignements diversifiés du premier cycle, il y a lieu d’alléger les connaissances actuellement exigées, en particulier dans le domaine des applications pratiques au bénéfice d’une meilleure comprehension des notions de base et d’un meilleur apprentissage des techniques.” (APMEP 1967)
La seconde citation montre la difficulté objective et, tout à la fois, la bonne volonté, l’incapacité et l’impréparation de la Commission Lichnerowicz pour prendre en charge le problème de la « démocratisation », pour se préoccuper d’autre chose que des besoins induits par les études longues et les carrières universitaires. Evoquant, dans une réunion de la Commission, la question de la réforme pour les filières courtes, préparant à la vie active, un des membres résume la question en disant : “ Faut-il enseigner des mathématiques désuètes aux enfants moins intelligents ? ”
La coïncidence dans le temps entre la massification causée par les réformes institutionnelles et la réforme des mathématiques modernes fit que, pour la première fois en France, le même cursus de mathématiques était proposé aux élèves destinés à l’entrée dans la vie active et à ceux qui devaient suivre des études longues. Or, les conceptions sur la démocratisation de l’enseignement, héritées de l’entre-deux guerres et qui s’imposaient comme une évidence, considéraient le modèle pour l’élite comme le meilleur possible et devant être appliqué à tous. Et il en fut ainsi pour les mathématiques, où les traditions mathématiques et pédagogiques de l’ordre primaire furent abandonnées au profit de celles du secondaire.
Au début des années 1970, à l’occasion des travaux sur les programmes des classes de quatrième et troisième, des dissensions éclatèrent au sein de la Commission et l’unanimité du début se brisa. Ces programmes, pour des classes de fin de scolarité obligatoire et dans lesquelles les enseignants étaient en grande majorité peu formés, posaient en effet des problèmes tout à la fois d’ordre mathématique et sociétaux particulièrement aigus. Des mathématiciens et des physiciens dans et hors de la commission ont commencé à critiquer la prédominance des approches formelles et abstraites dans les programmes de mathématiques. Formalisme et abstraction n’étaient pas profitables pour la grande majorité des élèves et des professeurs, mal préparés pour cela. Mais ils ne l’étaient pas non plus, disaient-ils, pour la formation des futurs physiciens ni pour les futurs ingénieurs. Des critiques tout aussi sévères sont venues ensuite des associations professionnelles telles que l’APMEP ou même les IREM, des milieux universitaires, de l’Académie des Sciences, des milieux économiques et industriels.
L’histoire se finit assez mal. Les travaux de la Commission cessèrent, Lichnérowicz ayant démissionné en juin 1973, et La Commission n’a jamais accompli la deuxième phase de la réforme. Dans les années 1980 la totalité de la réforme fut abandonnée, contestée même par ses partisans, qui pensaient qu’elle ne correspondait pas vraiment à leurs recommandations premières.
1899-1999. Les cent ans de L’Enseignement Mathématique. L’Enseignement Mathématique n° 45 (1999), p.3-4.
Belhoste, Bruno, 1995, Les sciences dans l’enseignement secondaire français. Textes officiels. 1789-1914, Paris: INRP & Economica.
Belhoste, B., Gispert, H., Hulin N., (eds.), 1996, Les sciences au lycée. Un siècle de réformes des mathématiques et de la physique en France et à l'étranger, Paris: Vuibert & INRP,
Charlot. B., 1991, Histoire d'une réforme: idées directrices et contexte" in Faire des mathématiques: le plaisir du sens, R. Bkouche, B. Charlot & N. Rouche (eds.), Paris: Armand Colin,
Gispert, H., Hulin, N., Robic, M.-C. (eds.), 2007, Science et enseignement. L’exemple de la grande réforme des programmes du lycée au début du XXe siècle. Paris: Vuibert & INRP,
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Schiltz. M.A., 1984, Analyse des épisodes d'une controverse: la réforme des mathématiques des années soixante“, in Le sujet et l'objet: confrontations, M. Armatte et al (eds.), Paris: Editions du CNRS.
[1] Emile Borel, “Les exercices pratiques de mathématiques dans l’enseignement secondaire”, Revue générale des sciences pures et appliquées 14 (1904), 431-440. Le texte de la conférence est en ligne sur le site de la SMF.
[2] Voir le rapport de l’étude d’ICME: Georg Kurepa: “Le rôle des mathématiques et du mathématicien à l’époque contemporaine. Rapport général”, L’Enseignement mathématique (2), 1 (1955), 93-111.