La duplication du cube

 

Bernard Vitrac (CNRS-EPHE)

 

Quand on a quatre droites continûment proportionnelles AB, CD, EF, GH (AB : CD :: CD : EF :: EF : GH), les Anciens disent que le rapport AB : GH est le rapport triplé du rapport AB : CD. Ce que nous écririons, en termes modernes : (AB/GH) = (AB/CD)3.

Soit AK le cube décrit sur la droite AB (donc AB = BL = LK),

et BD le cube décrit sur la droite CD (donc DC = CQ = QB).

On complète les parallélépipèdes rectangles KP et PN. Alors :

AK : KP :: AB : BP :: AB : CD car BP = CD;

KP : PN :: KM : MN :: AB : CD car KM = AB et MN = CD;

PN : BD :: MB : BQ :: AB : CD car MB = AB et BQ = CD.

Donc AK : BD est le rapport triplé du rapport AB : CD.

Ce que nous écririons, en termes modernes : AB3/CD3 = (AB/CD)3. Étant donnés une droite AB et son double GH, si nous insérons entre elles deux moyennes proportionnelles, CD, EF, le rapport du cube décrit sur AB à celui décrit sur CD sera celui de AB à GH. Autrement dit le cube sur CD sera le double du cube sur AB.

Clairement le problème est généralisable pour n'importe quel rapport imposé entre AB et GH, et pas seulement le rapport double. L'intérêt pour les architectes et autres mécaniciens est évident. Donnons-nous, à titre d'exemple, un parallélépipède P de dimensions linéaires connues dont la longueur est AB. Si nous voulons l'augmenter ou le réduire dans un rapport donné, comme celui des nombres m à n, il suffira de considérer la droite GH telle que GH : AB :: m : n et d'insérer deux moyennes proportionnelles entre AB et GH, soit CD, EF. Le parallélépipède, semblable à P, décrit sur CD comme longueur, sera dans le rapport m : n avec P. D'où la possibilité de construire des temples ou de reproduire des machines de guerre à différentes échelles. A condition toutefois que l'insertion des deux moyennes ne reste pas une procédure complètement abstraite.

Ainsi, dans les solutions compilées par Eutocius, on peut distinguer deux groupes :

• Celles d'Archytas (Eutocius prétend citer Eudème), de Ménechme (deux solutions à l'aide de sections coniques) et de Dioclès, purement théoriques. On peut leur adjoindre celle d'Eudoxe, simplement évoquée, qui procédait à partir de courbes. De fait, en dehors de celle de Dioclès, il s'agit des solutions les plus anciennes.

• Celles de Philon de Byzance, Ératosthène, Nicomède, Apollonius, Héron, Sporus, Pappus auxquelles on peut ajouter celle attribuée à Platon. Elles ont en commun de faire appel à un dispositif instrumental plus ou moins complexe. Significativement, Philon, Héron et Pappus présentaient leurs solutions dans leurs Introductions à la mécanique.


L'instrument le plus ambitieux était le mésolabe d'Ératosthène permettant de prendre (en théorie) autant de moyennes que l'on veut et pas seulement deux. Un exemplaire en avait été consacré dans un temple, accompagné d'un épigramme dédicatoire adressé au Roi Ptolémée III. Eutocius nous l'a également conservé. Ératosthène y critique les solutions antérieures (celles d'Archytas, de Ménechme et d'Eudoxe), selon lui bien laborieuses, alors que la sienne est si simple. Nicomède, dans son traité sur les conchoïdes, lui retournera la même critique !

   

Le mésolabe d'Eratosthène selon Pappus

Trois triangles rectangles identiques sont glissés dans un cadre SABD. Le premier est fixé en A. Les deux autres coulissent. Pour trouver deux moyennes proportionnelles entre LG et SA, G étant un point quelconque de LH, on aligne sur AG les intersections O et R en déplaçant les triangles. Un fois que l'alignement de A, G, O et R est obtenu, LG, KO et TR sont en proportion d'après le théorème de Thalès.