Marie-Jo Carles, professeur de mathématiques (aujourd'hui retraitée)
Pendant plusieurs années, des enseignants du collège Pierre Mendès France (Paris 20e arrondissement) ont proposé des narrations de recherche à leurs élèves. Partie des professeurs de mathématiques, cette façon de travailler a fait tâche d’huile. La narration de recherche est devenue une activité commune aux mathématiques et au français.
Proposer une narration de recherche aux élèves, c’est les mettre devant une situation mathématique complexe. Tout est dans la mise en place d’un dispositif adapté pour qu’ils osent chercher, qu’ils éprouvent du plaisir et trouvent ainsi l’énergie à poursuivre l’effort de réflexion sur des questions difficiles et qu’ils rédigent ensuite, pour un lecteur non averti, le raisonnement qu’ils ont mené.
Ce n’est pas vraiment aller vers la facilité pour les élèves!
Dans une première étape, nous avons rassemblé quelques sujets qui démarrent avec des questions faciles à résoudre, bonnes amorces pour entrer dans le sujet et se sentir apte à réfléchir…et se terminent avec des questions qui forcent à réfléchir et conduisent à une généralisation.
Nous avons décidés de constituer des groupes d’élèves de niveaux hétérogènes pour que les uns voient comment les autres travaillent, que toutes les stratégies, face à la difficulté, soient mises en commun. Les catégories d’élèves habituelles, telles que « bons » ou « faibles », se sont du reste souvent trouvées brouillées car cette activité mobilise chez les enfants toutes sortes de qualités non évaluables : ingéniosité, imagination, originalité, esprit coopératif, patience, capacités de convaincre…
Ce qui plait aux élèves:
- La nouveauté de l’activité plait; ce n’est pas nouveau !
- Le travail en groupe plait aussi ; même si le groupe ne se choisit pas !
- Le droit de se parler, d’argumenter pour convaincre le groupe ; ils ne voient pas le temps passer !
- Le droit d’écrire ensemble les sécurise,
- La non notation les libère,
- Le défi posé par les questions finales les excite,
- L’étonnement du professeur devant la singularité de certaines réponses les remplit de fierté ;
Ce qui reste le plus pénible pour les élèves :
La rédaction individuelle ! Elle est ardue : expliquer par écrit, trouver la meilleure façon de s’exprimer pour transmettre sa pensée le plus clairement possible grâce aux figures, schémas, codes ou textes. Voilà un travail auquel nous, les professeurs, nous ne voulons pas renoncer ! Mais c’est difficile, nous le reconnaissons largement ; Chacun doit progresser dans ce domaine C’est un travail qui est présent tout au long de la scolarité.
En salle de professeurs, nos collègues de Lettres sont surpris du contenu de nos rédactions : peu de copies blanches, pas de hors sujets. Nous commençons à travailler ensemble, professeurs de Lettres et de Maths, pour aider les élèves à améliorer leurs rédactions. Les brouillons que nous conservons sont riches, plus riches que les copies propres comme si dans cet espace plus « libre » qu’est le brouillon, les élèves réfléchissent mieux .Nous trouvons une réflexion mathématique plus vigoureuse dans cette écriture « jargon » Les élèves voient certains de leurs brouillons mis en valeur au moment de la correction.
Les professeurs de Lettres apportent alors leurs compétences dans ce travail : Améliorer le brouillon pour qu’il devienne une copie qui atteint mieux son objectif : être compris par un lecteur non averti.
La collaboration des professeurs de Lettres et de Maths est extraordinairement bénéfique.
La présence du professeur de Lettres oblige les élèves à mieux s’exprimer car le professeur de Lettres ne connaît pas a priori, la solution. « C’est vrai ; Pourquoi se donner du mal à expliquer au professeur de Maths la solution qu’il connaît déjà ? » C’est ce que pense plus ou moins un élève rédigeant une copie pour son professeur de Maths. D’où un changement d’attitude qu’on perçoit dans l’explication orale puis dans la copie.
Les consignes des professeurs de Lettres pour la rédaction se sont précisées :
On demande un texte en trois parties : une introduction dans laquelle on reformule le sujet et on précise les conditions de travail, un développement dans lequel on retrace toutes les activités qui ont participé à la recherche de la solution, même les fausses pistes !! Et pour finir un bilan dans lequel on reprécise les solutions qu’on a trouvées et les questions restées sans réponse ; on peut aussi, dans ce bilan, donner un avis personnel, par exemple écrire si on a apprécié ou non ce travail et pourquoi.
Le niveau de langage ne doit pas être familier. Plus de phrases inutiles à la compréhension de la recherche ; donc pas de phrases « parasites » enfantines qui nous plaisaient bien à nous professeurs de Maths.
Une évaluation du travail est mise en place :
- « A » pour un texte clair en trois parties
- « B » pour un texte clair en deux parties
- « C » pour un texte avec seulement une seule partie.
- « D » pour des schémas avec quelques explications
- « E » pour pas grand-chose !!!
Les deux heures de recherche en classe avec les deux professeurs, Lettres et Maths, peuvent avoir lieu avec la classe entière ; la nouveauté de cette situation marque l’importance du travail et économise du temps.
La rédaction individuelle se passe sur le temps de cours de Lettres. C’est encore un gain de temps pour le professeur de Maths.
La double correction des copies : Français d’une couleur et Maths d’une autre se rejoignent souvent quant aux commentaires ; l’élève le remarque.
La projection au rétroprojecteur des extraits de copies se fait en présence des deux professeurs. Les élèves sont particulièrement attentifs; voir un extrait de leur propre copie commenté est gratifiant pour eux. Les solutions proposées par l’ensemble de la classe illustrent la diversité des raisonnements.
Une séance de reconstitution de texte est mise en place pour préciser la demande des professeurs d’un texte structuré en trois parties:
Sur trois ou quatre feuilles 21 X 29,7 on disperse trois ou quatre introductions, deux ou trois bilans, un développement en deux morceaux .Les élèves doivent reconstituer une copie modèle qui sera la conclusion de ce travail, une trace, on l’espère, pour la narration suivante.
Il est intéressant de répéter deux ou trois fois dans l’année cette activité pour voir l’évolution. Un suivi systématique d’année en année d’une classe pratiquant régulièrement les narrations de recherche reste à mettre en place. Elle permettrait de juger de son efficacité à faire progresser les élèves dans la maîtrise de l’écrit et dans l’apprentissage du raisonnement et de l’argumentation.