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Inventer une géométrie pour l’école primaire au XIXe siècle

Renaud d’Enfert, IUFM de l’académie de Versailles


Texte n°3

Géométrie et système métrique : un enseignement par les yeux (1855)

J.-J. Rapet, « De la direction à donner par les instituteurs à leur enseignement », Bulletin de l'instruction primaire, tome 3, n° 5, mars 1855, pp. 122-124 (Extrait). Publié dans R. d’Enfert, L’enseignement mathématique à l’école primaire, de la Révolution à nos jours. Textes officiels. Tome 1 : 1791-1914, Paris, INRP, 2003 (avec la collaboration de H. Gispert et J. Hélayel), pp. 138-140.

Plus qu’aucune autre branche d’instruction, le système métrique, l’arithmétique et les connaissances qui s’y rapportent se prêtent à l’enseignement par les yeux, c’est-à-dire à l’emploi des moyens sensibles, si nécessaires dans l’enseignement primaire pour donner aux enfants l’intelligence des choses. Ces moyens auront à la fois l’avantage de faire mieux comprendre les choses aux élèves, et d’intéresser vivement les familles qui comprendront mieux que par des procédés abstraits la portée de cet enseignement. Il ne suffit pas d’ailleurs de savoir opérer des calculs sur des quantités, des poids et des mesures exprimés en chiffres ; il faut encore savoir mesurer soi-même. Il y a donc là toute une série d’exercices bien plus attrayants pour les élèves dont ils utiliseraient le besoin d’activité, que des leçons purement théoriques et abstraites.

Exerçons donc nos élèves à mesurer toute espèce de quantités, des longueurs, des surfaces et des volumes. À défaut des instruments que l’école ne posséderait pas, les parents de nos élèves, un marchand, un fabricant, un constructeur, se feront un plaisir de nous prêter tous les instruments de pesage et de mesurage qu’ils possèdent. Au besoin même un mètre seulement, avec une ficelle ou un ruban de fil, nous suffiront pour habituer nos élèves à mesurer presque toutes les grandeurs, à trouver la surface d’un champ, d’un jardin, d’une cour, d’un mur, à trouver le volume d’un tas de terre, de sable ou de fumier, la quantité de matériaux qui entrent dans la construction d’un mur, le nombre de mètres de terre à extraire ou à transporter pour faire un certain travail, la capacité d’une cuve, d’un fossé, d’une grange ou d’un grenier.

Remarquons à ce sujet que, sans sortir du programme de l’enseignement élémentaire, nous donnerons, à propos du système métrique, toutes les notions de géométrie qui en sont le complément indispensable, et toutes celles qui sont réellement utiles, sinon nécessaires à tout le monde. Nous les donnerons sans livres, sans aucune dépense pour les familles, et en même temps nous les donnerons de la manière la plus agréable pour les élèves, en présence des objets auxquels elles s’appliquent, et en satisfaisant le besoin d’activité dont nous venons de parler et qui est un des caractères distinctifs de l’enfance.

Mais ce n’est point assez de savoir calculer la grandeur, le poids ou le volume d’un objet avec le secours des instruments propres à mesurer ces quantités. Nous n’avons pas toujours ces instruments sur nous ou à notre disposition. Ce sera donc rendre service à nos élèves que de les habituer à évaluer les poids ou les grandeurs à l’oeil ou à la main. Les exercices de ce genre ne seraient pas ceux qui auraient le moins d’intérêt pour les familles. Exerçons donc nos élèves à apprécier avec la main le poids des objets et leur volume ; à évaluer à la vue la longueur, la largeur, la hauteur, la profondeur des objets, à en estimer l’étendue et la surface ; à juger des distances par la marche ou le nombre des pas ; à évaluer à l’oeil le nombre de grains d’un épi, ou le nombre d’objets réunis dans un tas, celui des arbres qui se trouvent dans un jardin ou dans une portion de bois. Ces exercices, qui sont une excellente préparation au dessin, donnent à la main et au coup d’oeil une sûreté et une précision dont on trouve sans cesse l’emploi. Une semblable aptitude serait hautement appréciée par les familles, dans les communes rurales peut-être encore plus qu’ailleurs, et les exercices qui auraient pour objet de la mettre en évidence seraient certainement au nombre de ceux qui feraient le plus goûter l’enseignement du maître.