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Inventer une géométrie pour l’école primaire au XIXe siècle

Renaud d’Enfert, IUFM de l’académie de Versailles


Texte n°1

L’enseignement du dessin linéaire selon Louis-Benjamin Francœur (1818)

« Rapport fait par M. Francœur à la Société d’instruction élémentaire, sur l’enseignement du dessin », Journal d’éducation, tome 6, n° 10, juillet 1818, pp. 206-210 [Extraits]. Disponible sur www. gallica.bnf.fr/

 

Depuis longtemps, les bons esprits souhaitaient voir introduit l’enseignement du dessin dans les écoles élémentaires. Cet art, utile à presque toutes les professions, l’est surtout aux gens du peuple, dont les travaux consistent presque tous en des imitations de formes. Sans parler des artistes qui font du dessin leur étude spéciale, la base essentielle de leurs productions, les anatomistes, les médecins, les marins et les voyageurs, ont à chaque instant recours au dessin pour exprimer leurs conceptions, se les expliquer plus nettement à eux-mêmes, les faire comprendre aux autres. Les menuisiers, mécaniciens, serruriers, ouvriers en bâtiments, artisans des manufactures, et je pourrais citer tous les métiers, ont besoin de dessiner, ne fût-ce que pour concevoir les objets qu’ils sont chargés d’exécuter. En un mot, le dessin est un art qu’il faut posséder ; on doit le savoir lire et écrire, quoiqu’il exprime des figures réelles, et non des articulations et des sons. Introduit dans l’enseignement des classes inférieures, il doit contribuer à leur bien-être, et donnera à notre industrie le plus haut degré de splendeur. […] Ce bel art se divise en plusieurs branches très étendues ; mais on l’a limité à la seule partie qui soit à l’usage du peuple, le dessin linéaire.

[…]

Les bases dont nous sommes partis sont les suivantes :

1° Des figures de géométrie ont été disposées dans l’ordre de la difficulté du tracé, plutôt que selon celui des théorèmes ; ces dessins ont dû servir de modèle.

2° Chaque figure se rapporte à un commandement inscrit sur une tablette à l’usage des moniteurs.

3° Un travail préparé pour le maître, est destiné à le mettre à même d’instruire les moniteurs, de lever les difficultés que le tracé présente, et de lui faire comprendre le sens des divers commandements.

4° Enfin, selon le mode d’enseignement du calcul, on ne suppose au maître, aux moniteurs, ni aux élèves, aucune connaissance du dessin ; et cependant tous, à peu près aussi peu habiles, devaient arriver à tracer correctement toutes les figures d’ornements usités dans les arts, s’enseignant mutuellement ce qu’ils ne savent pas eux-mêmes ; et cela sans leçons spéciales, sans préceptes, et par le seul empire de l’exemple et de l’imitation.

[…]

Il est maintenant facile de concevoir les procédés qui ont été employés :

Les élèves dessinent debout sur un tableau noir, rangés comme dans les demi-cercles de lecture ; ou bien assis sur les bancs, à leurs places, armés de l’ardoise et du crayon. […] La règle et le compas ne sont jamais que dans la main du moniteur, comme un moyen de vérification. Une réglette divisée en centimètres et millimètres, nommée kutsch, sert au corrections des ardoises. Un mètre divisé est le bâton de commandement, et sert à vérifier les figures tracées sur le tableau noir ; un autre mètre fixé en haut du tableau sert à régler le coup d’œil : car, toutes les figures que les élèves doivent dessiner sont assujetties à avoir des dimensions que le moniteur fixe à volonté. Celles du litre et de l’hectolitre qui servent à mesurer les substances solides et liquides, sont même au rang des figures qui doivent être correctement dessinées.

Les apprentis dessinateurs sont partagés en quatre classes : les plus faibles tracent des droites, des parallèles, des perpendiculaires, des triangles, etc.

Dans la seconde classe, on fait des cercles, des polygones réguliers, et les figures planes qui en dépendent.

Dans la troisième, on imite en perspective quelques corps à trois dimensions, tels que les pyramides, prismes, cylindres, cônes, sphères, etc. ; il faut enfin que les élèves arrivent à tracer des ellipses et un rapporteur, et à faire à très peu près des angles d’un nombre de degrés donné.

Dans la quatrième classe, on dessine quelques traits d’architecture, des vases et des ornements de goût. […]