Le Laboratoire des Machines Mathématiques
Publié le 18/10/2007
Résumé

Michela Maschietto, de l'Université de Modene en Italie présente la collection d'instruments de géométrie construite par le "Laboratorio delle Macchine Matematiche". Il s'agit d'un magnifique travail de reconstitution historique et de valorisation du patrimoine technique. Mais cette entreprise est bien plus que cela. Elle s'inscrit dans un mouvement général qui remet à l'expérimentation à l'honneur dans l'enseignement des mathématiques.

  

Michela Maschietto
Département de Mathématiques - Université de Modène - Italie

Le Laboratoire des Machines Mathématiques (abrégé MMLab), situé dans les locaux de l’UFR de Mathématiques de l’Université de Modena – Reggio Emilia, contient une collection d’instruments pour la géométrie, appelés ‘machines mathématiques’. Ils ont été construits dans un but didactique, selon les descriptions contenues dans des textes historiques depuis des textes grecs (les traités des coniques) jusqu’à des textes du XXème siècle (Bartolini Bussi & Maschietto, 2006).

 

En France, cette l'approche expérimentale inspire par exemple la nouvelle épreuve pratique du baccalauréat (voir le dossier de EducMath, en particulier le point de vue de Dominique Tournès) et les "Laboratoires de Mathématiques" dans les collèges et les lycées. De ce point de vue, le "Laboratorio delle Macchine Matematiche" renoue avec l'idéal d'Emile Borel :

    On a déjà deviné quel pourrait être, à mon sens, l’idéal du laboratoire de Mathématiques : ce serait, par exemple, un atelier de menuiserie ; le préparateur serait un ouvrier menuisier qui, dans les petits établissements, viendrait seulement quelques heures par semaine, tandis que, dans les grands lycées, il serait présent presque constamment. Sous la haute direction du professeur de Mathématiques, et suivant ses instructions, les élèves, aidés et conseillés par l’ouvrier préparateur, travailleraient par petits groupes à la confection de modèles et d’appareils simples. Si l’on possédait un tour, ils pourraient construire des surfaces de révolution ; avec des poulies et des ficelles, ils feraient les expériences de Mécanique que nous décrivait M. Henri Poincaré, vérifieraient d’une manière concrète le parallélogramme des forces, etc. Il y aurait dans un coin une balance d’épicier ; de l’eau et quelques récipients permettraient, par exemple, de faire faire aux élèves, sur des données concrètes, les problèmes classiques sur les bassins que l’on remplit à l’aide d’un robinet et que l’on vide en même temps à l’aide d’un autre robinet, etc. [Emile Borel, Les exercices pratiques de mathématiques dans l’enseignement secondaire, 1904].

 

 

 

 

Les machines mathématiques, construites pendant vingt ans d’activité, ont été présentées à l’occasion d’expositions (en Italie et à l’étranger) et considérées dans des projets de recherche en didactique des mathématiques visant à étudier l’enseignement et l’apprentissage de la géométrie à travers l’interaction avec ces artefacts. Dans le Laboratoire on trouve des chercheurs universitaires, des étudiants, des enseignant et des membres de l’Association ‘Macchine Matematiche'[1]. Cet article présente les activités du Laboratoire.

Machine mathématique?

Une machine mathématique (liée au domaine de la géométrie) est un artefact conçu et construit avec un but précis : il oblige un point, un segment ou une figure plane à être transformé en accord avec une loi mathématique définie par le constructeur. Une machine mathématique peut être un traceur de courbe, un pantographe pour les transformations géométriques ou un outil pour dessiner en perspective.

Une machine mathématique très bien connue et utilisée par nous tous est le compas, aussi présent dans l’iconographie des mathématiques (Figure 1). Il peut être considéré comme l’ancêtre des traceurs de courbes et des pantographes. Un autre type de machine mathématique est représenté par les perspectographes (Figure 2) qui sont liés aux origines de la géométrie projective.  

Figure 1 : compas

Figure 2 : perspectographe

Dans le MMLab on trouve de nombreux instruments géométriques, comme par exemple:

Traceurs de courbes

Figure 3  : instrument pour lentilles hyperboliques (décrit dans LaDioptrique de Descartes, 1637)
Figure 4 : Traceur d’ellipse à parallelogramme croisé (dans Exercitationum Mathematicorum libri quinque de van Schooten, 1657)

Pantographes pour les transformations géométriques

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Figure 5 : Pantographe de Sylvester pour la rotation

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Figure 6 : Composition de deux symétries axiales

Modèles de sections coniques

Figure 7 : Modèle d’ellipse chez Apollonius

Figure 8 : Compas parfait

 

Modèles de la genèse tridimensionnelle des transformations géométriques du plan

                                  Figure 9 : Homothétie

Perspectographes

Figure 10 : Perspectographe de Barozzi (décrit dans Le due regole della Prospettiva Pratica di M° Jacomo Barozzi, 1583)

Anamorphoses

Figure 11 : Anamorphose - cylindre

 

L’histoire du Laboratoire des Machines Mathématiques

Au début des années ‘80, un petit groupe d’enseignants du secondaire commença à construire des instruments avec du matériel pauvre dans le sous-sol de leur établissement (le ‘Liceo Scientifico Tassoni’ à Modena) pour les utiliser dans leurs cours des mathématiques, en s’inspirant du travail didactique de Emma Castelnuovo et Lucio Lombardo Radice. Ils commencèrent aussi à collaborer avec l’équipe de recherche en didactique des mathématiques de l’UFR de Mathématiques de l’Université de Modena – Reggio Emilia. Quand ils prirent leur retraite, ils créèrent une association sans but lucratif ‘Macchine Matematiche’, qui coopère avec l’Université et d’autres musées, en construisant des maquettes et en préparant des expositions. En 1996, le Laboratoire se transféra du Lycée au Musée de la Science de l’Université, ensuite à l’UFR de Mathématiques en 2002.

En 1992, la première exposition Macchine matematiche e altri oggetti fut proposée par la Mairie de Modena. Ce moment-là représenta le début de ce genre d’activité, d’abord en Italie et ensuite à l’étranger. Par exemple, nous participâmes au 5ème Salon de la Culture & des Jeux mathématiques (2004) organisé par le Comité International des Jeux Mathématiques à Paris. A partir de deux collections d’instruments, Theatrum Machinarum et Perspectiva Artificialis, nous avons créé des expositions plus petites (Geometria a tu per tu ; Apparenza e realtà et L’occhio e la mano). Deux de ces expositions, Géométrie en tête à tête et Apparence et réalité sont présentes à la Cité des Géométries à Maubeuge. Sur le site[2] du MMLab, on peut trouver les descriptions de toutes les machines construites jusqu’à présent, ressemblées par collections. Chaque description est accompagnée par une animation de la machine (réalisée avec des logiciels de géométrie dynamiques, java et d’autres logiciels d’animation). Le but n’est pas seulement de montrer le fonctionnement, mais aussi de produire divers instruments en changeant les paramètres. Le MMLab a produit des catalogues disponibles sur son site web ou sur le site de l’Association Macchine Matematiche.

Figure 12 : Le Laboratoire

De 1999 au 2003, le MMLab a participé au projet Maths Alive dans le Vème Programme Quadre de la Communauté Européenne coordonné par Albrecht Beuthelspacher (Mathematikum, Allemagne). En 2004, le projet Hands on Maths fut finaliste dans le concours de la Fondation Altran pour l’Innovation.

A côté des expositions, il y a l’activité liée à la recherche en didactique des mathématiques, en particulier de la géométrie (Bartolini Bussi & Maschietto, 2006). Parmi les projets récents, une approche aux transformations géométriques par l’utilisation des pantographes a été expérimentée dans une classe de cinquième pendant l’année scolaire 2006/2007 et il sera reproposé cette année[3]. Pour le travail en classe, aussi bien pour les ‘sessions de laboratoire’, dont on parlera ensuite, nous avons conçu des reproductions en petite taille de certaines machines mathématiques.

Dans la suite, nous allons présenter une des activités du Laboratoire pour les classes. Il s’agit de sessions de laboratoire de mathématiques.

Les sessions de laboratoire au MMLab

Le MMLab est ouvert aux classes pendant l’année scolaire. Nous proposons deux thèmes : sections coniques et transformations géométriques (nous sommes en train de mettre au point un troisième parcours sur la perspective). Quand un enseignant décide d’organiser une visite, il fait sa réservation en choisissant le thème. A ce moment-là, nos demandons que le contenu de la session fasse partie le plus possible du programme de mathématiques de la classe. Le thème des sections coniques est choisi surtout par les enseignants de lycée, tandis que l’autre peut être aussi proposé au collège. La durée d’une session de laboratoire varie entre une heure et demie et deux heures. Elle est composée de trois phases : introduction au thème, travail en petit groupe, présentation de l’exploration des machines par chaque groupe et conclusions[4].

Phase 1

L’introduction au thème de sections coniques commence des éléments du développement historique à partir de la théorie de Menechme-Euclide et Apollonius (Figure 7) ; ensuite on présente un modèle de compas parfait (Figure 8) et de l’instrument de Descartes pour lentilles hyperboliques (Figure 3) ; à la fin, on considère l’ellipse comme section du cylindre droit. En ce qui concerne le thème des transformations, on commence par la description des instruments montrant la genèse spatiale des transformations géométriques (Figure 9) comme la translation et l’homothétie pour terminer avec la description de l’instrument pour la translation sur le plan (translateur de Kempe). L’introduction est présentée par le personnel du MMLab, en utilisant et les machines mathématiques et leurs animations.

                                       Figure 13: phase 1

Phase 2

Travail en groupe. Les élèves sont partagés en petits groupes (au maximum, cinq élèves par groupe) ; chaque groupe reçoit une machine mathématique (comme celles de la Figure 4) et une fiche pour l’exploration. Cette fiche présente un certain nombre de questions : sur la structure de l’instrument, sur les relations entre les divers composantes et la courbe tracée (ou la transformation réalisée) ou sur les régions du plan accessibles à la machine.

                                           Figure 14 : phase 2

 

Phase 3

Présentation du travail en groupe. Chaque groupe doit présenter au reste de la classe la machine mathématique étudiée pendant la phase 2. C’est un moment important, parce que les résultats de chaque groupe sont partagés et peuvent entrer dans la répertoire mathématiques de la classe. En outre, ils deviennent disponibles pour être repris ensuite par l’enseignant. Ce moment est géré par le personnel du MMLab.

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                                        Figure 15 : phase

 

Le laboratoire de mathématiques

    L’idée de ‘session de laboratoire’ est strictement liée avec celle de ‘laboratoire de mathématiques’ contenue dans les documents[5] de la Commission Italienne pour l’Enseignement des Mathématiques (CIIM)[6] pour le curriculum de mathématiques. Ce document se place dans une certaine tradition didactique italienne et prend en compte quelques résultats de la recherche en didactique des mathématiques :

    « Le  laboratoire de mathématiques […] peut être présenté comme une série de suggestions méthodologiques […] finalisées par la construction de significations mathématiques. Le laboratoire comprend élèves et enseignants, structures (salles, instruments, organisation des espaces et du temps), idées (projets, activités didactiques, expérimentations). [...] L’environnement du laboratoire de mathématiques est en quelque sorte semblable à celui d’un atelier artisanal, dans laquelle les apprentis apprenaient en faisant et voyant faire, en communicant entre eux et avec les experts.

    Dans le laboratoire de mathématiques, la construction des significations est étroitement liée d’une part à l’usage des instruments dans diverses activités, d’autre part aux interactions entre les personnes. »

    Parmi les instruments considérés pour les activités, il y a des objets traditionnels (règle et compas, papier, ficelle, ...), les machines mathématiques, les logiciels de géométrie dynamique, les logiciels de calcul formel, les calculatrices graphiques et symboliques, les tableurs. En particulier, à propos des machines mathématiques, on souligne :

    « La possibilité de manipuler effectivement des objets, comme par exemple les machines qui engendrent des courbes, induit souvent des modalités diverses d’exploration et de construction de signification des objets mathématiques. Elles sont intéressantes et, sous certains points de vue, plus riches par rapport aux modalités favorisées par l’usage de logiciels de géométrie dynamique. »

References

    Bartolini Bussi, M.G., Maschietto, M. (2006), Macchine matematiche: dalla storia alla scuola, Milano: Springer.

    Maschietto, M. & Martignone, F. (submitted), ‘Activities with the mathematical machines: pantographs and curve drawers’, Proceedings of the 5th European Summer University on the history and epistemology in mathematics education.

Autres documents de CultureMath sur les instruments mathématiques

Sites externes

[1] Voir http://www.mmlab.unimore.it

[1]http://www.mmlab.unimore.it

[2] ‘Transformation isométriques et non isométriques du plan : une approche didactique par l’utilisation des machines mathématiques’, conduit par M.Maschietto et F.Martignone.

[3] Une synthèse d’une session de laboratoire (en italien) peut être vue sur le site http://www.explora.rai.it/, en choisissant le menu ‘video’ et ensuite ‘Coniche e conicografi’.

[4] Commission au sein de l’Unione Matematica Italiana.

[5] http://umi.dm.unibo.it/italiano/Matematica2003/matematica2003.html

[6] Commission au sein de l’Unione Matematica Italiana

 

 

 
 
 
 
 
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